Publié le 31 mars 2024
Écrit par Gabriel Parent-Leblanc, B. Sc., M. Env.
Actuellement, seulement 35 % des aliments que nous consommons sont produits au Québec.
C’est ce que révèle le reportage « Alimentation : le Québec peut-il être autonome ? » produit par Radio-Canada en 2020 dans le contexte unique de la pandémie, où la disruption des chaînes d’approvisionnement était sur toutes les lèvres. Rappelez-vous, à l’époque, que tous les pépiniéristes et les semenciers du Québec avaient été pris d’assaut, car tout le monde voulait se lancer dans le jardinage par peur de manquer de nourriture. Vers la fin de l’été, ce fut la pénurie de pots Masson, car tous ces nouveaux jardiniers se lançaient dans la transformation de leurs récoltes, du jamais vu !
Quatre ans plus tard, on constate que le sujet est un peu tombé aux oubliettes. Malgré les bonnes intentions de l’époque, très peu a été réalisé dans le concret pour limiter notre dépendance alimentaire. Or, dans le contexte actuel, où les épisodes météo de plus en plus extrêmes et imprévisibles menacent les récoltes et l’entièreté de la chaîne d’approvisionnement, je crois que c’est un sujet qui devrait encore être d’actualité.
Ceci est sans considérer l’inflation monstre que l’on vit depuis quelques années pour le panier d’épicerie ; le prix des aliments ayant bondi de plus de 50 % pour plusieurs catégories, entre janvier 2022 et octobre 2023. La situation est tellement insoutenable que les experts ont remarqué que les gens ont commencé à manger moins, et moins bien pour essayer d’économiser. Effectivement, les chiffres de ventes au détail en alimentation stagnent présentement, malgré les augmentations constantes de prix et les 150 000 nouvelles personnes au Québec depuis 2022… Ça en dit long !
Explorons donc le dossier en revisitant le documentaire de Radio-Canada Carbone.
Le Québec, une contrée de porcs et de maïs transgénique
Au Québec, 75 % des terres agricoles sont utilisées pour récolter du maïs en grain, un maïs génétiquement modifié qui sert à nourrir 7 millions de porcs d’élevage dont la viande est exportée à 75 % vers les marchés étrangers.
Il est aisé de constater qu’on est donc assez loin d’une vision d’autosuffisance alimentaire…
Volonté politique recherchée
Pour se rapprocher de l’autonomie alimentaire, il faudrait produire possiblement plus, mais surtout diversifier la production, ce que le système actuel prohibe activement. Effectivement, si rien n’a bougé depuis 2020 dans ce dossier, c’est à cause d’un système réglementaire rigide et désuet. Selon le reportage de Radio-Canada, les programmes mixtes qui régissent les conditions de production et de mise en marché de certaines productions[1] sont en partie responsables. En effet, un très petit nombre de personnes se retrouvent à contrôler la totalité de la production de leur domaine, étouffant ainsi tout petit producteur qui voudrait diversifier ses productions pour nourrir son monde localement.
Ça va encore plus loin pour certains programmes mixtes avec la gestion de l’offre. Pour produire, les agriculteurs doivent détenir un quota, qui change très rarement de mains et qui coûte une petite fortune à ces derniers. Hors quota, les producteurs ont le droit d’élever seulement 25 dindons, 300 poulets, 100 poules pondeuses et 0 vache laitière[2].
Il n’y aurait aucune répercussion négative à ouvrir légèrement ces quotas à, par exemple, 2000 poulets au lieu de 300 ou 500 poules pondeuses au lieu de 100, car cela représenterait moins de 1 % de la production totale au Québec.
Or, tous ces programmes mixtes de production sont contrôlés par une seule et unique entité syndicale, l’Union des producteurs agricoles (UPA). La loi sur les producteurs agricoles lui confère le monopole, statuant qu’il ne peut y avoir qu’un seul syndicat en agriculture au Québec. Selon plusieurs experts interrogés dans le documentaire, la diversification de la production et l’atteinte de l’autonomie alimentaire au Québec ne peuvent passer que par une représentation multiple, par plus d’un syndicat. C’était l’une des recommandations du rapport Pronovost, publié en 2008 après deux ans de consultation dans le cadre de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois. Ce rapport, qu’une multitude d’intervenants du milieu qualifient de bible, a depuis été tabletté et les changements demandés par les 49 recommandations n’ont malheureusement jamais vu le jour par manque de courage politique.
Dépendance dans l’entièreté du procédé
Même pour les aliments produits au Québec, on est loin de l’indépendance. On a effectivement besoin de travailleurs étrangers pour les récolter ; le travail étant trop ardu, répétitif et ne payant pas assez pour intéresser les travailleurs québécois. En 2022, l’agriculture québécoise a eu besoin de plus de 32 000 travailleurs étrangers pour ses récoltes.
De même, vu la spécialisation et l’industrialisation des fermes, celles-ci se retrouvent dépendantes d’intrants externes. Alors que la rotation des cultures, l’utilisation de légumineuses dans les champs et l’utilisation de fumier animal assuraient auparavant la vitalité des sols, on engraisse désormais nos sols dépourvus de vie bactérienne avec des fertilisants venant de l’extérieur. Les engrais azotés (N) sont fabriqués à partir de gaz naturel en Russie, le phosphore (P) provient des États-Unis et le potassium (K) est habituellement extrait au Manitoba où l’on retrouve 10 des 11 mines en activité au Canada.
L’autonomie passe par le local
La solution à cette dépendance, au-delà de l’aspect réglementaire, est déjà connue depuis belle lurette : il faut ramener et encourager les petites fermes de proximité. Celles-ci pratiquent souvent le maraîchage bio-intensif, une technique qui utilise la diversité des cultures sur une toute petite parcelle. En priorisant le travail manuel plutôt que le polluant tracteur et en évitant les fertilisants synthétiques, ces agriculteurs de nouvelle génération s’assurent de la santé du sol et de leurs concitoyens grâce à leurs produits frais et de meilleure qualité.
Dans ce secteur, la situation est actuellement grave, car la majorité des exploitants de ces petites fermes sont à bout de souffle. L’année 2023 a représenté une tempête insurmontable pour plusieurs : hausse des taux d’intérêt et du coût des intrants, taux d’inflation et pertes anormalement élevées en raison d’une météo exécrable. Ce contexte difficile fait en sorte que l’on peut s’attendre à ce que plusieurs petites fermes québécoises doivent fermer leurs portes ou réduire leurs opérations pour 2024… L’entrevue à la radio d’Étienne Goyer du Jardin du village de Caplan en Gaspésie résume parfaitement le tout : « en raison de la pandémie, le gouvernement semblait vouloir miser sur l’autonomie alimentaire. En 2020, on sentait une véritable dynamique, mais les promesses ne se sont pas matérialisées. On aimerait que le ministère de l’Agriculture soit dirigé par un ministre dévoué à la cause. […] La plupart des ministres qui ont occupé ce poste semblent assumer leurs fonctions sans véritable leadership, en attendant le prochain remaniement ministériel ».
Je veux faire partie de la solution
Vous l’aurez deviné, la première chose à faire serait d’aider les agriculteurs locaux. Comme on peut malheureusement s’attendre à ce que ce gouvernement complaisant continue à patauger dans la médiocrité[3], c’est encore aux citoyens allumés que revient ce devoir.
Pour cet été, pensez à vous abonner à un panier de légumes de votre agriculteur local. Vous pouvez les trouver sur ces sites :
https://www.fermierdefamille.com/fr/
https://mangeonslocal.upa.qc.ca/explorer?category=farm
Je sais que c’est de plus en plus difficile de se nourrir à un coût raisonnable en 2024 et que les prix plus élevés des petits producteurs risquent d’en effrayer plus d’un, mais je crois que nous sommes mûrs pour un changement de paradigme. Il faut sortir d’une logique de bas prix à tout prix, tout est une question de priorité. Payer un peu plus cher pour un produit frais et d’une grande qualité produit par des êtres humains que vous côtoyez devrait être considéré comme le meilleur investissement. Après tout, est-ce que c’est vraiment rentable de payer légèrement moins cher pour un produit beau en apparence, mais complètement dénutri parce qu’il a été récolté il y a deux semaines et qu’il a parcouru 2 000 kilomètres pour se retrouver dans votre panier ? Se poser la question, c’est y répondre.
Il faut aussi revenir à un esprit de célébration des récoltes et des saisons. Si on veut être le moindrement autonomes, il va falloir se faire à l’idée qu’il n’est pas possible d’avoir tous les produits disponibles à tout moment de l’année dans les épiceries, ce n’est pas durable. Comme le résume le reportage de Radio-Canada : « il n’y a pas si longtemps, il y a 25-30 ans, on mangeait en s’adaptant aux saisons, les gens célébraient ça, ça faisait partie de notre culture culinaire ».
Évidemment, rien ne vous empêche de jardiner vous-même vos fruits et légumes ! Pour ceux qui voudraient démarrer cette belle aventure, je vous encourage à lire cet article en deux parties :
Astuces pour planifier son jardin cet été — les semis
Astuces pour planifier son jardin cet été — techniques et légumes vivaces
En plus d’avoir du plaisir à le pratiquer, le jardinage peut être très rentable. Laurent Dubois, un jardinier amateur de Gatineau, a récemment publié un registre de son expérience de jardinage et les résultats sont surprenants ! Effectivement, en considérant les coûts des aliments à l’épicerie, la quantité de légumes produits, l’investissement de départ et son temps, il arrive à la conclusion qu’il fait 50 $ par heure en jardinant !
Bref, quatre ans après la pandémie, il est triste de constater que l’engouement envers l’autosuffisance alimentaire durant cette période n’a malheureusement pas mené à des changements majeurs au Québec. Devant une rigidité réglementaire et le peu de volonté de la part du gouvernement, on se retrouve toujours à encourager les grandes cultures de maïs en grain et de soya OGM pour nourrir des porcs, dont la viande sera exportée, alors qu’on pourrait plutôt diversifier notre agriculture pour essayer de nourrir notre monde. Si l’on veut reprendre le pouvoir sur le contenu de nos assiettes et être le moindrement autonome en cas de catastrophe (crise climatique, pandémie, etc.), il faudra absolument encourager nos petits agriculteurs locaux. Pas seulement en étant prêt à payer plus pour leurs produits, mais aussi en retirant les barrières réglementaires qui limitent sérieusement leur implantation. Après tout, comme le dit Jean-Martin Fortier, une référence dans le domaine du maraîchage sur petites surfaces, dans le reportage de Radio-Canada, « l’agriculture de demain, ça commence aujourd’hui avec les choix qu’on fait ».
Pour voir le reportage complet de Radio-Canada « Alimentation : le Québec peut-il être autonome ? » :https://youtu.be/vLo4GXk1mNo
RÉFÉRENCES :
Boumedda, S. (2023). Une épicerie qui vous coûte toujours plus cher. Le Devoir. [En ligne] https://www.ledevoir.com/interactif/2023-12-04/panier-epicerie/index.html (Page consultée le 4 janvier 2024).
CiEU FM. (2023). Le MAPAQ et la Financière agricole doivent en faire plus. [En ligne] https://cieufm.com/le-mapaq-et-la-financiere-agricole-doivent-en-faire-plus/ (Page consultée le 4 janvier 2024).
Labbé, C. (2023). Rentable, le jardinage domestique? [En ligne] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1969091/potager-rentable-jardinage-domestique (Page consultée le 5 janvier 2024).
Laplante, M. (2023). Autonomie alimentaire au Québec : vraiment?. Institut de recherche et d’informations socioéconomique [En ligne] https://iris-recherche.qc.ca/blogue/environnement-ressources-et-energie/autonomie-alimentaire-quebec/ (Page consultée le 4 janvier 2024).
Radio-Canada Carbone. (2020). Agriculture : le Québec loin de l’autonomie alimentaire. [En ligne] https://ici.radio-canada.ca/carbone/reportage/document/nouvelles/article/1741053/autonomie-alimentaire-carbone-agriculture-quebec-semaine-verte (Page consultée le 4 janvier 2024).
[1] Œufs, produits de l’érable, volaille, porc, bleuets, lapins, légumes de transformation, ovins, pommes de terre et lait.
[2] Production de lait interdite sans quota !
[3] On a 7,3 milliards à distribuer pour un projet de méga-usine de batteries dont la construction va détruire 74 milieux humides, mais pas pour nourrir notre monde !