Attention aux médicaments en vieillissant ; considérez les produits naturels.

Publié le 7 février 2022
Écrit par Éric Simard, docteur en biologie et chercheur

Attention aux médicaments en vieillissant ; considérez les produits naturels.

Plus les gens vieillissent, plus ils consomment de médicaments. Est-ce normal ou devons-nous nous poser plus de questions sur le sujet ? Avons-nous oublié que certains médicaments pourraient causer plus de tort que de bien ? Que les médicaments ne sont pas des produits inoffensifs ? Voici un article qui ose aborder ces questions importantes pour une population vieillissante.

 

Quelques statistiques inquiétantes

L’Institut national de santé publique du Québec a publié un rapport en août 2019 s’intitulant :

Utilisation des médicaments potentiellement inappropriés chez les aînés québécois présentant des maladies chroniques ou leurs signes précurseurs : portrait 2014-2015. La première conclusion de ce rapport : « En 2014, près de la moitié (49 %) des aînés québécois présentant des maladies chroniques ou leurs signes précurseurs ont reçu au moins un médicament potentiellement inapproprié. »

Passé 65 ans, 2 Canadiens sur 3 consomment un minimum de 5 médicaments différents par jour et environ 30 à 40 % d’entre eux consommeraient au moins 1 médicament inutile ou inapproprié. Si on regarde chez les 85 ans et plus, on parle de 40 % de personnes qui consommeraient 10 médicaments ou plus par jour.

L’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES) a mené une analyse auprès de 4 317 résidents dans 34 CHSLD de 6 régions de la province. Il en a été conclu que chaque résident avait une moyenne de 14 ordonnances différentes de médicaments. La grande question est bien sûr de savoir si cela est normal, car il ne faut surtout pas oublier que ces personnes sont rendues à une étape de leur vie où elles vivent avec plusieurs changements physiologiques et pharmacocinétiques qui augmentent leurs risques face à l’usage des médicaments.

 

Les cascades médicamenteuses

Un patient se fait prescrire un médicament no 1 pour un problème spécifique. Ce médicament peut cependant causer un effet indésirable qui pourrait être interprété comme une nouvelle pathologie. Alors, ce patient recevra un médicament no 2 pour répondre à cette pathologie, mais il provoquera des effets indésirables, qui seront alors traités par un médicament no 3. Ce dernier produira de nouveaux effets indésirables pour lesquels un médicament no 4 sera prescrit et ainsi de suite.

Comme nous pouvons le constater, le patient ayant une seule pathologie, qui pourrait être réglée avec un seul médicament, finira par en consommer trois ou même plus. Cette fameuse cascade médicamenteuse est souvent détectée seulement si une situation problématique survient telle qu’une chute, une hospitalisation ou lorsque de nouveaux effets indésirables importants apparaissent.

 

Quels médicaments éviter

Les médicaments à éviter ou à utiliser avec prudence en prenant de l’âge sont classés selon ce que l’on appelle les « critères de Beers ». Publiés initialement en 2012 et mis à jour en 2019 par l’American Geriatrics Society (AGS), les critères de Beers incluent la liste des médicaments potentiellement inappropriés pour les personnes âgées.

On peut y lire de faire attention aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, à certains médicaments pour le diabète, d’éviter les relaxants musculaires, certains antidouleurs, ainsi que les antihistaminiques, les anxiolytiques et certains somnifères. Il est toujours important d’en parler avec votre médecin ou votre pharmacien et de ne pas arrêter de médicaments sans un avis médical.

Sans entrer dans les détails, certains médicaments pour l’anxiété et l’insomnie sont déconseillés pour plusieurs raisons spécifiques aux gens vieillissants, auxquels nous pourrions ajouter qu’ils augmentent les risques de développer de la démence et la maladie d’Alzheimer. Il est aussi important de souligner que certains des médicaments déconseillés pour les gens vieillissants sont en vente libre comme des médicaments pour la douleur ou les antihistaminiques.

Nous devrions nous questionner, comme société, sur les raisons pour lesquelles si ces risques sont bien documentés et mentionnés par un organisme crédible indépendant, pourquoi des mesures plus sérieuses ne sont pas mises en place pour réduire les usages.

Pour les médicaments qui peuvent augmenter les risques de démence ou de développer la maladie d’Alzheimer, les benzodiazépines et les anticholinergiques sévères sont les mieux documentés. Parlez-en à votre médecin ou votre pharmacien.

 

Poser des questions

Voici les cinq questions à poser à votre pharmacien ou votre médecin, selon la Dre Cara Tannenbaum, médecin de la Faculté de médecine et de pharmacie de l’Université de Montréal :

  • Pourquoi dois-je prendre ce médicament?
  • Quels sont ses bienfaits à mon âge?
  • Quels sont ses risques?
  • Est-ce que je peux diminuer la dose?
  • Comment assurer un suivi?

 

Il est fréquent de rencontrer des gens qui prennent des médicaments sans poser de questions. Il est évident qu’il est important de :

  1. connaître les raisons;
  2. savoir si ces raisons peuvent changer avec le temps en vieillissant;
  3. savoir si les effets secondaires peuvent empirer;
  4. se demander s’il serait possible d’améliorer notre santé pour ne plus en avoir besoin;
  5. s’il est possible d’utiliser des approches naturelles.

Malheureusement, trop souvent, une seule option est proposée. Pourtant, certains produits naturels de qualité cumulent beaucoup de données probantes pour des besoins couverts par les médicaments à éviter. C’est le cas pour certains troubles digestifs, pour la douleur, pour le sommeil et l’anxiété, de même que la déprime.

Renseignez-vous sur les options naturelles et assurez-vous de pouvoir les prendre en même temps que vos médicaments afin d’évaluer si votre état s’améliore. Ne jamais arrêter la prise d’un médicament, même si c’est pour essayer une approche naturelle, sans en avoir parlé à votre médecin ou votre pharmacien.

 

Pourquoi considérer les produits naturels ?

Quatre raisons évidentes : (1) Certains médicaments sont inappropriés/déconseillés. (2) Pour avoir moins d’effets secondaires. (3) Pour la complémentarité des approches. (4) Le désir tout à fait normal de favoriser une approche naturelle.

Pour les médicaments dont les usages sont déconseillés comme les somnifères ou les antidouleurs, il existe des produits naturels qui pourraient donner de bons résultats. De plus, les produits naturels de qualité qui sont utilisés pour les mêmes types d’applications ne causent habituellement pas de dépendance et d’accoutumance parce que leurs bénéfices cliniques dépendent de plusieurs molécules et de l’effet cumulé de plusieurs mécanismes d’action.

Non pas d’un seul mécanisme fortement sollicité, comme c’est le cas pour les médicaments. La valériane, par exemple, procure un effet anxiolytique par la mise en commun d’au moins cinq mécanismes d’actions qui dépendent de plusieurs molécules différentes. Il a été clairement établi que, bien que l’acide valérénique soit impliqué dans l’effet anxiolytique, à lui seul, il ne permet pas un effet significatif. Il s’agit aussi de la raison pour laquelle les produits de santé naturels présentent habituellement moins d’effets secondaires.

 

Plusieurs mécanismes d’action = moins d’effets secondaires

Un exemple très intéressant est l’effet antidouleur et anti-inflammatoire de la griffe du diable. Cette plante tire son efficacité de l’harpagoside et de plusieurs autres molécules apparentées. Lorsque l’on isole complètement l’harpagoside, on perd 50 % de l’efficacité.

Ses usages traditionnels sont principalement les douleurs arthritiques et l’aide à la digestion. Relativement à la douleur et à l’inflammation, plusieurs études sur les mécanismes d’action ont clairement démontré des actions à la fois sur COX-1 et COX-2 (cyclooxygénase ; complexe d’enzymes produisant les molécules pro-inflammatoires), en plus d’action sur l’oxyde nitrique (messager cellulaire), sur une panoplie de cytokines pro-inflammatoires, sur l’activation de NF-κB (modulateur des processus inflammatoires) et quelques autres mécanismes reliés à la régulation de certains gènes.

Une étude récente (2020) a même démontré un impact sur le système endocannabinoïde (dérivés d’acide gras naturels des cellules, formés à partir des lipides, impliqués dans la gestion de la douleur; un antidouleur naturel) en soulignant que les bénéfices des extraits de cette plante proviennent d’un grand nombre de mécanismes d’action.

Cette multitude de mécanismes met en relation des effets synergiques, qui tous ensemble, permettent d’atteindre un effet physiologique significatif sans les effets secondaires habituellement associés aux inhibiteurs de COX-1 ou COX-2.

 

L’excuse des données probantes

Ici, certaines personnes seront sceptiques et diront qu’il n’y a pas suffisamment de données probantes pour documenter le faible niveau d’effets secondaires des approches naturelles. Alors, reprenons notre exemple de la griffe du diable, un inhibiteur naturel de COX-1 et de COX-2. Les usages des inhibiteurs chimiques de COX-1 et COX-2 sont reliés à un grand nombre d’effets secondaires importants allant des problèmes d’estomac, de rein et même, des risques cardiaques.

Toutefois, une analyse systématique portant sur la sécurité de l’usage des extraits de qualité de la griffe du diable a conclu qu’il n’y avait aucun risque basé sur 28 études cliniques, dont 20 avaient rapporté des effets secondaires semblables à l’usage des placébos (environ 3 %, principalement des inconforts digestifs). Parfois, la nature fait bien les choses.

Il va sans dire que d’affirmer qu’il n’y a pas d’étude dans le domaine des produits de santé naturels peut démontrer un certain manque de connaissances sur le sujet, ou encore, une mauvaise opinion du domaine qui peut mener à conclure en de fausses affirmations.

Ainsi, certaines approches naturelles sont supportées par une grande quantité de données probantes et elles pourraient servir avantageusement à réduire l’usage de médicaments inappropriés ou trop nombreux, pour les gens vieillissants. La complémentarité, dans un esprit de santé intégrative, peut certainement permettre de meilleurs résultats.

 

La santé intégrative pour la complémentarité des approches

Étant donné que les approches naturelles présentent moins d’effets secondaires, elles devraient logiquement être essayées en priorité pour valider si cela convient pour le bénéfice visé. Il est toujours temps d’utiliser la médication par la suite si c’est nécessaire, peut-être même à plus faible dose ? Il faut par le fait même respecter le choix des gens qui préfèrent faire appel à des approches naturelles. Rappelons que 70 à 80 % de la population canadienne fait appel à des approches complémentaires pour ses besoins de santé.

Ce dernier aspect fait référence au désir et au respect des patients ; une composante importante de la santé intégrative. Si la possibilité d’utiliser une approche naturelle était proposée, peut-être que beaucoup de gens vieillissants voudraient essayer d’éviter les médicaments qui leur sont déconseillés, comme les somnifères. Il est évident que si cette possibilité ne leur est pas offerte, ils n’auront d’autres choix que de prendre les médicaments qui leur sont présentés comme étant la seule option.

N’hésitez donc pas à poser des questions et à vous informer sur les médicaments que vous prenez déjà ou sur ceux qui vous sont nouvellement prescrits et consulter plusieurs professionnels pour considérer les possibilités qui s’offrent à vous.

Vous pouvez m’écrire, si vous avez des questions ou des commentaires, à l’adresse suivante : esimard@idunntechnologies.com.

 

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