Cuisiner avec l’âme et le coeur

Publié le 22 mars 2018
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott

Cuisiner avec l’âme et le coeur

L’esprit qui transforme les aliments

 

Nous connaissons tous quelqu’un qui semble avoir une touche « magique » en cuisine ; même avec la recette qu’ils n’hésitent généralement pas à partager, ceux qui tenteront de la reproduire, arriveront rarement à l’égaler. Cela dit, dans quelle mesure pouvons-nous transformer et enrichir le goût des aliments d’une façon « immatérielle » ?

 

Voici quelques réflexions qui tentent de percer les secrets qui se cachent derrière l’extase d’une alchimie culinaire. Un exemple intéressant et peu connu est celui de la cuisine des afro-américains qui a su incarner l’âme d’une communauté marginalisée au fil du temps. Si l’expression Soul Food est née durant les années 60, elle représente néanmoins la continuité d’une longue tradition issue de la pauvreté. La majorité des cuisinières afro-américaines ont appris des générations qui les ont précédées, et selon de nombreux témoignages, si elles perpétuent ce savoir-faire, c’est essentiellement par passion  et par amour. Leur réputation, en tant que restauratrices, née de la constance de la qualité, fait en sorte que leur clientèle reste fidèle au point de souder une communauté autour de la bonne table.

Comme il était illégal pour les esclaves noirs de lire et d’écrire, ce fait explique la rareté des sources écrites propres à cette cuisine. Notons par contre qu’Abby Fischer, une esclave affranchie, aurait rédigé le premier livre de ce type de recettes vernaculaires en 1881.

Tout comme ces cuisinières, des « chefs-vedettes » masculins, souvent auteurs de livres à succès, ont aussi hérité de cette passion de leur mère ou de leurs tantes, avant d’entreprendre une formation classique. Dans le cadre d’une expérience originale, le chef Éric Ripert fit appel à une nonne bouddhiste coréenne en raison de son approche intuitive et philosophique.

Le chef français invita la nonne Jeong Kwan, qui a affirmé, lors de son récent passage au restaurant de Ripert à New York, que : « la pensée spirituelle du cuisinier influence le résultat d’un mets. Ainsi, la nourriture peut aussi bien être un médicament qu’un poison. » Cette adepte du zen (son, en coréen) incarne ainsi une école de cuisine née de l’autosuffisance alimentaire propre aux communautés monastiques. Il semblerait que le temps soit un « ingrédient » fondamental, capable de transformer et d’améliorer le goût des aliments. Mentionnons à cet effet que Jeong Kwan avait apporté dans ses bagages plusieurs ingrédients, dont une sauce soya vieille de 15 ans. (Tout comme un bon vin, la qualité de ce condiment s’accentue avec les années.)

Ce désir de mettre le temps nécessaire à la préparation d’un bon repas trouve son écho en Italie depuis les années 80 ; c’est effectivement là qu’est née une école qui s’est propagée par la suite dans plus de

100 pays de par le monde. C’est dans la région de Langhe, située non loin de la frontière française, que des citoyens ont établi un rapport clair entre le plaisir, l’origine des aliments et la vie rurale. Outre les valeurs de bonhommie et de bonne nourriture simple, le Slow Food tente ainsi de sensibiliser les citoyens à l’éco gastronomie et à l’alter consommation.

Dans cette même foulée, plusieurs cultivateurs d’ici se consacrent à une micro production, ayant emboîté le pas à un mouvement propagé depuis les années 70. C’est avec l’arrivée d’Européens qu’on a intégré de nouveaux types de plantes comestibles telles que la camerise, l’argousier et le cassis. Le mode de production demeurant encore à une échelle artisanale, il est possible d’apprécier la passion et l’amour du métier investis par ces artisans du terroir, puisqu’ils vendent souvent eux-mêmes le fruit de leur travail au consommateur.

Une anecdote intéressante prouve qu’il n’est pas toujours possible de commercialiser un aliment de base avec succès ; le fromage à la crème des Cajuns de la Louisiane était jadis préparé à la maison, et les entreprises qui ont tenté d’en faire une production artisanale, voire industrielle, ont échoué dans leur objectif d’atteindre une qualité et un goût qui soient comparables à l’original.

Les cordons-bleus seront d’accord sur ce point : la cuisine n’est pas une science, c’est un art. Ainsi, selon les adeptes de la philosophie de la Kitchen Therapy, l’état d’esprit et les gestes nécessaires à la préparation d’un repas constituent une belle occasion d’effectuer un temps d’arrêt, favorable à la méditation et à la créativité.

Le journaliste et militant Michael Pollan précise qu’en Amérique du Nord, les gens passent environ 27 minutes par jour pour préparer les 3 repas quotidiens. Cette donnée représente la moitié du temps que nous mettions à effectuer cette même tâche dans les années 60. En comparaison, on consacre environ 9,5 heures par semaine à cuisiner, en Afrique du Sud, alors qu’en Inde, toujours selon Pollan, on y consacrerait plus ou moins 13 heures. On pourrait croire que la multitude d’outils dans nos cuisines permet de réduire le temps nécessaire à la préparation des repas ; on constate cependant que la plupart des chefs utilisent un nombre tout de même assez limité d’accessoires.

Si les méthodes de production et de préparation des aliments sont primordiales, il n’en demeure pas moins que l’esprit dans lequel on mange reste tout aussi fondamental. Parmi les facteurs devant être pris en considération, mentionnons l’ambiance du lieu, la bonne compagnie, ainsi que la sensibilité à l’énergie mise à la préparation des plats que l’on s’apprête à déguster.

À titre d’exemple, certaines personnes sont d’avis que même un repas aussi routinier que le déjeuner peut s’avérer mémorable, surtout si on le prend dans certains restaurants de quartier qui ont le secret pour préparer les oeufs avec amour.

En bref, lorsque les planètes sont alignées, que les bons ingrédients s’harmonisent à une préparation inspirée des aliments et que l’état d’esprit du convive est complice de cette expérience, l’épiphanie culinaire semble assurée.

 

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