Chirurgies et effet placebo (Partie 1)

Publié le 27 septembre 2022
Écrit par Nicolas Blanchette, D. O., B. Sc. kinésiologie

Chirurgies et effet placebo (Partie 1)
Bio-Strath Novembre

« Si le seul outil que vous avez est un marteau, vous tendez à voir tout problème comme un clou. »

— Dr Abraham Maslow

« Plusieurs interventions chirurgicales orthopédiques fonctionnent car elles imposent un repos forcé pour la première fois. »

— Dr Stuart McGill

 

Avertissement : L’article qui suit n’est en aucun cas un désaveu de la médecine ni de la chirurgie orthopédique, pas plus qu’elle n’exprime l’opinion que la chirurgie ne devrait jamais être employée pour quelqu’un vivant une situation de douleur persistante. Les recherches scientifiques ont démontré hors de tout doute l’efficacité de plusieurs procédures chirurgicales, et ces dernières peuvent se révéler la méthode de choix à employer dans certaines circonstances.

Ainsi, chaque année, des milliers de gens reçoivent de l’information pertinente et éthique de la part de leur chirurgien pour les aider à prendre une décision éclairée. Malheureusement, plusieurs personnes en état de douleur chronique se font aussi opérer sans être au courant de l’efficacité réelle de l’intervention ni des avenues alternatives qui s’offrent à eux.

Surprenant mais vrai : étiez-vous au courant que les interventions orthopédiques ne sont pas soumises aux mêmes protocoles rigoureux que ceux qui sont imposés, par exemple, à l’industrie pharmaceutique lorsqu’une entreprise souhaite commercialiser un nouveau médicament ?

En effet, contrairement au développement d’un nouveau comprimé antidouleur, il n’a jamais été nécessaire de prouver que l’efficacité d’une opération orthopédique va au-delà de l’effet placebo pour la pratiquer. Cela peut paraître surprenant, mais il faut se rappeler que le premier institut de chirurgie orthopédique (chirurgies du système musculosquelettique) a été fondé en 1780.

À cette époque, cette pratique était grandement basée sur la tradition ainsi que sur des croyances qui, comme dans tous les domaines, ont été invalidées depuis le temps. Étant des êtres humains avant tout, les chirurgiens et chirurgiennes ne sont pas épargnés par les biais cognitifs qui nous touchent tous : si une chirurgie permet à un patient de se sentir mieux, c’est forcément que cette chirurgie doit être efficace. Mais en est-on si certain ?

Relativement récemment, plusieurs groupes de chercheurs à travers le globe se sont penchés sur le phénomène. Différentes équipes ont ainsi mis sur pied des protocoles pour déterminer si certaines opérations orthopédiques communément pratiquées offraient des performances supérieures à une « opération placebo », c’est-à-dire une sorte de simulacre d’opération dans laquelle le patient n’est pas au courant qu’il ne reçoit pas réellement la chirurgie proposée.

Leurs conclusions ont été frappantes : plusieurs millions d’opérations des genoux, des épaules et du dos ont lieu chaque année sans que la preuve ne puisse être établie de la supériorité de l’intervention vis-à-vis une période de repos et de réhabilitation SANS opération. Il s’agit là d’informations importantes à connaître, que vous soyez en attente d’une opération ou que vous travailliez avec des clients qui vivent de la douleur persistante et qui cherchent désespérément une solution à leurs problèmes.

 

L’effet placebo soigne

Avant toute chose, il est nécessaire de faire une petite parenthèse sur l’effet placebo lui-même. Depuis très longtemps, les médecins et guérisseurs du monde sont au courant d’un phénomène mystérieux qui permet à des gens de se rétablir, parfois avec une efficacité dramatique, de différents maux et afflictions. On leur administre un remède qui n’a pas de propriétés médicinales en temps normal, mais qui, souvent jumelé à un rituel significatif pour la personne, entraîne tout de même la guérison ou l’amélioration de l’état de santé de cette dernière.

D’ailleurs, le mot « placebo » vient du mot latin « pour plaire ». À l’origine, on invente le terme « placebo » pour exprimer qu’il s’agit d’un remède qui serait donné davantage pour plaire au patient que pour un bénéfice réel pour sa santé. Il existe aussi le phénomène opposé, qu’on appelle l’« effet nocebo ». On parle de nocebo quand le résultat déclenché n’est pas positif, mais négatif.

Par exemple, dans une expérience réalisée sur plusieurs patients chez qui les médecins avaient dit avoir administré un vomitif par erreur, plusieurs patients se sont mis à vomir dans les minutes suivant l’ingestion du produit.

Or, il s’agissait tout simplement d’une banale solution sucrée, sans effet ! L’effet nocebo avait pourtant entraîné le vomissement chez de nombreux individus.

L’origine évolutive de l’effet placebo est intéressante et encore un vif sujet de débat. Ce qui est certain, c’est que l’effet placebo est réel. Il a des explications physiques, neurologiques, chimiques, psychologiques, culturelles et sociales qui sont loin d’avoir été percées totalement par la science moderne.

Pour vous donner une idée de l’ampleur de l’intérêt du phénomène, approximativement 10 articles scientifiques révisés par les pairs contenant les termes « effet placebo » sont publiés chaque jour.

En bref, qu’on parle de placebo ou de nocebo, nul doute qu’il est possible de créer une réaction positive ou négative sur la santé par la simple présence d’un contexte propice.

La présence de personnes, leur habillement, l’ambiance de la pièce, les mots utilisés par le guérisseur, l’importance donnée à la situation par le patient, ne représentent que quelques-uns des facteurs contextuels susceptibles de générer à eux seuls ou en combinaison un effet placebo ou nocebo. De ce fait, à mon avis et selon certains chercheurs, on devrait plutôt parler d’effet de contexte.

L’effet de contexte est partout et nous influence sans arrêt, qu’on en soit conscient ou pas. Et comme le médecin américain John Sarno se plaisait à le dire, l’effet placebo ultime en réadaptation musculosquelettique est sans aucun doute la chirurgie orthopédique.

 

L’effet placebo est partout

Si l’effet contextuel contribue à soulager réellement la personne qui consulte, constitue-t-il une supercherie ? Le dilemme éthique est réel ! Il faut être bien conscient de l’existence et de l’effet de ce phénomène. Cela ne veut pas dire par ailleurs qu’un praticien honnête devrait se reposer uniquement sur l’effet placebo pour générer des résultats. Il faut simplement être conscient que cet effet est toujours présent et qu’il participe dans la guérison de chaque individu, peu importe la méthode employée.

Personnellement, je ne me sens pas mal à l’aise d’affirmer que l’effet placebo (ou effet de contexte) est en partie responsable de la guérison de plusieurs clients qui me consultent ! Pourquoi le serais-je ? C’est la même réalité dans tous les domaines qui s’intéressent à la douleur, y compris la pharmacologie et la médecine. L’effet contextuel agit pour les massages et les exercices tout comme il est indissociable lorsque l’on prend un cachet, reçoit une injection ou encore lorsqu’on se fait opérer !

En effet, l’une des particularités de la douleur bien connue en sciences, c’est qu’elle est considérablement influencée par les effets de contexte.

Est-ce l’intervention chirurgicale, ou bien le placebo qui guérit les gens ?

Pour éviter de faire courir un risque inutile aux patients en les opérant, les études comparatives deviennent nécessaires. Attention : qu’une chirurgie ne présente pas d’effet supérieur à un placebo dans les études ne signifie pas que les gens ne peuvent pas se sentir mieux après l’opération ou guérir de leurs maux. Mais est-ce le fait de la chirurgie, ou bien des propres capacités de notre corps à s’autoguérir ?

Malgré les preuves modernes, plusieurs chirurgies qui n’ont pas passé les tests contre le placebo continuent souvent d’être régulièrement pratiquées, car les médecins spécialistes qui les utilisent ont constaté de bons résultats dans leur pratique chez plusieurs patients.

Rappelons-nous qu’autrefois, de nombreux médecins ne juraient que par les saignées : cette pratique de la médecine ancienne consistait à entailler le bras ou la jambe d’un malade pour encourager le corps à se purger de sa maladie !

Aujourd’hui, cela nous semble absurde. Mais à l’époque, plusieurs personnes guérissaient effectivement ! À l’unanimité, sur la base de leurs expériences anecdotiques, les médecins endossaient unanimement les saignées. Or, on sait aujourd’hui que les malades guérissaient non pas à cause des saignées, mais bien malgré celles-ci ! Pourrait-il en être de même pour certaines opérations chirurgicales modernes ?

 

Qu’est-ce qu’une intervention placebo ?

Changer un médicament pour une pilule de sucre, c’est facile. Mais comment feint-on de faire une opération chirurgicale ? Dans les recherches comparatives, il s’agit de faire réaliser aux patients, qui ne sont pas au courant dans quel groupe ils se trouvent (après avoir obtenu leur consentement), exactement le même protocole que pour une chirurgie standard, en omettant cependant l’élément principal de l’intervention.

Par exemple : on pourrait recevoir un patient à la clinique médicale, procéder à l’anesthésie de la même façon, lui faire une incision au niveau du bas du dos mais ne pas procéder ensuite à l’opération programmée. Après, lorsque le patient se réveille, on lui fait suivre exactement les mêmes étapes de réhabilitation : repos, exercices, reconditionnement, etc. Et on enregistre ses progrès. On compare ensuite les résultats rapportés par le patient avec ceux du groupe de gens ayant réellement reçu l’opération.

Fait très intéressant : tous les placebos ne sont pas égaux, en médecine ! On sait depuis longtemps que les procédures invasives (introduire quelque chose dans le corps) produisent des effets placebo plus importants que les procédures non invasives (par exemple, apposer une crème). Par ailleurs, les injections produisent des effets placebo plus importants que les pilules. Si la peau doit être coupée, l’effet placebo est encore plus puissant !

 

Mais quelles opérations chirurgicales ne performent pas mieux qu’une intervention placebo ?

La suite dans la deuxième partie de cette chronique !

 

RÉFÉRENCES :

HARGROVE, Todd. Many Orthopedic Surgeries Don’t Work Better Than Placebo, En ligne, 2022.

LOUW et coll. Sham Surgery in Orthopedics: A Systematic Review of the Literature, Pain Medicine, 2017