Douleur et posture : tiens-toi droit… ou pas ?

Publié le 16 février 2023
Écrit par Nicolas Blanchette, D.O, B. Sc. kinésiologie

Douleur et posture : tiens-toi droit… ou pas ?

« Si tu continues à te tenir comme cela, tu auras inévitablement mal au dos ! » « Si tu ne veux pas avoir mal au dos, tiens-toi droit ! »

Qui n’a jamais entendu ces énoncés ? La croyance populaire veut que le fait de maintenir une « bonne posture » aille un rôle important à jouer pour protéger la colonne vertébrale d’éventuels dommages, ainsi que pour soigner les épisodes de maux de dos. Se tenir grand et droit, placer sa colonne bien « alignée » ou encore soulever des objets sans fléchir le dos en se servant surtout de ses jambes sont autant de recommandations fréquemment données pour prévenir ou guérir les maux de dos.

À l’opposé, présenter un dos plus arrondi ou voûté, ou soulever des charges avec la colonne en flexion sont souvent blâmés pour divers problèmes du dos. Mais ces croyances populaires sur la posture sont-elles basées sur la science ? Les gens qui se tiennent le dos « droit » jouissent-ils réellement d’une meilleure santé vertébrale ?

En science, ce qui semble avoir du sens en apparence ne correspond pas toujours à la réalité, lorsque l’on se met à tester des hypothèses de façon rigoureuse ! De manière assez étonnante, les preuves scientifiques liant la douleur à la posture sont plutôt faibles et peu nombreuses. Par exemple, la revue systématique des recherches dans le domaine a montré généralement peu d’effets des interventions ergonomiques visant à corriger la posture pour réduire les incidences ou la sévérité des maux de dos et de cou.

Ceci a été constaté pour le travail de bureau (Driessen et coll., 2010) ou encore le travail physique demandant le soulèvement de charges (Clemes et coll., 2010). La perception que nous avons d’une posture « souhaitable » semblerait davantage basée sur la désirabilité sociale et sur des présomptions non fondées que sur ses effets réels sur la santé et la performance.

 

Bien assis ?

À ce jour, la revue de la littérature sur le sujet arrive à la conclusion qu’il n’y a malheureusement pas de posture précise mieux qu’une autre qui permettrait de se protéger des épisodes de maux de dos. En effet, les gens qui souffrent moins de maux de dos ne s’assoient pas différemment de ceux qui vivent davantage d’épisodes de lombalgie ! La conclusion est la même que l’on s’intéresse aux postures assises (Swain et coll., 2020) ou debout (Laird et coll., 2014). C’est aussi la même chose chez nos adolescents (O’Sullivan et coll., 2011). En outre, le fait que l’on se tienne très droit ou avec le dos voûté ne semble pas avoir d’incidence sur le nombre d’épisodes de maux de dos vécus (Slater et coll., 2019).

 

Le soulèvement de charges

Les graphiques d’ergonomie de travail montrent depuis longtemps des pictogrammes censés nous enseigner comment il faut soulever des charges pour ne pas se blesser. On déconseille d’arrondir le dos et on suggère de le maintenir le plus droit possible, tout en travaillant surtout avec ses jambes. Est-ce que soulever des charges avec le dos arrondi est néfaste ? Se blesse-t-on davantage au dos, si on le fait ? Qu’en dit la science ?

La revue systématique des recherches ne montre aucune relation entre soulever une charge avec la colonne lombaire en flexion et le fait de se blesser davantage (Saraceni et coll., 2019). De manière intéressante, les individus qui n’ont pas mal au dos soulèvent plus souvent des charges avec une posture voûtée. En revanche, ceux qui vivent des épisodes de maux de dos ont davantage tendance à soulever les charges en utilisant leurs jambes et en maintenant un dos droit.

En d’autres mots, les lombalgiques ont davantage tendance à surprotéger leur dos et à surveiller leurs mouvements que leurs collègues qui n’ont pas mal au dos. En revanche, lorsque ces personnes se portent mieux, elles adoptent des positions de la colonne vertébrale plus variées (Wernli et coll., 2020).

Aurions-nous mal compris la posture à adopter depuis le début ? L’ajustement dans la posture vertébrale lors du soulèvement de charges semble davantage une conséquence d’avoir mal au dos qu’une position qu’il serait souhaitable d’adopter pour éviter les maux de dos !

 

La posture : un concept à repenser

Les recherches modernes nous montrent qu’il n’existe aucune preuve d’une posture optimale pour prévenir ou réduire les épisodes de maux de dos. La colonne vertébrale des individus peut être d’une forme, grosseur et courbure différentes, ce qui fait que la posture est hautement individuelle (et c’est parfait ainsi !).

À travers le monde, les expériences scientifiques nous montrent qu’il est important de bouger régulièrement, pour maintenir un dos en santé. Par conséquent, apprendre à varier ses postures et à en adopter plusieurs dans lesquelles nous sommes confortables semblent être définitivement plus utiles que d’adhérer de façon rigide à un guide de bonne posture ! Optimiser son ergonomie, peut-être, mais surtout on s’offre plusieurs périodes pour bouger et changer de position !

Le rôle de l’alignement des segments de la colonne vertébrale n’est pas de plaire à un critique observateur externe ou à un modèle standard universel. C’est de nous aider à accomplir efficacement et de manière sécuritaire des tâches physiques : se tenir debout, s’asseoir, marcher, courir, ramasser des objets, etc. La posture devrait logiquement être jugée sur la façon dont on se sent et la manière dont on réalise ces activités, et pas sur l’allure qu’elle nous donne !

 

Si ce n’est pas la posture, alors c’est quoi ?

Croyez-le ou non, les recherches montrent que pour 90 % des maux de dos, il n’est pas possible de déterminer un tissu endommagé ou une pathologie précise à l’aide des examens médicaux (Maher et coll., 2017). Certes, telle une entorse à la cheville, les maux de dos peuvent être parfois causés par un effort soudain, inhabituel ou brusque.

Toutefois, la majorité du temps, le mal de dos semble apparaître spontanément, après un mouvement tout à fait anodin que vous avez déjà réalisé des milliers de fois sans problème par le passé : se pencher pour ramasser un crayon, monter les escaliers, tousser, etc. D’autre fois, la lombalgie aiguë s’installe sans aucun mouvement, un peu comme un mal de tête sournois qui se manifeste sans raison apparente !

Il n’est malheureusement pas possible de s’immuniser complètement contre un mal de dos occasionnel ! Toutefois, les recherches nous montrent que nous sommes plus vulnérables aux épisodes de maux de dos lorsque notre état de santé général est touché par différents facteurs, comme exemples :

  • se sentir déprimé ou anxieux;
  • être fatigué;
  • dormir peu ou avoir un sommeil de mauvaise qualité;
  • faire peu d’exercice physique (moins de 20 minutes d’exercice modéré par jour).

Par ailleurs, les maux de dos sont plus à même de persister dans le temps si :

  • nous sommes profondément inquiets et effrayés par rapport à notre état (Picavet et coll., 2002);
  • nous surprotégeons notre dos en évitant de bouger, de faire des activités physiques, de travailler ou de participer à des activités sociales pendant plus de quelques jours (Chen et coll., 2017).

 

Que peut-on faire pour aider notre mal de dos à disparaître ?

Pour une minorité de cas (moins de 5 %), le mal de dos peut malheureusement être causé par une pathologie plus grave, telle qu’une fracture, une tumeur, une infection ou une atteinte à un nerf (impliquant des pertes de sensation ou de force dans les jambes). Une consultation médicale est alors nécessaire.

Heureusement, dans la vaste majorité des cas, le mal de dos est associé à une sensibilisation de la région du dos sans atteinte identifiable des composantes anatomiques aux examens médicaux. Dans cette situation fréquente, mettre trop d’accent sur la nécessité de maintenir une bonne posture ne semble pas être la priorité. Cela peut, au contraire, nous empêcher d’accorder plus d’importance aux autres facteurs qui sont davantage en lien avec une bonne santé vertébrale, qui sont les suivants :

  • réaliser quotidiennement de l’exercice physique;
  • avoir une hygiène de sommeil adéquate;
  • s’accorder du temps pour soi et se reposer;
  • cuisiner et bien s’alimenter, pour maintenir un poids santé;
  • développer sa force et son endurance, pour réaliser avec confiance les tâches de la vie quotidienne;
  • prendre soin de sa santé physique et mentale;
  • faire régulièrement bouger sa colonne vertébrale de plusieurs manières.

 

Le rôle du thérapeute manuel et du kinésiologue

La thérapie manuelle, telle que pratiquée par une variété de professionnels comme les ostéopathes, peut aider à désensibiliser la douleur temporairement. Elle n’est pas un miracle, mais apporte souvent un soulagement et permet de recommencer à bouger plus rapidement ! Cela représente déjà un avantage considérable pour prendre de bonnes habitudes dans le but de se sortir de la « crise » de lombalgie et reprendre confiance en ses capacités !

Les exercices physiques, tels que ceux que l’on peut apprendre par un kinésiologue, jouent aussi un rôle important dans la réadaptation. Bien dosés, ils permettent de désensibiliser graduellement la douleur en période de crise. De plus, ils ont un effet préventif très intéressant. En réalisant régulièrement de courtes séances d’exercice, il est possible d’entraîner son système nerveux à diminuer l’intensité de la douleur de lui-même pour les prochains épisodes (De Oliveira, 2019). C’est très utile pour prévenir les récidives et s’en sortir plus rapidement la prochaine fois !

 

RÉFÉRENCES  :

WHITE, Scott, Having ‘good’ posture doesn’t prevent back pain, and ‘bad’ posture doesn’t cause it, 2022

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