Publié le 13 avril 2019
Écrit par Gabriel Parent-Leblanc. B. Sc., M. Env.
Vos yeux ne vous trompent pas. Il est bien écrit 58 %, soit plus de la moitié de la nourriture produite (Nikkel et autres, 2019). C’est ce que révèle une récente étude préparée par Value Chain Management International, à la demande de Second Harvest, un organisme canadien à but non lucratif spécialisé en lutte au gaspillage et en insécurité alimentaire. L’étude est unique en son genre, car c’est la première (au monde !) à utiliser un système standardisé avec le volume (par le poids). Effectivement, auparavant, les études sur le sujet utilisaient toujours des valeurs monétaires pour estimer les pertes, si bien que les données étaient très inexactes (il est difficile d’évaluer la quantité de brocoli gaspillée exacte, par exemple à partir d’un montant d’argent, car les brocolis valent moins au champ qu’au supermarché…).
Cette étude est d’une importance capitale, car en utilisant une meilleure approche d’estimation du gaspillage alimentaire, on se rend compte que le phénomène est beaucoup plus inquiétant que ce que l’on croyait. Effectivement, les études précédentes estimaient au plus qu’un tiers de la nourriture produite au Canada était gaspillée… C’est déjà énorme, mais 58 %, ça dépasse l’entendement !
Comme le dit l’une des auteures du rapport, Mme Nikkel, en rapport à la nourriture,
« Nous l’avons tellement dépréciée qu’elle n’a plus aucune valeur à nos yeux. Nos grands-parents seraient horrifiés. » (Weber, 2019)
Il va de soi que la situation est inacceptable, considérant que 4 mil- lions de Canadiens (dont 1,4 million d’enfants) ont du mal à se nourrir convenablement (Nikkel et autres, 2019). Dois-je rappeler que ce sont des données pour le Canada, un pays supposément riche ? Mondialement, « En 2017, le nombre de personnes touchées par l’insécurité alimentaire chronique a atteint, selon les estimations, 821 millions – ce qui représente environ 1 personne sur 9 » (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, 2018).
Mais comment diantre est-il possible de gaspiller plus de la moitié des aliments que l’on produit ? C’est ce que cette première partie de l’article tentera d’explorer à l’aide des données de l’étude en question. La deuxième partie de l’article, publiée dans la prochaine parution de Vitalité Québec, fournira quant à elle des actions individuelles et des trucs pour moins gaspiller à la maison.
Afin de bien comprendre les enjeux, commençons par extraire les données les plus intéressantes du rapport. Premièrement, voici la quantité de nourriture gaspillée ou perdue en fonction des étapes de production :
En tout, 58 % de toute la nourriture produite au Canada est gaspillée ou perdue, ce qui représente 35,52 millions de tonnes de nourriture. En analysant le graphique précédent, il est possible d’apercevoir que l’industrie alimentaire est responsable d’une quantité incroyable de gaspillage. Effectivement, si l’on regroupe le gaspillage des étapes de la production, de la fabrication, de la transformation, du transport et du commerce de détail, on obtient des pertes de 27,27 millions de tonnes, soit près de 77 % du gaspillage total.
Mais attention, ces données ne donnent pas l’histoire juste. Effectivement, le rapport classe les matières perdues ou gaspillées en deux catégories :
C’est donc pour le gaspillage évitable qu’il est le plus intéressant de travailler. Des 35,52 tonnes de nourriture qui sont perdues, on y retrouve 11,2 tonnes de gaspillage évitable (32 %) réparties ainsi selon les étapes de production :
En analysant cette deuxième figure, il est aisé de constater ceci :
Gaspillage alimentaire au canada en bref
(Nikkel et autres, 2019; Gooch et autres, 2019)
C’est bien beau tous ces chiffres mais comment un système peut-il créer autant de gaspillage ?
De façon générale, les auteurs des études révèlent que la cause à la base du problème est une culture d’acceptation du gaspillage par toutes les parties prenantes.
Des pommes pourissent sous les arbres en raison d’une pénurie de main-d’oeuvre ou des prix bas rendant la récolte peu intéressante économiquement pour les agriculteurs.
Des milliers d’acres de produits sont labourés sous les champs en raison de commandes annulées.
Le surplus de lait va dans les égoûts.
Les poissons sont pêchés puis jetés à l’eau pour mourir s’ils ne répondent pas au quota.
Voici donc quelques exemples des fondements du gaspillage selon les étapes de production.
La production (au champ) : 6 % du gaspillage évitable
La transformation et la fabrication : respectivement 20 et 23 % du gaspillage évitable
Le transport : 5 % du gaspillage évitable
Le commerce de détail : 12 % du gaspillage évitable
Les hôtels, les restaurants et les institutions : 13 % du gaspillage évitable
– De 19 à 20 % de toute la nourriture solide servie dans les hôpitaux se retrouve à ne pas être mangée et doit être jetée (Nikkel et autres, 2019);
– Bon, vous allez me dire que c’est parce que ce n’est pas mangeable, mais le fait de choisir ce que l’on veut consommer et la portion que l’on croit pouvoir ingérer a réellement un effet tangible sur ce que l’on consomme… ou pas.
Dans les foyers : 21 % du gaspillage évitable
Valeur monétaire du gaspillage alimentaire dans les foyers
Les dates de péremption jouent ici encore un très grand rôle dans le gaspillage alimentaire. Le mot d’ordre de l’industrie agroalimentaire, soit « en cas de doute, on le jette », fait un ravage jusque dans nos réfrigérateurs.
Il faut vraiment, en tant que consommateur, que l’on comprenne la nuance de ces dates de péremption. Un tas d’aliments demeurent parfaitement comestibles des semaines (oui, oui, des semaines) après la date estimée par l’industrie.
Vous pouvez entreprendre énormément d’actions pour diminuer votre gaspillage alimentaire à la maison, et c’est le sujet qu’on explorera dans la deuxième partie de cet article, dans la prochaine parution de Vitalité Québec.
Bref, la quantité de nourriture parfaitement comestible qu’on gaspille, alors que l’insécurité alimentaire touche près d’une personne sur neuf dans le monde, est ahu ris sante. Les chiffres démontrés par l’étude de Value Chain Management International sont sans équivoque : notre culture accepte trop aisément le gaspillage alimentaire, et il est grand temps que les choses changent. Refusons que toute cette nourriture, avec leurs intrants (le travail de la terre, l’eau pour la culture, le pétrole pour le transport, etc.), ait été produite pour se retrouver à la poubelle. J’ose espérer qu’on est plus intelligent, en tant qu’espèce, que cela.
Surveillez la prochaine parution de Vitalité Québec pour des trucs et astuces dans le but de réduire votre gaspillage alimentaire à la maison !
RÉFÉRENCES – À la demande du lecteur