Détruire des lacs, des cours d’eau et des milieux humides pour l’extraction de minerai


Publié le 1 janvier 2021
Écrit par Gabriel Parent-Leblanc, B. Sc., M. Env.

Détruire des lacs, des cours d’eau et des milieux humides pour l’extraction de minerai

NOW 19 000 raisons

Minerai de fer Québec, une filiale de la minière australienne Champion Iron, nous propose un projet d’extraction digne du passé peu glorieux du colonialisme canadien : repartir l’exploitation de la mine de fer du lac Bloom, près de Fermont, sur la Côte-Nord.

Cependant, pour ce faire, l’entreprise indique qu’elle est « obligée de détruire des lacs, des ruisseaux, des milieux humides et des zones boisées pour stocker les 872 millions de tonnes de résidus qui seront produites au cours des prochaines années d’exploitation » (Shields, 2020a).

Vous avez bien lu, l’entreprise trouve justifiable de détruire une bonne partie de l’environnement autour de son projet de mine pour son bien-être financier. Et on ne parle pas ici que d’une petite dégradation environnementale : selon les données de l’étude d’impact fournie par la compagnie, « 160 milieux humides au total seront “ affectés ” par le projet ainsi que 35 plans et cours d’eau, dont 16 lacs » (Shields, 2020a). Les données fournies par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) diffèrent un peu, citant plutôt que « le projet est susceptible de toucher 38 lacs et un étang », mais aussi que « le projet est susceptible de toucher 41 ruisseaux » (Shields, 2020a). Peu importe la version choisie, l’impact qu’aurait l’entreposage de ces résidus miniers est absolument massif et inacceptable, étant donné que d’autres solutions existent.

Effectivement, dans une lettre adressée au ministre de l’Environnement le 10 août 2020, un regroupement de plusieurs organismes environnementaux détaille leurs préoccupations face au projet et démontre qu’une technique utilisée par plusieurs autres minières éviterait ce scénario catastrophe. J’ai été surpris en lisant cette lettre, car cette technique n’a rien de complexe et relève de la logique même… Il s’agit simplement de remplir les fosses et les excavations minières par les résidus miniers… 

 Si j’avais à expliquer le concept à un enfant de 5 ans, ça serait très simple : « les messieurs font de gros trous dans le sol pour extraire un minerai précieux et une fois que c’est fini, ils remettent les roches dans le trou ».

J’y vais avec un peu de ridicule, car l’exploitant de la mine refuse catégoriquement d’agir ainsi : « le promoteur affirme qu’il ne peut mettre en œuvre le remblaiement partiel ou complet de la fosse, car cela compromettrait la viabilité économique d’une “ potentielle ” exploitation future de la fosse en profondeur » (Fondation Rivières, 2020).

Le pire dans cette histoire, c’est que le gouvernement québécois a tous les outils pour refuser cette gestion digne du Far West… En effet, toujours selon la lettre publiée par la Fondation Rivières, « au Québec, depuis 2013, l’article 232.3 de la Loi sur les mines exige l’analyse de scénarios de remblaiement des fosses avant autorisation. Plusieurs mines en exploitation et projets en développement prévoient le remblaiement partiel ou complet des fosses, notamment le projet d’agrandissement de la mine Canadian Malartic, le projet Dumont (Royal Nickel), le projet Matawinie (Nouveau Monde Graphite). À l’international, l’État de la Californie exige le remblaiement des fosses pour tout projet de mine à ciel ouvert » (Fondation Rivières, 2020).

Or, le gouvernement du Québec semble à l’aise avec ce projet. À l’heure d’écrire ces lignes (septembre 2020), toujours aucune audience publique devant le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) n’était prévue, élément réclamé par le regroupement derrière la lettre mentionné dans cet article (Shields, 2020b). 

 Pourquoi est-ce qu’un projet d’exploitation minière, dont les résidus miniers viendraient détruire des centaines de milieux humides, de lacs et de cours d’eau suscite autant peu d’indignation au niveau gouvernemental !?

Un élément de la réponse se trouve dans le fait que le gouvernement du Québec, via son organisme d’investissement Ressources Québec, a investi pas moins de 51,4 millions de dollars pour aider la relance de la mine par Minerai de fer Québec, filiale de Champion Iron Limited (Jolicoeur Tétreault, 2017).

À titre d’information, cette entreprise australienne a enregistré des revenus de 785 millions de dollars l’an dernier (Shields, 2020a)… Pourquoi diantre devrions-nous payer pour « aider » cette riche multinationale à extraire le sous-sol québécois, exporter la ressource, détruire la nature, puis finalement payer la note pour nettoyer et restaurer le site minier qui sera abandonné par la compagnie dès que l’extraction sera terminée !?

Ça n’a aucun sens… Mais je connais déjà la réponse des capitalistes (les propriétaires du capital, c’est-à-dire ni vous ni moi)… Les emplois, les fameux emplois ! À titre d’indication, on parle d’environ 450 emplois pendant la phase d’exploitation (Jolicoeur Tétreault, 2017).

 

Plus ça change, plus c’est pareil

L’utilisation des lacs par l’industrie minière comme poubelle pour leurs résidus miniers n’est pas une nouveauté au Canada, malheureusement. Ce qui me choque dans le projet décrit dans cet article, c’est de voir que pas grand-chose n’a changé avec les années. Je m’explique : ça fait maintenant plus de 12 ans que je suis chroniqueur en environnement pour le magazine Vitalité Québec. Un des premiers articles que j’ai publiés, en octobre 2008, intitulé « Les poissons ont la mine basse », expliquait le phénomène et comment les minières étaient autorisées à complètement détruire des réseaux hydrographiques pour leurs profits :

Une des plus vieilles législations par rapport à la protection de l’environnement est la Loi sur les pêches. Datant de 1977, cette dernière établit certaines mesures quant à l’exploitation et à la protection de la vie marine, où dans le cas qui nous intéresse, les poissons. En effet, l’article 36 de ladite loi établit des barèmes quant aux rejets toxiques des industries minières lorsqu’en présence de grands poissons tels le saumon et la truite. En fait, cette loi était très bien conçue pour une protection adéquate, car ces poissons sont présents partout dans le paysage canadien. Il s’en est donc suivi une réduction des rejets toxiques par les mines dans les régions où ces poissons s’y trouvent. Bien entendu, les propriétaires de mines n’étaient pas très enjoués à l’idée de réduire leur pollution, et donc leur production. Récemment, avec une demande de plus en plus haute pour certains métaux, de la Chine notamment, il y a un effet de « boom » dans les centres miniers. Par le fait même, la pression sur le gouvernement des groupes miniers a grandement augmenté et s’est soldé en une modification de la Loi sur les pêches. En effet, en 2002, de nouvelles normes ont été enregistrées sous le nom de Règlement sur les effluents des mines de métaux et des mines de diamants (REMM). Ce dernier complète l’article 36 de la Loi sur les pêches et permet à une industrie minière de rejeter n’importe quelle substance dangereuse dans un lac, à condition que cette étendue d’eau soit mise dans l’annexe 2. Donc, si une étendue d’eau est incluse dans l’annexe 2 du REMM par le gouvernement fédéral, celle-ci devient automatiquement un dépôt de résidus miniers, et par le fait même, une poubelle toxique propriété d’une riche compagnie minière.

En 2020, Minerai de fer Québec profite toujours de la même brèche réglementaire… Dans leur lettre, le regroupement d’organismes environnementaux exhorte le ministre de l’Environnement : « Québec doit fermer cette brèche et interdire clairement ce type de pratique sur son territoire, tout en exigeant des alternatives pour éviter la destruction de lacs et de cours d’eau » (Fondation Rivières, 2020).

Bref, la manière dont le gouvernement du Québec va gérer ce dossier pourrait devenir un précédent dangereux. Dans la forme proposée actuelle, l’agrandissement de l’entreposage des déchets miniers de la mine du Lac Bloom par la minière australienne Champion Iron détruirait des centaines de milieux humides, de cours d’eau et de lacs. Est-ce que cela représente un sacrifice acceptable, alors qu’une solution très simple utilisée dans d’autres mines au Québec et ailleurs éviterait cette catastrophe environnementale ? Effectivement, la technique de remettre les résidus miniers dans les fosses et les excavations minières pourrait être envisagée et même exigée par le gouvernement, mais la compagnie refuse ce scénario. Trop cher, nous dit-on… Utiliser des lacs comme une poubelle, c’est vrai que c’est bien plus « winner » (pour paraphraser le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, à propos du partage des données de la RAMQ aux géants pharmaceutiques). Pour terminer, êtes-vous tanné, comme moi, de n’entendre parler que de la COVID dans vos discussions en famille ou entre amis ? Pourquoi ne pas changer de sujet et sensibiliser vos proches à cette atrocité en devenir…!

 

RÉFÉRENCES

Fondation Rivières. (2020). BAPE sur le projet d’agrandissement de la capacité d’entreposage de déchets miniers de la mine Lac Bloom (Champion Iron). [En ligne] https://fondationrivieres.org/wp-content/uploads/2020/08/Lettre-au-ministre-Environnement-BAPEMineLacBloom.pdf (Page consultée le 1er septembre 2020).

Jolicoeur Tétreault, F. (2017). Fermont: Québec a injecté 51 M$ dans la relance de la mine de fer du lac Bloom. Le Devoir. [En ligne] https://www.journaldequebec.com/2017/11/15/quebec-accorde-21-millions–pour-relancer-la-mine-du-lac-bloom (Page consultée le 1er septembre 2020).

Shields, A. (2020a). Des lacs sacrifiés pour stocker des résidus miniers. Le Devoir. [En ligne] https://www.ledevoir.com/societe/environnement/582906/des-lacs-sacrifies-pour-stocker-des-residus-miniers (Page consultée le 1er septembre 2020).

Shields, A. (2020b). Toujours pas de BAPE en vue à la mine du lac Bloom. Le Devoir. [En ligne] https://www.ledevoir.com/societe/environnement/584045/environnement-toujours-pas-de-bape-en-vue-a-la-mine-du-lac-bloom (Page consultée le 1er septembre 2020).