Hommage mérité au sapin baumier

Publié le 30 décembre 2023
Écrit par Anny Schneider

Hommage mérité au sapin baumier

Ah ! Abies balsamea, notre beau sapin, roi des forêts.

En Europe, c’est l’abies alba ou pectinata ;

Ici, ce conifère typique de l’est du Canada, par ses attraits,

Nous enchante jusqu’au cœur de l’hiver,

Embaumant nos demeures au faîte des festivités.

Sapin du solstice, fête du retour de la lumière,

Depuis 5 000 ans, tu remplaces en Occident le cèdre du Liban,

Symbole d’éternité, de l’esprit plus fort que la mort,

Entre Nemrod, Osiris, Dionysos et le Christ,

Figures changeantes de divinités sacrifiées

Qui ont finalement triomphé, ou pas,

Dans l’imaginaire et la spiritualité.

 

Depuis mon Alsace natale, berceau de cette étrange pratique,

Garni de pommes, d’oranges et de vraies bougies à pinces,

Tu faisais briller nos yeux d’enfants ingénus,

Réjouis par tes brillants et ton parfum suave,

Rare arbre jamais entré au salon,

Petite poupée ou auto de métal chromé emballés à tes pieds,

Destinés à moi et à mon gentil grand frère, Roland.

Là-bas nommé sapin pectiné, ici sapin baumier,

Poussant dans les hauteurs de la ligne bleue des Vosges,

Ici dans l’humus humide des forêts acides,

De l’Alberta aux Maritimes,

Tes grands sujets semenciers se font rares,

Souvent sacrifiés lors des coupes à blanc,

Visant les épinettes ou les feuillus, au bois plus payant.

 

Dans le langage courant,

Se faire passer un sapin

Plutôt qu’une épinette plus chère,

Discrédite à tort ce cher conifère.

Pire, « sentir le sapin » signifie

Approcher de sa mort par l’odeur du cercueil,

Bois des pauvres trépassés,

Enterrés dans ce bois peu prisé.

 

Pourtant, ta gomme servait de colle pour les canoës, les mocassins et les tipis,

Diachylon indien cautérisant même les plaies ouvertes,

Et soignant les affections graves des poumons,

Maux rapportés du Vieux Monde par les visages pâles.

Mâchée en gomme ou en décoction des jeunes rameaux,

Tu fus pour les singes nus du Nord, surtout l’hiver,

Une rare source de vitamine C, nécessaire à leur survie,

Ce que savait alors chaque sage des bois,

Et tu es sûrement utile contre la nouvelle peste covidienne…

 

Tapis de sol assainissant des shapituans ou des wigwams très peuplés,

Ou encore de la tente tremblante purifiante, ils te révéraient

Pour ta longévité, ta forme pyramidale et tes arômes si subtils.

Imitant les Innus, depuis leur passage multimillénaire du détroit de Béring,

Les colons blancs, les barbiers-chirurgiens,

Les apothicaires-colporteurs ont vite appris à t’utiliser,

Te vendent jusqu’à ce jour en capsules ou en sirop, même en pharmacie,

Contre les maux persistants des poumons, asthme inclus.

 

Les sœurs de la Providence en faisaient même à l’hôpital

Des lavements vermifuges mêlés aux jaunes d’œuf,

Et on t’exportait en barils entiers par navires,

Contre la tuberculose ou la phtisie, alors si présentes dans les vieux pays.

Distillée ici, ton huile essentielle est reconnue dans le monde entier

Pour ses effets assainissants de l’air et des poumons ;

Les terpènes de ta gomme servent de diluant à peinture ;

Et ta résine est ajoutée aux vernis des violons

Et à des composantes des lentilles informatiques et optiques.

 

Pour le plaisir ponctuel d’un Noël si éphémère,

Tu es désormais cultivé à coup de pesticides,

Les espèces Douglas ou Fraser étant plus durables,

Mais en forêt tu deviens fragile et rare toi aussi,

Comme tous les monocultivés pour le profit ajouté,

Vendus 100 piastres US à Times Square, hé, hé !,

Car le père Noël Coca-Cola USA aime les rituels payants,

Star éphémère alourdie de bébelles scintillantes,

Pour finir bêtement hachée dans la choppeuse à compost…

Cher si bon et beau sapin,

Il est temps qu’on te revalorise, pas seulement à Noël,

À coup de gestes signifiants et d’écrits percutants, pacte vert ou pas,

Pour défendre ce qui reste de ton habitat originel,

La grande forêt méridionale de l’Est et ses nombreuses formes de vie connexes.

Pyramide « evergreen » bien enracinée pointant le ciel toute l’année,

Gratitude envers toi, admirable sapin, pour tes innombrables bienfaits !