Publié le 8 juin 2022
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott
Bien que les intentions de promouvoir l’achat local se soient manifestées avec plus d’insistance au cours des deux dernières années, beaucoup de produits n’apportent finalement aucune information utile sur l’emballage quant à la provenance des denrées, ce qui complique considérablement l’adhésion au concept d’autonomie alimentaire.
Cet article souhaite présenter le rôle que nous pouvons jouer en prenant une part active dans la définition de ce qu’est, ou de ce que devrait être ce « Panier bleu ». Cet article se concentre sur le plein potentiel de nos « terres nourricières » et de quelques produits oubliés qui pourrait nous aider dans notre autonomie alimentaire.
Il est toujours pertinent de faire un retour en arrière pour comprendre ce que nous offre notre territoire. L’histoire du Canada nous apprend qu’à l’époque des voyages de Jacques Cartier, L’Isle-aux-Coudres regorgeait de noisetiers (coudres) et on apprend aussi que des vignes sauvages poussaient sur l’île d’Orléans, ce qui lui a valu le nom d’Isle de Bacchus.
Si la cueillette (autocueillette) des noix reste encore peu connue, voire marginale au Québec, la production vinicole, après quelques siècles d’inactivité, débute de façon expérimentale en 1939 et on a dû attendre 2016 pour que cette activité, essentiellement artisanale permette aux vignobles de vendre leurs vins directement aux épiceries.
Peut-être avez-vous aussi déjà entendu parler du « melon de Montréal », caractérisé par un goût de muscade, et qui était cultivé par les Jésuites à partir de 1684. Ce sont principalement les résidents du quartier montréalais de Notre-Dame-de-Grâce qui prirent la relève, avant que l’idée ne soit reprise par nos voisins du Vermont. La réputation de ce melon fut telle, qu’il était servi dans certains grands restaurants de New York et de Chicago.
Il disparut après la Deuxième Guerre mondiale et ce n’est qu’à date récente qu’on découvrit des semences dans une banque de gènes située dans l’État américain de l’Iowa. La disparition du melon de Montréal s’explique d’une part, par le coût élevé de la main-d’œuvre de l’époque et d’autre part, par la raréfaction du fumier de cheval, employé comme engrais naturel, après que la distribution du lait a été faite par véhicules motorisés. De modestes efforts tentent de redonner vie à ce délice perdu.
La question du coût élevé de la main-d’œuvre pourrait aussi expliquer le peu d’engouement pour certaines denrées disponibles à l’état sauvage, comme les asclépiades et les glands, jadis consommés par les Premières Nations. Il faut effectivement un processus laborieux de blanchissage en plusieurs étapes afin d’éliminer l’amertume causée par les tanins. Notons que la soie de l’asclépiade peut servir au processus de rembourrage, et selon certaines archives historiques, les Hurons faisaient du cordage avec ses tiges. Les graines de cette plante avaient également des propriétés médicinales.
Contrairement aux glands et aux asclépiades, le topinambour pousse avec un minimum de soins, bien que cela ne constitue pas un gage de succès. Ce végétal fit le transit vers le continent européen et initialement, l’accueil qui lui a été réservé fut tiède et on accusa même ce tubercule de causer la lèpre. En Suisse, par exemple, on le considère même comme une plante « envahissante » et durant la Deuxième Guerre mondiale, alors que les Allemands perquisitionnaient les pommes de terre, les Français ont dû se contenter du topinambour, et ce triste souvenir reste gravé dans la mémoire collective.
Notre désir de mieux connaître des produits parfaitement adaptés à notre climat doit néanmoins se faire dans le respect de la nature ; ainsi, à une certaine époque, l’engouement pour l’ail des bois a pratiquement occasionné la disparition de l’espèce. On autorise désormais la cueillette annuelle à un maximum de 50 bulbes par personne.
Loin d’être des espèces menacées, les baies d’églantier sont riches en vitamine C et pourraient revenir dans notre alimentation en étant consommées avec précaution. En effet, un enthousiasme mal informé peut poser problème et il est absolument essentiel de retirer les petits poils de ces fruits qui seraient nocifs pour le transit intestinal. Après les avoir fait bouillir, on obtient de délicieuses tisanes, gelées ou confitures, et cet exemple met en exergue le fait qu’une connaissance de la flore québécoise reste incontournable.
Dans cette tentative de faire connaître nos plantes et végétaux, on doit saluer certaines initiatives, dont le Festival de la gourgane d’Albanel. Créé en 1974, cet événement déploie moult efforts afin que cette légumineuse, propre à la région du Lac-Saint-Jean, soit connue et appréciée par l’ensemble de la population.
Pour sa part, le site Web de Télé-Québec propose des recettes originales, dont certaines font la promotion d’aliments telle la betterave qui, la plupart du temps, est consommée chez nous comme marinade vinaigrée ou en salade. Parmi ces recettes, notons des brownies, du houmous et des smoothies. Ce légume racine est d’autre part cuisiné de mille et une façons ailleurs dans le monde : on l’emploie avec des pâtes et des noix de pin en Italie, on le sert en soupe en Europe de l’Est (bortsch) ou comme tapas en Espagne. Concrètement, une plus grande utilisation dans nos cuisines des produits du terroir signifie une plus grande demande auprès des producteurs locaux, dont la traçabilité des récoltes ne fait aucun doute.
Un rapprochement avec les Premières Nations serait aussi bénéfique, dans la mesure où leur alimentation traditionnelle était beaucoup plus variée que la suite sans fin de viandes accompagnées des trois sœurs (maïs, courges et légumineuses) dont ont fait souvent état les archives de la Nouvelle-France. On consommait, par exemple, de la sève des hêtres et on utilisait son fruit en soupe, ses feuilles en salade, alors que ses graines étaient transformées en friandises ; notons que ces friandises ont connu un bref succès auprès des colons venus de France.
On doit aussi souligner le rôle important joué par nos producteurs artisanaux qui tentent de populariser des denrées comme le miel de sapin et de livèche par le biais de marchés publics. En stimulant l’intérêt pour ces produits qui, souvent, pourrissent dans les champs ou qui sont considérés à tort comme des mauvaises herbes, on pourra ainsi puiser dans le garde-manger qui nous entoure, ce qui nous permettra de franchir une étape significative dans l’idéal d’autonomie alimentaire.