Publié le 16 janvier 2016
Écrit par Gabriel Parent-Leblanc. B. Sc., M. Env.
Septembre 2015 : la ville de Montréal annonce que 8 milliards de litres d’eaux usées non traitées seront rejetés dans le fleuve Saint-Laurent entre le 18 et le 25 octobre 2015 lors de la construction d’une nouvelle chute à neige.
SCANDALE. Les médias s’emparent de la nouvelle (avec raison), et tous les paliers gouvernementaux doivent expliquer comment et pourquoi un tel rejet peut encore être justifié en 2015. D’un côté, le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques a accepté le tout avec un certificat d’autorisation, et aucune analyse indépendante n’a été réalisée (un « copier coller » des documents de la Ville s’y trouve). Lorsque pressé sur le sujet en chambre parlementaire, le ministre Heurtel a affirmé le7octobre2015que « c’est l’approvisionnement en eau potable de l’île de Montréal qui est en péril»(celui-ci s’est mélangé entre « eau potable » et « eau usée », il faut croire). David Heurtel n’en est pas à sa première bourde…
Au niveau fédéral, la ministre de l’Environnement, Leona Aglukkaq, a fait savoir le 7 octobre 2015 que son ministère n’avait été informé du déversement que la semaine précédente.
Or, il a été prouvé par la suite que son ministère avait toutes les données depuis septembre 2014. Une semaine plus tard, Environnement Canada annonçait la suspension du projet grâce à un arrêté ministériel d’urgence le temps qu’un expert indépendant procède à un examen des impacts du déversement. Rappelez-vous que ces événements se sont produits pendant la période électorale ; il ne s’agit là que d’une manoeuvre politique des conservateurs alors au pouvoir. Effectivement, les conservateurs ont un bilan atroce en matière de protection de l’eau :
Au-delà du déversement, le Flushgate fait prendre conscience aux gens que la gestion des eaux usées est problématique – pas seulement à Montréal, mais partout au Québec, et même à travers le monde. En effet, ce n’est pas les 8 milliards d’eaux usées, le problème, c’est le réseau au grand complet ! Selon l’article de La Presse du 7 octobre 2015 « Les eaux traitées à peine moins contaminées, selon deux experts », « […] la station d’épuration montréalaise élimine seulement80%des matières en suspension et aumieux50%de la contamination bactériologique et des contaminants solubles.[…] Nous avons vraiment le minimum. Moins que ça, on serait dans un pays en voie de développement. […] Pour ce qui est de la contamination bactérienne : les virus, les parasites, les maladies, il n’y a pas une grosse différence entre ce qui est rejeté tous les jours et ce qu’on propose de rejeter pendant une
semaine ».
Ceci est sans compter les débordements d’égout, qui arrivent très souvent. Parfois, le réseau ne peut pas traiter toute l’eau présente (fortes pluies, fonte des neiges, urgences, etc.), si bien que les ouvrages de surverse sont activés et que l’eau non traitée est rejetée directement dans un cours d’eau. À Montréal, en 2013, ilyaeu1442 déversements. Vous avez bien lu, c’est presque quatre par jour, réparti sur une année…
En tout et partout, au Québec, toujours en 2013, il y a eu près de 45 500 rejets d’eaux usées non traitées dans la nature. C’est donc dire qu’aujourd’hui, pendant que vous lisez cet article, il y a eu 125 déversements dans notre belle province…
Assez déprimant !
Le cancre en matière de surverse est la Ville de Québec : 3198, toujours pour2013, soit presque 9 par jour… Le pire, c’est que ces données sont sous estimées. Effectivement, à peine la moitié des ouvrages de surverse étaient munis de capteurs électroniques relayant les données. Pour le reste, on parle d’unevisiteparsemaineparunemployédelaVille.Qu’ilyaiteu1surverseou 10, l’employé notera 1 surverse!Sivousvoulezvoirlesdonnéesdevotreville, elles sont disponibles sur le site du ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire :
Ouvrages de surverse et stations d’épuration – Évaluation de performance des ouvrages municipaux d’assainissement des eaux pour l’année 2013.[http://www.mamrot.gouv.qc.ca/pub/infrastructures/suivi_ouvrages_assainissement_eaux/eval_perform_rapport_2013.pdf]
Quoi faire pour limiter la pollution ?
Une solution technique pouvant être utilisée pour éviter les surverses est la construction de bassins de rétention souterrains qui collectent les eaux usées lors de grandes pluies ou de la fonte des neiges. Ces ouvrages sont efficaces– il y en a déjà plus d’une douzaine sur l’île de Montréal – , mais il en faudrait plus et leur construction coûte très cher.
Une solution moins coûteuse et plus durable est l’installation d’infrastructures vertes ( toits verts, routes poreuses, etc.) et la sauvegarde ou la régénération de milieux naturels (milieux humides et riverains, surtout). La Communauté métropolitaine de Montréal a déjà entamé le travail en ce sens avec sa Trame verte et bleue du Grand Montréal. Subventionner les infrastructures vertes serait aussi une bonne idée. Conjointement avec les milieux naturels sauvegardés, ces derniers retiendraient une quantité d’eau importante lors des épisodes de fortes pluies et de fonte des neiges, si bien que les débordements d’égout seraient moins fréquents.
La solution la plus pertinente serait de revoir nos modes de consommation d’eau. Le Québec est le champion toutes catégories, quand vient le temps de consommer de l’eau : chaque Québécois consomme 424 litres d’eau par jour. C’est deux fois plus qu’un Européen, et presque 20 % plus qu’un
Canadien ! Voici comment est répartie cette consommation:
Force est donc de constater que nous gaspillons beaucoup d’eau dans la salle de bain. En particulier dans la toilette, où rejeter 14 litres d’eau potable pour un pipi est un non sens…, surtout lorsqu’on considère que 6000 enfants meurent dans le monde tous les jours à cause d’une consommation d’eau insalubre !
Pourquoi, alors, ne pas envisager des solutions de remplacement qui ne consomment pas d’eau, comme les toilettes sèches ? Leur fonctionnement est très simple : « Un seau métallique est placé dans un meuble, le plus souvent construit en bois. Dans ce seau, une litière végétale absorbe les déjections et inhibe la formation d’odeurs.
« L’urine et les matières fécales ne sont pas séparées. C’est en fait la présence d’urine qui permet à la cellulose végétale d’empêcher les réactions enzymatiques et par le fait même les odeurs. La litière peut être composée de végétaux secs ( branches, feuilles, déchets de jardin, etc.) et/ou de copeaux de bois. On doit placer de la litière dans le fond du seau puis en ajouter un peu après chaque utilisation. Le papier de toilette est jeté dans le seau sans problème. Le seau est vidé à raison d’environ une fois par semaine dans un carré de compost à l’extérieur. »
Éco-Habitation estime que l’utilisation d’une toilette à compost économiserait 170 820 litres par année. Pourquoi est-ce que l’utilisation de toilettes à compost n’est pas plus répandue, alors ? La réponse se trouve au niveau réglementaire. Effectivement, le Règlement sur l’évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées (Q-2, r. 22) oblige toute résidence à avoir un système septique standard pour traiter l’eau des toilettes. Une installation biologique ne peut être construite que pour un camp de chasse ou de pêche ou une résidence où un système standard ne peut être construit (type de sol, roc, manque d’espace, etc.). Il n’est pas illégal d’utiliser une toilette au compost, mais vous devez tout de même avoir un système septique standard, ce qui devient redondant. Si vous devez dépenser de 15 000 à 25 000 $ pour une installation sanitaire standard (Écoflo, Bionest, etc.), gageons que vous n’aurez pas le budget pour acheter en plus une toilette à compost commerciale, qui coûte de 2000 à 3000 $.
Le magazine La Maison du 21e siècle a envoyé plus tôt en 2015 un courriel au ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques à savoir pourquoi les toilettes à compostage sont-elles interdites comme seule installation septique ? Dans sa réponse, le relationniste Clément Falardeau a confirmé que « des travaux de révision du règlement sont amorcés. La possibilité d’élargir le champ d’applicabilité de la toilette à compostage sera évaluée dans le cadre de ces travaux, à la lumière de l’évolution des problématiques et des connaissances. Il n’est pas exclu que le MDDELCC permette la réalisation d’un projet-pilote pour évaluer les avantages et inconvénients d’un élargissement, ainsi que l’encadrement à prévoir. »
Espérons que cela donnera des résultats concrets plus tôt que tard, car comme démontré plus haut, la gestion des eaux usées au Québec a de grosses failles. Chaque jour, des déversements d’eaux usées non traitées ont lieu dans nos cours d’eau, et cela doit à tout prix arrêter si nous désirons avoir un environnement sain. Des solutions existent: bassins de rétention souterrains, infrastructures vertes, protection de milieux naturels, mais surtout une modification de nos habitudes de consommation. Si vous désirez essayer la toilette au compost, il est très facile d’en construire une à bas prix .
RÉFÉRENCES
https://www.youtube.com/watch?v=8qvxSBWst30&feature=youtu.be
http://tvanouvelles.ca/lcn/infos/national/archives/2015/10/20151012-191020.html
http://quebec.huffingtonpost.ca/2015/10/14/environnement-canadaarre_n_8296154.html
http://cmm.qc.ca/fileadmin/user_upload/pmad2012/documentation/20130228_fascicule_trameVerteBleue.pdf
http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=21748&Cr=eau&Cr1#.UMpEUYN9Itd
http://www.ecohabitation.com/certification/renovation/salle-bain/installer-toilette-seche-compost
http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/eau/eauxusees/residences_isolees/reglement.htm
http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=3&file=/Q_2/Q2R22.HTM
https://maisonsaine.ca/eau-et-environnement/portneuf-mise-sur-les-toilettesseches.html
http://humanurehandbook.com/humanure_toilet.html
http://www.habitationsmicro.com/questions-et-reponses/