Conversion… vers l’agroalimentaire

Publié le 1 mai 2025
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott

Conversion… vers l’agroalimentaire
AOR mai 2025

En Occident, le désengagement de la foi se constate entre autres par la fermeture de nombreux lieux de culte qui, selon le cas, seront transformés en condos, en bibliothèque ou même en école de cirque. Pourtant, certains d’entre eux font peau neuve en s’orientant, en partie ou en totalité, vers le domaine de l’agroalimentaire, ce qui fait l’objet du présent article.

De la Nouvelle-Zélande à la Suède, en passant par l’Irlande, des entrepreneurs privilégieront, par exemple, des projets visant la création de restaurants qui se caractérisent assez souvent par un désir de courtiser une clientèle composée de gastronomes. Certains établissements offriront néanmoins des fourchettes de prix plus abordables, dont « The Bakery at the Chapel », situé dans le sud-ouest de l’Angleterre, boulangerie ayant élu domicile dans un édifice construit au XVIIe siècle. On y déploie des efforts pour offrir des produits biologiques, vendus dans des contenants soucieux des préoccupations environnementales et, grâce à sa formule de boutique éphémère, dite pop-up, elle rayonne dans toute la région. C’est d’ailleurs le succès de cette formule qui permit l’ouverture, à Rouen en avril 2023, de la plus grande église-brasserie au monde.

Le cas de la France reste unique en Europe, puisque la déconfessionnalisation a débuté à la Révolution française. Selon certaines sources, moins de 1 % de l’ensemble des édifices religieux présents sur le territoire de l’Hexagone seraient aujourd’hui laissés à l’abandon. Des recommandations ont été émises afin de permettre des projets tels que la « Corbeille de pain », essentiellement un resto solidaire ayant pignon sur rue dans le quartier de la Madeleine à Paris. Les initiateurs du projet ont fait appel à des architectes et à des designers afin que les 250 parisiens qui y prennent leur repas chaque jour le fassent dans un lieu convivial.

Dans certains cas, comme au Royaume-Uni, le lieu de culte demeure partiellement actif, mais offre en parallèle des services de restauration, comme c’est le cas de la célèbre église de Saint-Martin-in-the-Fields de Londres. On peut y prendre le thé dans la crypte et se restaurer sur le terrain ceinturant l’église, alors qu’à l’intérieur de l’édifice ont lieu de nombreuses activités artistiques. Saint-Martin-in-the-Fields mérite d’être connue des Québécois, puisque son architecture a fortement inspiré les architectes et artisans actifs chez nous au cours du XIXe siècle.

 

Cela dit, quelle est donc la situation au Québec? Dans le quartier Pointe-Saint-Charles de Montréal, « Partageons l’espoir » (Share the Warmth, anciennement l’église Grace Church) offre des services, soit un restaurant solidaire, une banque et un marché communautaires, en plus d’assurer un service de livraison à domicile pour personnes à mobilité réduite. Dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, l’ancienne église Saint-Mathias-Apôtre, désormais connue sous le nom de « Chic Resto Pop », offre sensiblement les mêmes services que Partageons l’espoir.

Il serait faux de croire que l’ouest de l’île de Montréal (West Island) ne connaît pas l’insécurité alimentaire. L’église Saint-Columba donc consacre une partie de ses locaux pour combler ces besoins auprès des personnes âgées, plus susceptibles de connaître ce problème que la population en général.

 

D’autres projets ont de quoi étonner, dont celui de la Fromagerie du Presbytère de Sainte-Élizabeth de Warwick, qui serait le premier centre d’affinage au Canada à posséder un robot spécialisé dans le processus d’affinage. On a dû tenir compte de certains facteurs, dont celui du poids considérable des meules à affiner, ainsi que du désir de se conformer aux standards d’hygiène. Après avoir été complètement désacralisé, l’édifice a de nouveau été partiellement resacralisé pour répondre aux besoins des habitants de la paroisse.

 

Les formules retenues au Québec varient énormément d’un endroit à l’autre, comme c’est notamment le cas d’un site patrimonial situé à Saint-Alfred de Beauce. Acheté pour la modique somme d’un dollar, l’édifice a d’autre part nécessité des investissements considérables afin d’y aménager une serre et une chambre froide. L’idée, née durant la pandémie, est issue d’un désir d’offrir des légumes frais à l’année; environ 115 000 kg de légumes sont ainsi redistribués dans 50 comptoirs établis dans sept municipalités régionales de comté (MRC).

Ce ne sont pas toutes les églises qui sont vendues à un prix symbolique. Un traiteur de la région de Joliette qui souhaitait acheter un site désaffecté fut informé qu’il était de sa responsabilité de vider la crypte des monuments d’intérêt historique. Une telle dépense s’avérant trop importante pour une simple PME, l’acheteur potentiel a dû renoncer à cette acquisition.

 

D’autres problèmes inhérents à la production alimentaire feront surface, comme ceux vécus par les Jardins du Clocher, ayant pignon sur rue à l’église de Saint-Pacôme (Kamouraska). Le début du projet coïncide avec la pandémie, et les besoins énergétiques nécessaires au fonctionnement des tours verticales (salades et pousses) étaient de 22 000 à 28 000 kW par période de 30 jours. L’expérience n’étant pas profitable, on songe à l’heure actuelle à s’orienter vers d’autres projets, dont une cuisine communautaire.

 

Une autre question tout à fait pertinente se pose inévitablement : est-ce que ces conversions fonctionnent sur le long terme? Par exemple, une banque de Stanbridge East est devenue une église, avant d’être transformée en restaurant, pour enfin terminer son parcours en unités d’habitations. Dans un article de Métek Demers paru en 2015, on peut y lire que sept institutions, essentiellement des bars ou des restaurants, avaient été citées en exemple. De ce nombre, quatre d’entre elles ont franchi le cap de dix ans d’existence, ce qui est donc assez prometteur. Enfin, dans le cas de l’église de Yamachiche, l’édifice abrite déjà « Le coup de pouce alimentaire », organisme ayant près de 25 ans d’existence. Un projet est à l’étude pour diversifier davantage ses activités, en accueillant une fromagerie au sous-sol, alors qu’au presbytère, on songe à aménager un magasin général qui offrira des produits locaux à l’année.

Le cas de l’église de Yamachiche reste un exemple probant du fait que, historiquement, les églises du Québec forment les premiers noyaux à partir desquels s’enclenche le développement des agglomérations. De ce fait, elles demeurent toutes désignées pour jouer un rôle multifonctionnel, grâce à leur emplacement stratégique au sein même de la communauté.