Blessure aiguë : de la glace ou pas de glace, telle est la question

Publié le 20 septembre 2019
Écrit par Nicolas Blanchette, B. Sc. kinésiologie, D.O.

Blessure aiguë : de la glace ou pas de glace, telle est la question

C’est presque devenu un réflexe : je ressens de la douleur, donc je cours appliquer de la glace sur la blessure pour « geler » le mal.

 

Cette association est cimentée dans la pensée populaire. Mais à la lumière de ce que l’on connaît aujourd’hui, est-elle toujours justifiée ?

 Pourquoi de la glace ?

La recommandation bien connue d’appliquer de la glace immédiatement après une blessure tissulaire nous vient en partie des travaux du médecin sportif diplômé de Harvard Gabe Mirkin. En 1978, ce dernier a publié un livre qui allait devenir un best-seller : The Sport Medicine Book. Cet ouvrage contenait un protocole de gestion des blessures aiguës des tissus mous (muscles, tendons, ligaments, etc.). Ce protocole était appuyé par les données scientifiques disponibles à l’époque et on lui attribua l’acronyme RICE. Ces lettres signifiaient « repos, glace (ice), compression, élévation », une petite recette facile à retenir.

À ce moment, le docteur recommandait d’utiliser de la glace immédiatement après une blessure comme une entorse à la cheville pour réduire l’œdème et diminuer la douleur causée par cette dernière. Or, en 2014, Dr Mirkin a changé d’avis devant une revue de la littérature publiée par la European Society of Sports Traumatology.

 

« La glace n’améliore pas le processus de guérison tissulaire comme on le croyait. En fait, elle le ralentit. » (traduction libre) — Dr Gabe Mirkin

En effet, malgré la pratique répandue de cette modalité, l’efficacité de la glace n’est pas encore appuyée par la science hors de tout doute dans les cas de blessures aux tissus mous (Bekerom, 2012 ; Vuurberg, 2018 ; Doherty, 2017 ; Yerhot, 2015).

Mirkin lui-même recommande maintenant ceci : « Pour une blessure aiguë qui n’est pas postopératoire, n’utilisez pas de glace, à moins que la douleur soit importante. Si c’est le cas, appliquez un sac de glace sur une compresse humide 2-3 fois par jour pendant environ 10 minutes avec au moins une vingtaine de minutes entre les applications. Si la douleur est très importante, voyez immédiatement un docteur. »

 

Meilleure compréhension des mécanismes de l’inflammation

Comment Mirkin en est-il venu à changer son discours au fil du temps ? En bon scientifique, le docteur s’est fié aux nouvelles preuves amassées depuis la parution de son protocole devenu célèbre.

En outre, nous comprenons mieux ce qu’est l’inflammation. Ce processus naturel commandé par notre système immunitaire vise à nettoyer une blessure des cellules mortes et endommagées pour remplacer ces dernières et amorcer la guérison. Or, l’inflammation est un mécanisme perfectionné issu de milliers d’années d’évolution. Bien sûr, lorsqu’il y a de l’inflammation, les terminaisons nerveuses locales seront irritées par des réactions chimiques et par la pression de l’œdème (enflure) provenant de la dilatation des vaisseaux sanguins pour acheminer diverses cellules au site de la blessure. Il faut cependant se rappeler que le rôle principal de la douleur aiguë est de nous alerter afin que nous protégions notre articulation pour ne pas nous faire mal davantage. Il est logique de penser qu’en perturbant ces mécanismes, la guérison pourrait ne pas se faire de manière aussi optimale.

Après une blessure, nous savons que des cellules inflammatoires appelées « macro-phages » relâchent une hormone appelée IGF-1 (insulin-like growth factor 1). Cette hormone aide les fibres musculaires et les autres tissus endommagés à se réparer. Or, appliquer de la glace directement sur l’œdème d’une blessure ralentit la guérison en empêchant ces cellules de relâcher des IGF-1 (Journal of American Academy of Orthopedic Surgeons, vol. 7, no 5, 1999).

Il a également été démontré qu’appliquer de la glace sur le site d’une blessure encourage les vaisseaux sanguins à se contracter (vasoconstriction) pour réduire leur diamètre. Cet effet ralentit considérablement l’acheminement des cellules nécessaires à la réaction inflammatoire vers le site de la blessure. Ainsi, cette réduction de l’apport sanguin peut entraîner la mort de certains tissus organiques et même causer des dommages permanents aux cellules nerveuses (Knee Surgery, Sports Traumatology, Arthroscopy, 23 février 2014).

Bien qu’elle ait un effet analgésique bien connu (apaise la douleur), la glace ralentit la guérison cellulaire. L’application de glace immédiatement post blessure diminue l’angiogenèse (la croissance de vaisseaux sanguins à partir de vaisseaux déjà existants) et la revascularisation, ralentit la prolifération des neutrophiles et macrophages, et permet une augmentation de la densité de fibres musculaires immatures, ce qui pourrait conduire à une régénération moins efficace (Singh, 2017).

Sur le plan de la performance sportive, une étude de 2011 a démontré que pour les athlètes utilisant la glace pendant une partie, la force, la vitesse, la puissance et l’agilité étaient diminuées immédiatement après l’application de glace pendant 20 minutes. Un réchauffement progressif articulaire après l’application de glace permettait d’annuler ces effets (Sports Medicine, 28 novembre 2011).

 

Et les anti-inflammatoires ?

Précautions : Avant toute chose, s’il vous plaît, ne modifiez jamais vous-même une prescription de médicaments sans d’abord en avoir parlé avec votre médecin ou votre pharmacien.

L’application de glace a une action anti-inflammatoire. Mais il en va de même pour certains médicaments. L’inflammation est le processus naturel de guérison du corps, perfectionné sur des milliers d’années. Or, il a été prouvé que la prise d’anti-inflammatoires, surtout à fort dosage, même si elle permet de diminuer la douleur, nuit à la guérison des tissus endommagés (Vuurberg, 2018 ; Duchesne, 2017).

Les données actuelles semblent prioriser la prise d’antalgiques (acétaminophène, paracétamol, etc., plutôt que d’anti-inflammatoires. Il en va de même pour les populaires injections de corticostéroïdes. Selon Mirkin, toute intervention qui vise à bloquer la réaction immunitaire naturelle ralentit forcément la guérison tissulaire (Pharmaceuticals, vol. 3, n 5, 2010).

 

Donc… Glace ou pas ?

À la lumière des données probantes dont nous disposons actuellement, il semblerait que nous ayons à choisir entre des bénéfices immédiats (moins de douleur) versus des bénéfices à moyen ou long terme (une guérison optimale de la blessure).

 

Considérations postopératoires

En contrepartie, des recherches ont aussi montré qu’il est important de soulager une douleur importante postopératoire. Lorsque la douleur après une intervention chirurgicale n’est pas bien maîtrisée, cela aumenterait les risques de développer de la douleur chronique plus tard dans la vie. L’utilisation de glace, tout comme de médicaments, pourrait alors être bien indiquée dans ce contexte.

 

Les recommandations du Dr Mirkin en 2019 :

  • Si vous vous blessez, cessez immédiatement vos activités.
  • Si la douleur est sévère ou si vous présentez d’autres symptômes comme une perte de conscience temporaire ou une incapacité à mettre du poids sur votre jambe ou que vous soupçonnez une fracture ou autre blessure sévère, rendez-vous immédiatement à l’hôpital.
  • Pour une blessure ouverte, faites-la inspecter et nettoyer.
  • Si possible, élevez le membre blessé plus haut que le niveau du cœur pour utiliser la gravité afin de minimiser l’œdème. Pour une jambe, vous pouvez vous coucher sur le dos et placer le pied sur une chaise, par exemple.
  • Si possible, utilisez un bandage compressif sur la blessure. Ne retirez pas immédiatement une botte ou un soulier lors d’une entorse à la cheville.
  • Étant donné son action sur la douleur, vous pouvez utiliser de la glace si la douleur est importante. Appliquez de la glace sur une serviette humide plutôt que directement sur la peau (pour éviter une brûlure par le froid) et laissez la glace agir pendant 10 minutes. Retirer la glace pendant au moins 20 minutes avant de recommencer à quelques reprises. N’utilisez pas de glace après plus de six heures post blessure.
  • Évitez le repos prolongé de l’articulation, qui pourrait provoquer l’ankylose (perte de mobilité) ou l’atrophie musculaire (perte de masse musculaire et de force). Mettez en mouvement l’articulation dès que possible, pourvu que cela n’augmente pas la douleur ressentie.

 

À suivre

Le protocole RICE n’étant donc plus tout à fait à jour vis-à-vis les dernières données scientifiques, je vous proposerai, dans une édition subséquente du magazine, un protocole plus récent et plus moderne pour la gestion des blessures. À la prochaine !

 

RÉFÉRENCES

DUBOIS et autres, British Journal of Sports Medicine, 2019.

MIRKIN, Gabe. Why Ice delays recovery, 2019. https://www.drmirkin.com/about-dr-mirkin

RAFFIS, Marco. « La glace et les anti-inflammatoires, utiles ou nuisibles à la guérison ? », PHYSIO EXTRA, 2019.