Comment le sommeil peut vous aider à rester mince ou à vous rendre diabétique

Publié le 12 septembre 2023
Écrit par Èvelyne Bourdua-Roy, M.D.

Comment le sommeil peut vous aider à rester mince ou à vous rendre diabétique
Now pour mai 2024

Comme médecin de famille, si je pouvais prescrire un médicament qui, à la fois, aidait à rester mince, renforçait la mémoire, contribuait à prévenir l’Alzheimer et les maladies cardiovasculaires tout en diminuant les risques de développer un cancer, le diabète, la dépression et pratiquement toutes les complications du syndrome métabolique, sans effets secondaires, je dégainerais mon carnet de prescriptions plus vite que mon ombre. Prescrire la prévention, c’est prescrire la meilleure des médecines, après tout.

Il s’avère que ce « médicament » existe et peut s’écrire sur une ordonnance, mais il ne se trouve pas sous forme de pilule. Il s’agit du sommeil, un sujet dont on ne parle pas assez souvent en médecine.

L’être humain adulte a besoin de dormir entre sept et huit heures par nuit, toutes les nuits, d’un sommeil de bonne qualité. Ces heures de repos sont tellement importantes pour la santé que plusieurs spécialistes sont d’avis que le sommeil n’est pas simplement un pilier de la santé métabolique et globale : c’est les fondations mêmes, sans lesquelles aucune santé réelle ne peut se construire.

 

Le poids

Un sommeil de durée et de qualité adéquates aide à maintenir un poids santé de plusieurs façons. Une carence en sommeil, même d’une seule nuit, peut avoir des effets délétères tangibles et observables.

Premièrement, une carence en sommeil fait augmenter le taux de ghréline, qui est la principale hormone de la faim. Le corps cherche de l’énergie extérieure et augmente ses signaux de faim, dans l’espoir d’en obtenir de la nourriture.

Parallèlement à cela, le taux de leptine, une hormone de satiété, diminue. Ainsi, on se sentira moins rassasié après un repas habituel. C’est une double punition : on a plus faim et on est moins satisfait de ce qu’on mange.

Les études sur la satiété en contexte de carence en sommeil montrent que les gens peuvent facilement consommer de 300 à 600 calories supplémentaires et plus par jour. Habituellement, ces calories supplémentaires ne proviennent pas d’un bol de salade de chou frisé, mais plutôt de malbouffe et d’aliments riches en énergie rapide.

De plus, les gens en carence de sommeil ont tendance à être plus sédentaires, en raison de la fatigue qu’ils ressentent. Ils dépensent moins d’énergie durant leur journée. Cette situation peut être aggravée si cette sédentarité est accompagnée d’une augmentation de l’exposition à la lumière bleue des écrans de téléphone ou de tablette. La lumière bleue perturbe le rythme circadien, diminue le taux de mélatonine (une hormone nécessaire au sommeil) et change l’architecture du sommeil (moins de sommeil REM, l’une des phases du sommeil).

Comme si cela n’était pas suffisant, la carence en sommeil augmente la résistance à l’insuline. Après 6 nuits de 4 heures de sommeil, les sujets d’une étude étaient 40 % moins efficaces à gérer le glucose qu’ils consommaient, comme s’ils étaient devenus prédiabétiques. Rappelons que l’insuline est l’hormone maîtresse du stockage des graisses. Plus on produit de l’insuline, plus on stocke des graisses et moins on brûle nos propres réserves corporelles.

Pis encore, une nuit trop courte augmente le niveau d’endocannabinoïdes (substances produites par le corps qui sont semblables au cannabis) en circulation, ce qui stimule l’appétit et donne envie de grignoter.

Finalement, un cerveau qui n’a pas assez dormi est un cerveau moins compétent. En effet, les zones de surveillance du cortex préfrontal nécessaires aux jugements réfléchis et aux prises de décisions contrôlées sont en « pause syndicale » lorsqu’il y a carence en sommeil. Autrement dit, la partie du cerveau qui devrait vous rappeler de ne pas manger ce beigne parce que cela n’est pas aligné sur vos objectifs de santé à court et à long termes et parce que vous savez que cela affectera négativement votre glycémie et votre insulinémie, entre autres, demeure silencieuse, à la limite du je-m’en-foutisme total. Elle laisse place à d’autres structures cérébrales plus primaires, qui veulent de l’énergie et du plaisir.

Tout cela mis ensemble contribue au gain de poids. Ainsi, dormir suffisamment en durée et en qualité est l’une des choses les plus efficaces que l’on puisse faire pour maintenir un poids santé.

 

Le taux de sucre dans le sang

Le manque de sommeil est perçu par le corps comme un stress, un signe qu’il y a un danger dans l’environnement. Cela active le système sympathique, qui prépare le corps à se battre ou à fuir. Dans un cas comme dans l’autre, le corps pense que ses muscles auront besoin d’énergie rapide. Le corps produit donc du cortisol et de l’adrénaline, mais aussi du glucose (gluconéogenèse) par le foie. Le taux de sucre dans le sang augmente, mais comme tout ce glucose ne sert pas à fuir ou à combattre, il ne fait que circuler dans les vaisseaux sanguins, sans trouver preneur. Le pancréas finit par devoir « nettoyer » le tout en sécrétant plus d’insuline.

La carence en sommeil fait augmenter le taux de sucre dans le sang et aggrave l’hyperinsulinémie. Plus cela survient souvent et plus la résistance à l’insuline s’installe. Plus on est résistant à l’insuline et plus il est facile de prendre du poids et difficile d’en perdre, car l’hyperinsulinémie favorise le stockage des graisses et inhibe la lipolyse (le brûlage de celles-ci), entre autres.

Une carence chronique en sommeil peut donc engendrer une augmentation chronique du taux de sucre dans le sang via la réponse hormonale face au stress, mais également parce que cela incite à manger davantage de calories, surtout des aliments sucrés ou à haute teneur en glucides, dans un effort plus ou moins conscient de trouver de l’énergie rapide.

Rien d’étonnant que la littérature scientifique mette en évidence un fort lien entre la carence chronique en sommeil et l’incidence du diabète de type 2.

 

Le système cardiovasculaire

Une étude menée sur des personnes de 45 ans et plus a démontré que dormir moins de 6 heures par nuit était associé à 200 % plus de risque de faire une crise cardiaque, en comparaison avec des individus dormant 7 ou 8 heures. Cela est surtout secondaire à l’augmentation de la tension artérielle systolique et de la fréquence cardiaque, laquelle est provoquée par l’activation du système sympathique.

Le cortisol, dont le taux est augmenté déjà après une seule mauvaise nuit de sommeil, entraîne une contraction des vaisseaux sanguins et une inhibition de la sécrétion de l’hormone de croissance. Celle-ci joue plusieurs rôles dans le corps, dont le maintien de l’intégrité de la paroi intérieure des vaisseaux sanguins (endothélium).

Ainsi, la tension artérielle augmente et la résistance et l’intégrité des vaisseaux sanguins diminuent. Pas surprenant que l’on retrouve plus de calcifications des coronaires chez les personnes qui dorment cinq ou six heures par nuit de manière chronique.

La carence chronique en sommeil a également des effets néfastes sur la dépendance alimentaire, la santé mentale, la santé cognitive (augmentation marquée du risque de développer l’Alzheimer, par exemple), le microbiote, le système immunitaire et anti-cancer, la mémoire et la capacité d’apprendre, le système reproducteur, la longévité, la composition corporelle, etc. Aucun organe ni aucun système n’est épargné et ne peut fonctionner optimalement sans un sommeil adéquat.

C’est pourquoi le sommeil est considéré comme l’un des grands piliers, voire les fondations, d’une bonne santé métabolique. Si la meilleure des médecines est la prévention, le sommeil de durée et de qualité adéquates est sans aucun doute l’un de ses meilleurs « médicaments ».

 

Trucs et astuces pour mieux dormir

Il est primordial d’avoir un sommeil de qualité et de quantité suffisantes pour maintenir un poids santé et aider à gérer le stress quotidien. Pour ce faire :

  • Évitez les écrans au moins 30 à 60 minutes avant l’heure du coucher, en particulier ceux qui émettent de la lumière bleue. Si vous ne pouvez les éviter, procurez-vous des lunettes qui bloquent ces rayons.
  • Pas de téléviseur ni de bureau de travail dans la chambre ! La chambre à coucher ne devrait servir qu’à quelques activités limitées, soit le sommeil, les relations sexuelles et le repos en cas de maladie.
  • Abaissez la température de votre chambre à environ 17 ou 18 degrés.
  • Veillez à ce que la pièce soit aussi sombre que possible. Au besoin, portez un masque.
  • Couchez-vous bien avant minuit, si possible. Vous aurez ainsi possiblement davantage de sommeil profond.
  • Ne faites pas d’exercice physique très intense avant d’aller vous coucher. Cela pourrait avoir un effet stimulant.
  • Essayez d’adopter une routine du soir et de la respecter. Cela aide à envoyer un signal au cerveau pour dire qu’il est temps de se préparer au sommeil. Buvez une tisane non sucrée, prenez un bain, lisez un livre, etc.
  • Si vous buvez des boissons contenant de la caféine, essayez de les consommer dans l’avant-midi seulement.
  • Si vous vous réveillez fatigué le matin ou avec un léger mal de tête ou si vous cognez souvent des clous pendant la journée, demandez à votre médecin de vous faire passer un test de dépistage d’apnée du sommeil.
  • Essayez de ne pas boire d’alcool le soir ou, du moins, de ne pas le faire fréquemment, car l’alcool ne permet pas d’avoir un sommeil de bonne qualité.
  • Si vous souffrez d’insomnie malgré une hygiène du sommeil optimale, considérez suivre un programme de thérapie cognitivocomportementale pour l’insomnie (CBT-I).
  • Si vous êtes une femme et croyez être en périménopause (âge moyen de la ménopause au Québec : 51-52 ans; la périménopause peut commencer environ 7 ans avant la vraie ménopause), parlez-en à votre médecin. La première hormone qui se dérègle est la progestérone, qui est l’hormone du sommeil profond et de la zénitude. Bien avant les bouffées de chaleur, vous pourriez avoir des « bouffées de réveil précoce » !

 

REFÉRENCES : 

Source des statistiques présentées : Pourquoi nous dormons, de Matthew Walker