Publié le 14 juillet 2023
Écrit par Anny Schneider, autrice et herboriste-thérapeute
La nature est un temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles. L’homme y passe à travers une forêt de symboles qui l’observe avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent, dans une ténébreuse et profonde unité comme la nuit et la clarté, les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Charles Baudelaire, Correspondances
Raconter ce que je connais le mieux :
Moi-même, la nature humaine et le monde végétal.
Toujours et encore la forêt m’accueille, me berce et m’inspire :
Par cette fulgurance d’énergie,
Cet afflux de formes de vie interreliées,
Toutes ces beautés cycliques manifestées,
Fascinantes même en mode dégradation.
Et les éléments, le vent, l’eau claire courante,
Les batraciens et les oiseaux, eux aussi parfois en concurrence.
Tout à l’heure, ai vu cet épervier convoitant de petits canards,
Parents s’interposant bruyamment contre ce rapt probable,
Et cette mini salamandre cachée sous un chiffon abandonné,
Tentant de patienter en attendant le soleil et la maturité
Pour explorer d’autres ruisseaux clairs,
Pour vivre, aimer et perpétuer son espèce.
Comme toute l’humanité,
Dans l’ancien monde pas si lointain,
Plus récemment chez les peuples premiers,
Depuis 3 000 générations de nomades-chasseurs-cueilleurs-pêcheurs,
Partout, la forêt nous a nourris, abrités et enchantés,
Tant donné, si peu demandé,
Sauf de la laisser pousser en paix.
La forêt nous offre tout ceci : elle assainit l’air,
Bloque l’excès de chaleur et les rayons solaires,
Calme, climatise, hydrate, parfume, retient le sol arable et l’eau,
Sert de refuge et d’habitat aux amis ailés et poilus,
Nourrit tous les herbivores et les rongeurs,
Danse dans le vent, nous abrite en cas de pluie forte,
Et nous cache parfois d’ennemis probables, prédateurs et voyeurs…
Ah ! les braves arbres et la thérapie par la forêt,
Pas juste du Shinrin Yoku inventé par les Japonais,
Mais un lieu de beauté intacte, de contemplation, de silence (en principe…).
Thérapie non verbale par immersion totale,
Idéalement accessible à tous et partout.
Mais force est de constater qu’aujourd’hui,
Partout sur la sphère terrestre,
On lui a nui.
On a dévasté les trois quarts du territoire,
Asséché ses marais, coupé ses cheveux,
Ceux de nos amis les arbres, autre peuple debout,
Qui nous rendent mille services vitaux, comme ceux cités plus haut.
De l’oxygène à la purification et à la rétention d’eau,
Nous offrant leur ombre fraîche, leurs précieux aliments et remèdes,
Le bois qui nous réchauffe et qui donne vie aux livres,
Forêts anciennes qui nécessitent pourtant si peu,
Outre l’eau du ciel, se nourrissant de l’humus accumulé,
Il faut tout simplement les laisser pousser en paix !
Nos amis ligneux sont, hélas de plus en plus souvent,
Malades ou exécutés par les bipèdes inconscients,
Voire écocidaires que nous sommes devenus.
Quel que soit l’angle pris pour l’observer,
On peut constater la grave détérioration des forêts d’ici, pourtant jadis si riches,
D’autant plus celles du sud de la province, les plus diversifiées,
Dont il reste moins de 4 % en Estrie-Montérégie,
Pas bien mieux ailleurs, côté accès public protégé.
Ne règne plus désormais que la loi du profit à court terme,
Celui des mâles alpha quinquagénaires dominants,
Qui agissent comme s’ils n’avaient pas d’enfants,
Et l’inquiétante passivité de la majorité silencieuse,
Sauf exception pour quelques écologistes éveillés,
La jeunesse en tête et les mères au front à leurs côtés.
Dans la belle Estrie, comme partout dans le sud de la province,
Ce sont de riches individus privés qui possèdent en majorité les forêts.
Certains les partagent et les protègent,
Grâce aux rares associations de protection,
Et en font même des fiducies publiques, chapeau bas à eux !
Hélas, les politiques, même en campagne,
Parlent bien, mais agissent trop peu
Pour nos milieux ligneux et marécageux si précieux.
Presque tous encouragent des projets écocidaires
Sans souci des suites, juste pour les fichues taxes,
Sans égard pour le feu, l’air, l’eau, la terre et les êtres vivants,
Présents et à venir, pathétique et décourageant !
Dans la forêt laurentienne du sud le plus peuplé,
On trouve tous ces illustres feuillus et leurs vertus uniques :
Aubépine pour le cœur et normaliser les hormones,
Aulne rugueux pour stimuler l’hypophyse et nourrir le sol en protéines,
Bouleau jaune anti-inflammatoire et son chaga régénérant,
Hêtre bienfaisant pour les intestins et ses faînes riches en acides gras,
Tilleul d’Amérique, avec ses feuilles analgésiques et ses fleurs calmantes,
Érable vénérable au suave suc prébiotique, et ses feuilles régénérantes,
Frêne élevé, arbre mythique, diurétique et tonique.
Et ces sous-espèces indigènes alliées des forêts de feuillus :
Ail des bois, ancolie, aralie, asaret, dentaire, ginseng,
Médéole, claytonie et clintonie, et bien d’autres encore,
Toutes décrites dans mon avant-dernier livre.
Et les conifères si généreux disponibles à l’année :
Sapin pas que de Noël, pectoral et purgatif,
Pruche calmante et antioxydante par son précieux reishi,
Épinette antiacide et émolliente,
Grand pin blanc antioxydant et régénérant,
Thuya, dépuratif, répulsif et parasiticide,
Pour ne citer que ceux-ci.
Tous les arbres anciens et sains sont utiles à l’équilibre
Des écosystèmes et des cycles du vivant interdépendant.
Tant de pertes par toutes ces coupes méthodiques absurdes,
Tant de merveilles mises en péril par leurs habitats naturels ravagés,
Tout ça pour des immeubles gris tassés
Ou encore du maïs transgénique subventionné,
Pour de pauvres bêtes cloîtrées, l’éthanol ou le sirop de glucose, si nocif.
Comme souvent, les changements viendront des rares êtres conscients de l’ensemble,
Des premiers peuples encore branchés sur celui qui manie tout,
La Terre mère, Gaïa ou Pachamama, d’âge multimilliardaire,
Eux qui se souviennent de tout et nous parlent clairement,
Même à travers incendies et inondations,
Ou de micro-organismes transités par des bêtes des cavernes asiatiques,
Pas la première ni la dernière catastrophe ou zoonose possible…
La réalité est affolante, mais l’espoir persiste,
Grâce aux actes des rares éveillés
Prenant soin de leur immunité et de l’humanité,
Desquels nous sommes, j’ose l’espérer,
Parlant et marchant pour la forêt vibrante :
Les chevreuils, les chouettes, les faucons, les salamandres et les papillons.
Mais aussi pour les pleurer et déplorer leurs éléments alliés :
Les grands-pères roches explosés, les mousses ancestrales décapées,
Les grands pins abattus, les abeilles affamées ou empoisonnées,
Les aubépines et les rosiers sauvages déracinés par stupidité,
L’ail et le ginseng pillés, les eaux souillées et acidifiées,
L’air enfumé, obscurci par les feux démultipliés et les engins motorisés…
Tout ça pour sensibiliser nos compatriotes à tous ces microdrames,
Tangibles et visibles au quotidien,
Nous marchons, parlons et écrivons,
Pour que nos descendants puissent encore admirer
Quelques beautés indigènes intactes du monde originel,
Celles des lacs et des ruisseaux clairs, des grandes forêts du Canada d’alors,
Riches d’animaux sauvages et de nomades respectueux de leur habitat,
Les voir et vibrer avec et grâce à eux,
Autrement que sur un écran et dans les livres, foi d’écrivaine !
Nous sommes moins seuls que nous ne le pensons ;
Profitez de ce bel été, observez et explorez, vous verrez.
Amants de la nature, poètes et naturalistes de tous poils,
Au-delà de nos diversités, unissons-nous pour elles,
Sauvons les forêts qui restent
Et plantons des arbres en abondance !
Merci, les amis !