Cachère, halal et diversité alimentaire

Publié le 1 mars 2021
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott

Cachère, halal et diversité alimentaire

Depuis le début de la pandémie, les consommateurs ont accordé une plus grande importance à l’emballage des produits alimentaires. Ainsi, certaines informations méritent d’être expliquées, puisqu’elles nous sensibilisent à un spectre étonnamment varié de traditions culinaires.

 

La désignation « cachère » est sans doute la première qui nous vienne à l’esprit, mais que signifie-t-elle au juste ? Ce sont les lois de consommation et de préparation des aliments qui sont compatibles avec la Torah, livre sacré qui constitue la pierre angulaire du judaïsme. L’interdiction de consommer du porc est, bien sûr, son aspect le mieux connu, mais d’autres chairs animales sont aussi proscrites, à savoir le homard, le lapin et le chameau. Une gélatine cachère existe aussi – et donc exempte de sous-produits du porc – celle-ci étant extraite de la peau du bœuf, de poisson ou d’algues. Le sel « cachère », très à la mode chez les cuisiniers professionnels, est simplement un sel qui est exempt d’iode. Selon les lois hébraïques, les produits laitiers ne doivent pas être cuisinés avec les viandes. Les lois propres à une diète cachère sont nombreuses et nous n’avons que brossé les lignes très générales.

La diète « halal » est moins complexe que la tradition cachère et, outre l’interdit de consommer du porc et des boissons alcoolisées (d’ailleurs permises par le judaïsme), les restrictions imposées aux musulmans sont moins contraignantes. Une viande est dite halal lorsque l’on tranche la gorge de l’animal (en contradiction avec les pratiques de boucherie industrielle). Néanmoins, ce ne sont pas toutes les parties de l’animal qui soient propres à la consommation humaine, les amourettes, par exemple, sont considérées comme impures. Comme dans les traditions juives, la consommation de sang est interdite, donc le boudin n’a pas sa place dans une alimentation halal.

 

Les Éthiopiens, qu’ils soient chrétiens, juifs ou musulmans, s’abstiennent tous de manger du porc ; les chrétiens doivent aussi respecter les nombreuses journées de jeûne qui ponctuent le calendrier ; durant l’année, le végétarisme sera de rigueur pendant environ 200 jours. Pour des raisons raciales, les Éthiopiens des Hauts Plateaux refusent de consommer l’ensete, ou le faux bananier habituellement vendu chez nous comme plante ornementale et dont les racines, et non les bananes, constituent la partie comestible la plus prisée des peuplades dites païennes vivant au sud du pays.  

On croit que Saint-Pierre aurait eu une vision durant laquelle Dieu lui donna la permission de manger plus ou moins n’importe quel animal. Force est de constater que le christianisme impose relativement peu de restrictions sur le plan alimentaire. On pense au carême, chez les catholiques et les orthodoxes, bien que chez les protestants, cet interdit soit, la plupart du temps, ignoré. À l’origine, un réformateur religieux protestant a créé un remous considérable, en 1522, en proposant la liberté de choix en cette matière. Malgré ses apparences théologiques, ce libre-choix était le résultat de pressions exercées par la guilde des bouchers, dont les revenus étaient affectés durant les 40 jours du carême.

 

Pour sa part, l’hindouisme, religion fort complexe, impose de nombreuses restrictions alimentaires, dont l’abstention de consommation de viande, d’ail et d’alcool ; selon les écoles de pensée, d’autres aliments s’ajoutent à la liste des interdits. Le bouddhisme « classique », également né en Inde, interdit la consommation de chair de certains animaux. Toutefois, comme le bouddhisme s’est adapté aux pays asiatiques où il s’est propagé, on notera que le régime alimentaire ne suit aucune loi immuable et va du végétarisme le plus enthousiaste (notamment en Chine) à une diète en grande partie basée sur la protéine animale, au Tibet et en Mongolie. 

Dans le cas du Tibet, le sol ingrat rend le végétarisme un pari de taille. Le poisson d’eau douce, pourtant abondant au Pays des Neiges, est entre autres considéré comme un animal totem et on s’abstiendra de le pêcher. Dans plusieurs civilisations, certains animaux ont été identifiés comme « totem », c’est-à-dire qu’ils sont perçus comme la réincarnation d’ancêtres ou de protecteurs d’un clan nés à une époque mythique. Ces restrictions existent entre autres dans la culture amérindienne, où l’individu appartient à un clan, celui de l’ours, de la tortue, etc.

 

Dans la zone du Pacifique, les Maoris de Nouvelle-Zélande n’avaient pas d’animal totem, puisqu’ils consommaient presque tout. Un des rares interdits était la chasse à l’oiseau connu sous le nom de « huai », dont les plumes chatoyantes étaient réservées à l’élite sociale. Cela n’a pas empêché l’oiseau de disparaître de la faune néo-zélandaise depuis le début du 20e siècle. 

Les interdits alimentaires ne sont pas toujours permanents, et certains d’entre eux sont respectés pendant une grossesse ou à la suite de l’accouchement. Le cas des peuples indigènes de la Malaisie a fait l’objet de plusieurs études et au banc des accusés, les indigènes croient que l’ananas, le concombre et le melon d’eau auront des effets néfastes sur la santé du futur nourrisson. Ailleurs dans le monde, les restrictions en lien avec la grossesse empêchent souvent la future mère de jouir d’une diète saine et équilibrée à un moment charnière de sa vie.

Parfois, les tabous alimentaires sont imputables à une source extérieure. Avant la venue des Espagnols, les Aztèques consommaient l’amarante dont les feuilles, semblables à l’épinard et les graines qui ressemblent plus ou moins au quinoa. Les grains d’amarante servaient lors de communions « païennes» qui avaient scandalisé les missionnaires. Pour décourager ces cérémonies, on coupait la main des récalcitrants. Après avoir sombré dans l’oubli, l’amarante fut remise à l’honneur au 20e siècle grâce à son contenu riche en fer et trouve désormais sa place dans nos boutiques d’alimentation naturelle.

Mentionnons enfin que les interdits alimentaires pouvaient être levés durant des périodes exceptionnelles. À Paris, durant le siège de 1870, on mangeait de l’« inconnu », comme l’avait noté Victor Hugo. Pour contrer la famine, on en vint même à consommer les animaux du zoo du Jardin des Plantes…