Publié le 25 janvier 2021
Écrit par Véronique Bourbeau, ND.A., Herb.clin
Malheureusement, encore aujourd’hui, plusieurs femmes ménopausées ayant subi une hystérectomie se voient refuser l’accès à la progestérone par leur médecin, prétextant que cette hormone n’a d’utilité que pour l’utérus. Pourtant, l’accumulation de données démontre que les actions physiologiques de cette hormone s’étendent à plusieurs fonctions non reproductives. En effet, un éventail d’organes expriment des récepteurs à progestérone : glande thyroïde, système nerveux, vaisseaux sanguins, seins, tissus osseux, muscles et ligaments, vessie, peau, foie, pancréas, intestins, etc., laissant présager que la progestérone y exerce une certaine influence. Cette dernière ne reçoit pas encore l’attention qu’elle mérite, et sa contribution à la santé est largement sous-estimée. S’il est vrai que les principaux organes producteurs sont les ovaires et que le rôle premier de cette hormone est de préparer l’utérus pour une éventuelle grossesse, cela ne signifie pas pour autant que la progestérone n’a plus d’importance une fois en ménopause, au contraire !
L’équilibre hormonal, cette quête si chère à la santé des femmes, n’est possible qu’en harmonisant (minimalement) les estrogènes et la progestérone. La santé hormonale implique un partenariat et ne s’entrevoit pas en l’absence de l’une ou l’autre. Ce n’est pas un hasard, si les récepteurs de l’une et l’autre se retrouvent dans les mêmes tissus. En effet, la progestérone est essentielle à l’activation des récepteurs d’estrogènes, et les estrogènes permettent la création de récepteurs à la progestérone. Ces précieuses hormones s’entraident et se contrebalancent dans leurs actions. Il faut donc la présence des deux, pour obtenir une réponse hormonale équilibrée. Ceci amène à penser que l’ensemble des tissus du corps ont besoin d’être exposés aux deux hormones, pour optimiser leur rendement.
La progestérone et le cerveau
La progestérone est fabriquée majoritairement par les ovaires et le placenta lors de la grossesse, mais le cerveau est également un site de production de cette hormone. En fait, les cellules nerveuses sont exposées à la fois à la progestérone provenant des organes reproducteurs (compte tenu de sa structure lipophile), mais aussi à celle qu’elles fabriquent elles-mêmes. Pourquoi autant d’options ? Parce que cette hormone est essentielle au développement et au maintien des fonctions du système nerveux ! Des études animales ont montré que la progestérone peut augmenter la croissance de nouvelles cellules dans le cerveau en activant l’expression des gènes qui favorisent la division cellulaire et inhiber ceux qui l’en empêchent. La progestérone participe ainsi à la genèse des cellules nerveuses (neurones et cellules gliales), à la protection du cerveau contre les agressions et les traumatismes, à la régénération des fibres nerveuses endommagées, à la myélinisation (couche protectrice recouvrant les nerfs responsables de la transmission du signal électrique), à la reconfiguration des connexions neuronales responsables de l’apprentissage et la mémoire, en plus d’influencer l’humeur1.
Seule la progestérone peut être convertie en alloprégnanolone, un métabolite ayant des effets anxiolytiques, antidépresseurs, prosociaux, sédatifs, analgésiques et même neuroprotecteurs2-4. C’est par son affinité avec les récepteurs GABA-A du cerveau que l’alloprégnanolone apporte la détente, la sérénité et une humeur stable5, tout en favorisant un sommeil récupérateur… donc tout ce qu’il faut pour apaiser un syndrome prémenstruel, une phase d’irritabilité ou une insomnie hormonale ! D’ailleurs, l’alloprégnanolone (connue sous le nom « Brexanolone ») est approuvée depuis 2019 aux États-Unis pour le traitement de la dépression postpartum6,7.
La progestérone joue positivement sur la santé neurologique, et ceci est d’autant plus important pour un cerveau vieillissant. Une diminution naturelle du renouvellement cellulaire avec l’âge se voit. Puisque la progestérone semble favoriser la croissance des cellules cérébrales et améliorer les performances cognitives chez les rongeurs, il s’agit d’une nouvelle prometteuse pour le cerveau vieillissant des humains. D’ailleurs, la progestérone serait capable d’inverser les déficits cognitifs liés à la maladie d’Alzheimer8,9 et de ralentir les conditions neurodégénératives telles que la sclérose en plaque10. Alors, pourquoi s’en priver ?
La progestérone et la glande thyroïde
La santé des individus est en grande partie définie par le rendement de leur glande thyroïde. Cette dernière est indispensable au métabolisme de tous les organes. Son influence est générale, allant de l’activation des gènes, de l’utilisation de l’oxygène dans les cellules, du renouvellement osseux, sans oublier ses fonctions digestives, cardiaques, nerveuses, reproductives, et la liste continue !
Les dysfonctions thyroïdiennes ne sont pas rares, et la progestérone, vous l’aurez deviné, facilite l’action de cette glande. La recherche montre que la progestérone peut augmenter les taux d’hormones thyroïdiennes dans le sang, en plus de réduire la quantité de protéines de liaison pour ces hormones, ce qui signifie qu’il y a plus d’hormones exerçant leurs fonctions sur les tissus cibles11 de l’organisme.
La progestérone exerce une action compétitive avec l’estrogène. L’estrogène est connu pour interférer avec les hormones thyroïdiennes dans la glande elle-même et en périphérie. Ceci se traduit par une quantité de symptômes, dont la prise de poids et la fatigue. Lorsque le niveau de progestérone est faible, les estrogènes ont donc le champ libre pour ralentir le métabolisme. Lorsqu’une quantité suffisante de progestérone est en circulation dans le corps, les hormones thyroïdiennes accélèrent le rendement cellulaire, utilisent la graisse stockée sous l’influence des œstrogènes et entraînent un regain d’énergie12. Parmi les stratégies pour équilibrer la glande thyroïde, l’équilibre entre estrogènes et progestérone est de mise. Ceci est d’autant plus important lors de la préménopause, où les cycles menstruels sont souvent anovulatoires ou absents à partir de la ménopause (sans production de progestérone, dans les deux cas).
Le déficit en progestérone serait lié au déficit en calcitonine. La calcitonine est une autre hormone provenant de la glande thyroïde qui favorise la minéralisation du corps en abaissant le taux de calcium dans le sang pour le redonner aux os et aux dents. La calcitonine, aidée de la progestérone, permet ainsi le remaniement osseux si précieux lors de la ménopause, alors que l’ostéoporose évolue progressivement.
La progestérone et la santé osseuse
Comme on vient de le voir, la progestérone favorise le dépôt minéral dans les os. Ceci est possible non seulement par la calcitonine, mais aussi par son action stimulatrice sur les ostéoblastes, soit les cellules responsables du renouvellement du tissu osseux. D’ailleurs, on note une augmentation de l’activité ostéoblastique lors de la phase lutéale du cycle menstruel, soit la phase suivant l’ovulation, lorsque les niveaux de progestérone atteignent leur maximum. Le rôle de la progestérone semble assez significatif pour que plusieurs chercheurs affirment que l’ostéoporose postménopausique est, en partie, une maladie de carence en progestérone13.
La progestérone et la santé du cœur
Sur ce point, la confusion est totale ! Dans la littérature, on retrouve un amalgame d’informations concernant les progestines synthétiques qui, bien qu’ils n’aient pas la même structure moléculaire que la progestérone, passent aux yeux de la médecine pour des équivalents. Or, c’est une grave erreur, car si toutes les progestines ont par définition une activité progestative, elles ont également une gamme divergente d’autres propriétés qui peuvent se traduire par des effets cliniques très différents de la progestérone naturelle. Par exemple, l’acétate de médroxyprogestérone (progestine synthétique nommée « AMP ») augmente les risques d’accidents vasculaires, hausse le niveau de la protéine C réactive, favorise la prolifération des cellules musculaires lisses dans les artères, contribue à la formation de caillots sanguins, donc tous des indicateurs favorables aux maladies cardiovasculaires, alors que les preuves, de plus en plus nombreuses, démontrent exactement le contraire pour ce qui est de la progestérone naturelle14. Cette usurpation d’identité retient plusieurs médecins à prescrire la progestérone à leurs patientes présentant des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires, à cause de la mauvaise presse qu’on lui attribue, bien malgré elle.
Lors d’une étude menée sur plusieurs femmes appliquant quotidiennement 20 mg de progestérone sous forme de crème sur une période de quatre semaines, aucune élévation de l’un des marqueurs thrombotiques ou inflammatoires étudiés (protéine C, facteurs V, VII, VIIII, fibrinogène, antithrombine, PAI-1, protéine C réactive, TNFα, IL-6) n’a été observée, comparativement aux études antérieures impliquant des progestines synthétiques15,16. Parmi les facteurs améliorés par la progestérone naturelle (application transdermique), on retrouve une action régulatrice sur la fluidité sanguine et la vasodilatation, tenant un rôle préventif sur les embolies veineuses, l’ischémie cardiaque et l’angine de poitrine. La progestérone est, de plus, antispasmodique et diurétique. Par son effet inhibiteur sur l’aldostérone, la progestérone réduit l’absorption de sodium et d’eau. Elle limite ainsi les œdèmes que beaucoup de femmes connaissent à l’approche des règles, surtout en préménopause. La rétention de liquides est un facteur de nuisance pour la santé cardiovasculaire, puisqu’elle peut induire une hypertension et aggraver une insuffisance cardiaque17. La progestérone naturelle permet également d’améliorer le profil des lipides sanguins pour le cholestérol HDL (dit « le bon » cholestérol)18, ralentissant, de facto, le développement d’athérosclérose.
Puisque les maladies cardiovasculaires sont depuis longtemps reconnues comme la première cause de décès chez les femmes, dont le risque augmente considérablement après la ménopause, et que la ménopause annonce l’apparition de faibles taux de cholestérol HDL comparativement aux autres lipides sanguins, toute intervention sécuritaire permettant le renforcement de la fonction cardiovasculaire ne doit pas être écartée, dont l’équilibre hormonal !
La suite de ce dossier sera le mois prochain, dans la parution de février 2021.
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