Chirurgies et effet placebo (Partie 2)

Publié le 27 octobre 2022
Écrit par Nicolas Blanchette, D.O, Sc. kinésiologie

Chirurgies et effet placebo (Partie 2)
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Avertissement : L’article qui suit n’est en aucun cas un désaveu de la médecine ou de la chirurgie orthopédique, pas plus qu’elle n’exprime l’opinion que la chirurgie ne devrait jamais être employée pour quelqu’un vivant une situation de douleur persistante. Les recherches scientifiques ont démontré hors de tous doutes l’efficacité de plusieurs procédures chirurgicales et ces dernières peuvent se révéler la méthode de choix à employer dans certaines circonstances.

Ainsi, chaque année, des milliers de gens reçoivent de l’information pertinente et éthique de la part de leurs chirurgiens pour les aider à prendre une décision éclairée. Malheureusement, plusieurs personnes en état de douleur chronique se font aussi opérer sans être au courant de l’efficacité réelle de l’intervention ou encore des avenues alternatives qui s’offrent à eux.

 

Dans la première partie de cette chronique, nous avons discuté d’un phénomène relativement récent : l’utilisation de placebo dans le domaine de la chirurgie orthopédique. En effet, dans les dernières décennies, les scientifiques se sont mis à comparer l’efficacité de certaines procédures chirurgicales couramment utilisées par rapport à une intervention dite placebo. Par exemple : un certain nombre de patients conscients de participer à une expérience, mais ne sachant pas dans quel groupe ils se trouvent (chirurgie ou placebo) pourraient recevoir un simulacre de chirurgie.

C’est-à-dire, l’équipe médicale procède à l’anesthésie de la même façon que d’habitude, réalise une incision, mais ne réalise ensuite pas le geste chirurgical habituel (l’ablation d’une partie du ménisque du genou, par exemple). Ensuite, lorsque le patient reprend connaissance, on lui fait suivre exactement les mêmes étapes de réhabilitation : repos, exercices, reconditionnement, etc.

Puis, on enregistre ses progrès au fil des semaines. On compare ensuite les résultats rapportés par le patient avec ceux du groupe de gens ayant réellement reçu l’opération. On peut ainsi constater si les effets bénéfiques d’une chirurgie vont au-delà de ceux des effets du contexte autour de l’intervention, aussi appelé « effet placebo ».

 

Quelles chirurgies ne performent pas mieux qu’une intervention placebo, dans la littérature ?


On en retrouve pour toutes les articulations ! La chirurgie placebo se révèle régulièrement aussi efficace que la chirurgie originale (Louw et autres, 2017). Voici quelques exemples :

 

Le dos

Au niveau du dos, les recherches démontrent qu’il est possible de montrer des degrés de dommages physiologiques à la colonne vertébrale considérablement importants sans forcément ressentir de vives douleurs. À l’opposé, il est également possible de ressentir de fortes douleurs sans qu’aucune lésion physiologique ne soit présente ! Eh oui, la douleur, c’est très complexe et ça va bien au-delà d’une simple image sur une radiographie ou une résonnance magnétique (Babatunde et autres, 2017).

 

La vertébroplastie est une intervention chirurgicale dans laquelle du « ciment à os » est injecté à l’intérieur d’une vertèbre fracturée pour tenter de corriger certains dommages. Une étude publiée en 2003 a montré que cette procédure fonctionnait aussi bien qu’une non-intervention lorsqu’on analysait le résultat sur la douleur autorapportée par les patients après une période de six semaines. Deux autres études de 2009 ont quant à elles montré que l’intervention ne produisait pas plus de résultats qu’une intervention placebo pour tenter de soulager les gens avec une fracture vertébrale en lien avec l’ostéoporose.

 

La fusion vertébrale lombaire est une autre intervention du dos communément pratiquée. L’objectif est d’augmenter la stabilité spinale du bas du dos en « soudant » des vertèbres ensemble. On l’utilise généralement pour les douleurs chroniques au dos et les dégénérescences discales observées aux examens médicaux. En 2013, le journal américain Spine a publié une étude comparative pour vérifier l’état des résultats de cette chirurgie lorsqu’on la compare avec des interventions non chirurgicales sur la douleur, comme l’exercice et la thérapie béhaviorale (psychologie).

Leurs conclusions ? Ils n’ont trouvé aucune différence à long terme ! Ils ont conclu leur recherche par ces propos : « pour les patients avec douleurs chroniques du dos, l’intervention chirurgicale ne devrait pas être favorisée aux dépens des approches conservatrices comme l’éducation et l’exercice (…) Il est peu probable que des recherches futures sur le même sujet viennent modifier cette conclusion. »

 

Les genoux

La ménisectomie partielle par arthroscopie consiste à retirer un morceau d’un cartilage du genou que l’on juge problématique. Elle est parfois suggérée chez les gens souffrant d’arthrose du genou. Cette opération, effectuée encore couramment, soulève beaucoup de questions. Plusieurs recherches sur cette procédure ont eu lieu dans les deux dernières décennies, ne permettant pas de prouver sa supériorité face à une intervention placebo. Il y aurait même davantage de risques pour les patients !

En 2016, le British Medical Journal arrivait à la conclusion suivante : la ménisectomie partielle par arthroscopie représente une pratique hautement questionnable qui n’est pas soutenue par les preuves (Jarvinen et autres, 2016). En 2017, une autre revue de la littérature (Siemieniuk et autres, 2017) présentait ses conclusions : « nous recommandons fortement d’éviter cette intervention pour tous les patients avec des conditions dégénératives du genou (arthrose) ». Par le passé, deux autres opérations courantes pour l’arthrose du genou, le débridement du genou et le « lavage » à la solution saline n’ont pas passé le test du placebo (Lubowitz et autres, 2002).

 

Les épaules

L’acromion est une partie osseuse de l’omoplate qui constitue ce qu’on pourrait appeler le « plafond » de l’articulation de l’épaule. L’acromioplastie est une intervention chirurgicale qui consiste à « limer » une partie de cet os. Hypothétiquement, cette procédure viserait à diminuer le frottement du tendon du supra-épineux et de la bourse sous-acromiale contre l’acromion situé juste au-dessus. Ce type de chirurgie est si populaire qu’on estime qu’elle est réalisée plus d’un demi-million de fois chaque année aux États-Unis seulement. Malgré sa pratique courante, dans la recherche, l’acromioplastie ne performe pas mieux qu’un placebo suivi d’une réhabilitation (Ketola et autres, 2013).

Qui plus est, le phénomène d’« accrochage sous-acromial » ne semble pas le mécanisme responsable de la douleur chez les gens qui ont des maux d’épaules chroniques (Park et autres, 2020). Si ce n’est pas le mécanisme de blessure, en fin de compte, il est logique qu’on n’ait rien à gagner à retirer cet os. Pourtant, cette opération est encore régulièrement pratiquée en 2022.

Pour les autres interventions de l’épaule, le portrait est moins clair. Même si certaines personnes semblent bénéficier d’une chirurgie de reconstruction de la coiffe des rotateurs (Steuri et autres, 2017), les résultats sont souvent mitigés. Par exemple, les réparations du labrum et la ténodèse du biceps ne performent pas mieux qu’une intervention placebo suivie d’une réhabilitation dans cette étude comparative à large échelle (Brox et autres, 2017). Cette autre recherche n’a pas réussi à démontrer la supériorité de deux types de chirurgie de la coiffe des rotateurs par arthroscopie en comparaison avec aucune intervention (Beard et autres, 2017).

Encore plus fascinant, l’état physiologique de la coiffe des rotateurs à l’imagerie par résonnance magnétique ne semble souvent pas corréler avec la souffrance ressentie par les patients. Par exemple, il est fréquent que des opérations de reconstruction de la coiffe des rotateurs aient cédé lorsque l’on réexamine les patients à un an d’intervalle post-opération.

Pourtant, les patients se portent bien et ne souffrent pas, et ce, même si leur coiffe des rotateurs est exactement dans le même état qu’avant l’intervention (Gulotta et autres, 2011). Il est également commun de voir, lors de résonnance magnétique comparative, une épaule gauche plus « amochée » qu’une épaule droite, et ce, même si c’est l’épaule droite qui fait très mal au patient (Baretto et autres, 2019) !

Le British Journal of Sports Medicine résumait la situation des opérations à l’épaule en 2021 : « À la lumière des preuves scientifiques actuellement disponibles, les bénéfices des interventions chirurgicales de l’épaule semblent glorifiés et exagérés ».

 

En conclusion

Que vous soyez vous-même en attente d’une chirurgie ou que vous travailliez avec des clients qui vivent de la douleur persistante et qui cherchent désespérément une solution à leurs problèmes, il est important de prendre en compte ces recherches récentes et d’en discuter.

Toute chirurgie comporte inévitablement sa part de risques et il n’est pas possible de revenir en arrière une fois l’intervention réalisée. Selon mon opinion, pour une chirurgie dont les effets n’ont pas été prouvés comme supérieurs à ceux d’une opération placebo, il vaut probablement mieux tenter de mettre, avant tout, un contexte propice à la guérison en place, à savoir : une période de repos suivie d’une réhabilitation progressive.

 

RÉFÉRENCES :

HARGROVE, Todd. Many Orthopedic Surgeries Don’t Work Better Than Placebo, En ligne, 2022.

LOUW et coll. Sham Surgery in Orthopedics: A Systematic Review of the Literature, Pain Medicine, 2017

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