Ces mots qui blessent et ces mots qui soignent

Publié le 7 février 2022
Écrit par Nicolas Blanchette, D.O, B. Sc. kinésiologie

Ces mots qui blessent et ces mots qui soignent

La douleur peut revêtir plusieurs formes. En 2021, la douleur persistante, qu’on appelait anciennement (et parfois encore de nos jours) « douleur chronique » touchait près de 7,6 millions de personnes au Canada seulement. Ce type de douleur, qui s’incruste pendant plus de 3 mois et qui entraîne souvent des limitations fonctionnelles, toucherait 1 personne sur 5 au Canada, dont 1 personne de plus de 65 ans sur 3. Ce sont des chiffres vertigineux qui donnent une idée de la quantité d’efforts et d’argent déployée pour faire face au problème de la douleur persistante au quotidien.

L’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP, en anglais) définit la douleur en ces termes : « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à, ou ressemblant à celle associée à, une lésion tissulaire réelle ou potentielle ». Relisez bien la dernière partie de cette définition, dont tous les mots sont lourds de signification. Une lésion tissulaire réelle OU potentielle.

 

En effet, il est bien reconnu dans l’étude des sciences de la douleur qu’il n’est pas nécessaire que les tissus du corps humain aient subi des lésions physiques pour expérimenter le fait de percevoir de la douleur et celui de développer des souffrances physiques qui sont bien réelles. Il suffit que notre système nerveux autonome active les circuits de la douleur dans le but d’assurer notre protection. Et pour cela, il ne nous demande jamais notre permission ! La douleur est un mécanisme de préservation autonome très sophistiqué, mais qui, malheureusement, peut parfois jouer contre nous et nous gâcher l’existence ! Cette douleur persistante qui existe sans la présence de lésions tissulaires détectables est un phénomène bien plus répandu que nous avons tendance à le croire. Aux États-Unis, par exemple, elle toucherait minimalement 50 millions de personnes. Il suffit de penser à tous ces patients qui se font dire chaque jour par leurs médecins : « nos examens n’ont rien décelé. La douleur se trouve dans votre tête. Il va vous falloir apprendre à vivre avec ».

Bien entendu, la personne qui se fait dire cela a l’impression de vivre une grande injustice et de ne pas être comprise, puisqu’elle souffre tous les jours. Pourtant, d’un point de vue neuroscientifique, la douleur n’a pas besoin d’une lésion tissulaire pour être réellement ressentie. Et cela ne signifie en aucun cas que les patients s’inventent des problèmes. La douleur réelle peut aussi découler d’une hypersensibilisation dans le traitement de l’information par notre système nerveux.

En résumé, notre système nerveux peut déclencher de la douleur comme mécanisme de protection lorsqu’il perçoit (inconsciemment) qu’il est menacé. D’où peut provenir cette menace ? D’une lésion des tissus, bien entendu (comme lorsque vous placez la main sur un rond de poêle), mais aussi d’autres éléments qui n’ont rien à voir avec la peau, les os et les muscles.

Notre système nerveux autonome, tel un mégaordinateur, traite une quantité d’informations phénoménales chaque seconde dans le but d’émettre une réaction prédictive adéquate pour sa survie. Ces informations proviennent de son milieu interne et de son environnement externe et sont de nature physique, cognitive et émotionnelle.

On peut observer ce phénomène de sensibilisation en action lors de certaines situations de la vie quotidienne. Par exemple, plusieurs personnes rapportent ressentir une sensibilité de la bouche exacerbée lorsqu’elles ont rendez-vous chez le dentiste. Leurs dents ou leurs gencives, qui ne sont pas tellement douloureuses à l’habitude, peuvent montrer une sensibilité qui semble excessive alors que le dentiste les examine. L’état physique des structures n’a pas changé à ce moment ; c’est tout simplement notre système nerveux qui se méfie de la visite chez le dentiste, même si l’on sait consciemment que ce dernier ne nous veut pas de mal ! Le système nerveux autonome agit alors en se sensibilisant et c’est ce qui fait que l’on perçoit de manière beaucoup plus importante certains stimulus à ce moment.

Les recherches sur la douleur ont permis de montrer que cette dernière est bien influencée par les attentes que nous entretenons auprès d’elle. Par exemple, dans une expérience récente, trois groupes de participants devaient réaliser des exercices de squats (accroupissements). Pour chaque groupe, une petite séance d’informations rapide était donnée avant la réalisation des exercices. Dans le premier groupe, les instructeurs véhiculaient de l’information positive : la réalisation de cet exercice avait été démontrée comme étant efficace pour réduire la douleur ! Dans le deuxième groupe, on donnait seulement des informations neutres : « cet exercice cible les quadriceps », etc. Finalement, dans le troisième groupe, on donnait de l’information à nature négative, par exemple que cet exercice avait déjà augmenté la sensation de douleur chez d’autres participants avant eux.

Or, les résultats de l’étude ont permis de montrer que, lors de tests sensoriels réalisés après l’expérience, le premier groupe que l’on avait préparé avec de l’information positive et le deuxième groupe qui avait reçu des instructions neutres avaient chacun démontré une augmentation des seuils de tolérance à la douleur. En revanche, le troisième groupe, chez qui on avait communiqué des informations peu rassurantes, présentait le phénomène inverse. Leur tolérance à la douleur n’avait pas augmenté après l’expérience, mais au contraire, le système nerveux était devenu plus sensible ! Les scientifiques ont conclu leur étude en soutenant que les informations de nature négative données avant un exercice prédisposaient à ressentir de la douleur.

Dans d’autres recherches, pour un même stimulus douloureux provoqué expérimentalement, les participants rapportaient ressentir davantage de douleur si on leur mentionnait préalablement que ce stimulus allait être chaud que lorsqu’on leur disait qu’il allait être froid !

Les résultats précédents démontrent bien que la douleur est influencée par les attentes préalables, mais aussi par le langage et le choix des mots. En tant que mécanisme de protection autonome, la douleur réelle peut se déclencher ou s’exacerber simplement en fonction du langage qui est entendu et interprété. Si notre système nerveux autonome intègre l’information comme représentant l’indication d’une menace, il pourrait bien nous faire ressentir davantage de douleur. L’émotion de la peur est bien connue pour sa façon d’ancrer durablement l’information de façon importante dans notre mémoire. Si vous avez déjà vécu un événement profondément effrayant, je parie que vous vous en souvenez encore vivement aujourd’hui. Pourquoi la peur est-elle si puissante pour encoder les informations dans notre cerveau ? Car c’est une émotion primaire intimement liée à notre survie.

D’autre part, notre cerveau accorde aussi une plus grande importance aux informations lorsque ces dernières sont véhiculées par une personne qui nous est chère, ou une personne en position d’autorité que l’on croit être un expert sur le sujet. Les mots ont le pouvoir insoupçonné d’amplifier ou de diminuer la douleur. Parfois de façon très marquée. À la lumière des informations dont nous venons de discuter, que croyez-vous qu’il se passe pour la personne qui entend, de la part d’un professionnel de la santé à qui elle accorde une grande importance et crédibilité, les informations suivantes :

  • « Vous ne pourrez plus jamais exercer votre métier avec l’état de votre dos. »
  • « C’est normal que vous ayez mal. Vous présentez une profonde détérioration des cartilages de votre genou. »
  • « Votre articulation est très usée. »
  • Et mille exemples encore.

 

Premièrement, ces énoncés ne sont souvent pas suffisants pour donner une explication complète sur la douleur. Si l’on prend l’arthrose du genou à titre d’exemple, on sait que l’état physiologique de la structure aux examens médicaux n’est pas bien corrélé avec la quantité de douleur rapportée par le patient.

En revanche, ces informations sont assurément inquiétantes et effrayantes pour quiconque aux prises avec de la douleur les entend. Le sentiment de menace qui pèse sur l’individu sera ainsi tout naturellement amplifié. Puisque la douleur est un mécanisme inné visant notre protection, ces informations pourraient, paradoxalement, entraîner davantage de douleur et de limitations pour les patients. Malheureusement, les mots sont comme du dentifrice : une fois qu’on les a sortis, c’est très difficile de les remettre dans le tube !

D’un côté plus positif, les professionnels de la santé commencent à être de plus en plus conscientisés des puissants effets que le langage peut avoir sur la douleur vécue par les patients. Un langage plus factuel et mieux vulgarisé a été proposé dans une recherche médicale de 2018 et d’autres travaux à ce sujet ont lieu chaque année.

Si vous entretenez des craintes vis-à-vis de vos douleurs articulaires, obtenir de l’information rassurante et factuelle sur ces dernières pourrait vous aider à ressentir moins d’inconforts et de limitations. Les interprétations d’examens médicaux sont souvent remplies de termes compliqués et inquiétants et lorsqu’on reçoit de l’information, cela va souvent très vite. Il peut être très rassurant d’obtenir de plus amples explications et d’être redirigé vers d’autres sources d’informations afin de se concentrer sur ce que l’on peut changer pour avoir moins mal !

En conclusion, les gens peuvent bel et bien ressentir de la douleur et/ou développer des limitations fonctionnelles en fonction de leur interprétation et de leur vision des événements. En revanche, les preuves scientifiques supportent que si nous parvenons à changer la façon dont nous percevons les choses, notre situation peut aussi grandement s’améliorer !

RÉFÉRENCES

Biro D. The Language of Pain: Finding Words,Compassion, and Relief. New York, NY, 2010

Stewart et coll, Sticks and Stones: The Impact of Language in Musculoskeletal Rehabilitation, 2018