Publié le 20 janvier 2016
Écrit par Nicolas Blanchette, B. Sc. kinésiologie, D.O.
Découvrez comment les différentes techniques thérapeutiques manuelles peuvent avoir un impact majeur sur votre quotidien.
La thérapie manuelle est pratiquée depuis la nuit des temps. De multiples professions se regroupent autour de ce point commun, soit l’utilisation des mains pour soulager les inconforts : massothérapie, kinésithérapie, ostéopathie, physiothérapie, chiropractie, acupuncture et autres. Même si les connaissances se sont raffinées et les écoles de pensées se sont multipliées, elle a su traverser les époques pour arriver jusqu’à nous. Pourtant, malgré le fait que des dizaines de milliers de personnes, chaque jour, expérimentent les bienfaits du toucher thérapeutique, les doutes subsistent et l’incompréhension est encore vaste. Pourquoi la thérapie manuelle est-elle efficace ? Qu’est-ce qui peut bien expliquer que les différents massages et manipulations articulaires produisent un réel soulagement ? C’est à ces questions que j’essaierai de répondre, grâce aux récents développements scientifiques. J’espère ainsi vous convaincre d’intégrer des traitements de thérapie manuelle à votre calendrier.
LE MODÈLE MÉCANISTIQUE EST RÉVOLU
La conception classique des professions de thérapie manuelle et du rôle du thérapeute manuel va comme suit : le corps humain est une machine parfaite gouvernée par les lois de la physique. Lorsqu’un problème perturbe le fonctionnement de cette machine (une dysfonction), un maître-technicien du corps humain (le thérapeute) doit intervenir et « replacer » ce qui a été « déplacé ».
Dans cette optique, le thérapeute cherche à résoudre un problème. Le patient et sa « dysfonction » sont des éléments distincts. Le thérapeute cherche à agir à un endroit très localisé pour remettre la machine en fonction. C’est un point de vue fortement influencé par l’époque des machines et de la révolution industrielle.
Or, plus la science progresse, plus on en apprend sur le fonctionnement complexe de notre cerveau, et plus on se rend compte que ce modèle très mécanique est inadéquat. Plutôt que de voir notre corps comme une machine indépendante de notre esprit, nous avons appris à le voir davantage comme une grande unité biologique complexe qui s’autorégule en tout temps selon une foule de variables autant physiques, chimiques, qu’émotionnelles.
Ici, le thérapeute ne joue plus le rôle d’un « maître-technicien qui replace la pièce manquante du casse-tête », mais plutôt celui d’un facilitateur qui cherche à influencer positivement le corps pour retourner vers un équilibre interne confortable. De cette manière, la structure et la fonction des différents systèmes de notre organisme sont en constante interrelation. Il s’agit d’une jungle où tout s’entrecroise et où tout doit être pris en compte le plus globalement possible : le corps physique du patient, certes, mais aussi sa situation émotionnelle, le contexte dans lequel il a grandi et autres, puisque tous ces éléments s’influencent l’un l’autre. Cela demande beaucoup d’humilité, pour un thérapeute, car il n’est plus le maître en autorité, dans ce contexte. Il travaille plutôt en équipe avec le patient, et parfois avec d’autres professionnels, vers sa réharmonisation. Puisque le corps humain d’un être vivant régule sans arrêt un nombre incroyable de variables provenant de ses environnements externe et interne, cela nécessite que le thérapeute se sente à l’aise d’agir dans un milieu où rien n’est prévisible. Cela explique beaucoup mieux pourquoi, pour un traitement tout à fait similaire, chaque personne réagira de manière parfois complètement différente. L’émergence de ce nouveau modèle moins « mécanistique » provient avant tout de notre compréhension plus approfondie de l’unité fonctionnelle la plus importante de notre organisme : notre système nerveux.
LE SYSTÈME NERVEUX : MAÎTRE DE NOTRE ORGANISME
Les nerfs, tous les éléments de notre organisme, les muscles et les organes sont liés entre eux par le cerveau et ses prolongements. Pour assurer notre survie, notre système nerveux autonome dispose de deux modes : les fonctions dites « sympathiques » et les fonctions dites « parasympathiques ». Malgré son nom, le système sympathique n’est pas toujours plaisant ; c’est le mode de survie qui s’enclenche par défaut lorsque notre organisme doit répondre à un stress !
Vous reconnaîtrez facilement certains effets ressentis lorsqu’une situation nécessite une activation de votre système sympathique : vos muscles se tendent, votre respiration s’accélère, vos pulsations cardiaques augmentent en rythme et en intensité, votre système digestif ralentit ses activités, etc. L’origine du stress qui déclenchera une augmentation de l’activité sympathique de notre cerveau a plus ou moins d’importance. Certes, ces réponses autonomes paraissent plus efficaces pour s’enfuir d’un lion qui nous aurait pris en chasse, mais le retard dans la remise d’un travail important ou bien la perspective de rester coincé dans un embouteillage peuvent provoquer les mêmes réactions automatiques. Si notre organisme perçoit une menace, notre évolution lui a enseigné depuis des milliers d’années qu’il avait plus de chance de survie si le système sympathique était activé.
À l’inverse, le système parasympathique facilite l’autorégulation du corps lorsqu’il n’y a pas de menace en vue. J’aime bien l’appeler le « système de relaxation, de détente et de digestion ». Vous reconnaîtrez quelques exemples d’une augmentation de l’activité parasympathique de notre cerveau : relâchement du tonus musculaire, augmentation du péristaltisme intestinal, augmentation des sécrétions gastriques, ralentissement de la respiration et du rythme cardiaque, etc. Les fibres nerveuses du système parasympathique tirent leurs origines dans la moelle épinière localisée aux deux extrémités de notre colonne vertébrale : dans la partie crânienne et dans la partie située au niveau du sacrum, ce gros os qui sert de plateau sur lequel repose notre colonne vertébrale et dont le coccyx forme la pointe. Nous sommes donc en droit de penser qu’il ne s’agit pas de coïncidences lorsque de nombreuses personnes rapportent une profonde sensation de relaxation lorsqu’un thérapeute stimule ces deux régions. L’approche dite « cranio-sacrée » en ostéopathie et autres thérapies est d’ailleurs déjà bien implantée partout dans le monde. Lors d’un traitement, il n’est pas rare que j’entende l’abdomen d’un patient se mettre à faire du bruit lorsque j’installe mes mains au crâne ou au sacrum, signe d’une augmentation de l’activité parasympathique (souvent accompagnée de quelques respirations profondes ou d’un grand soupir, parmi d’autres signes). En plaçant ses mains sur ces endroits stratégiques que sont la base du crâne et le sacrum, le thérapeute encourage notre organisme à reporter son attention sur les origines de ces nerfs parasympathiques.
Il a été démontré que des pressions douces, profondes et soutenues appliquées sur le bassin produisent une plus grande activation du système parasympathique (Koizumi et Brooks, 1972). Les viscères de l’abdomen, du foie, de l’estomac, des intestins, etc. sont également très riches en mécanorécepteurs, de petits capteurs microscopiques sensibles aux changements de pression. La littérature a démontré que des pressions profondes au niveau de l’abdomen humain augmentent l’activité du système parasympathique (Folkow, 1962). Voilà une piste de solution qui nous éclaire sur l’efficacité des différentes techniques utilisées dans le monde qui s’intéressent au traitement des viscères de l’abdomen et aux effets de bien-être général que ces méthodes procurent.
ET LES MUSCLES ET LES OS ?
Mais qu’en est-il de la majorité des autres méthodes de thérapie manuelle qui portent davantage sur les articulations, les muscles, les ligaments, la peau et autres ? Encore là, ces interactions sont profondément reliées à notre système nerveux. La peau, particulièrement, est en dialogue constant avec notre cerveau. N’est-ce pas fascinant de savoir que, lors de notre développement fœtal, la peau et le cerveau sont issus du même groupe de cellules, l’ectoderme ? Tous ces éléments de notre corps contiennent des récepteurs sensibles aux changements les plus fins : modification de la pression exercée sur la peau, modification de la longueur des fibres musculaires, etc. Ces récepteurs sont en communication continue avec notre cerveau pour l’informer de plusieurs variables telles que la position de nos articulations dans l’espace. Ici, nous pourrions facilement ouvrir une parenthèse d’une centaine de pages sur le fonctionnement et la physiologie de ces récepteurs, mais par souci d’économie de temps et pour en venir à l’aspect pratique qui nous intéresse, sachez que ces différents récepteurs sont regroupés dans quatre grandes catégories.
Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que ces récepteurs réagissent à des stimuli bien distincts pour dialoguer et ainsi faire réagir notre système nerveux. Par exemple, les récepteurs qu’on appelle « paciniformes » (du nom de Pacini, qui les a découverts) se trouvent en grand nombre dans les ligaments de la colonne vertébrale et les capsules articulaires. Ces récepteurs réagissent aux changements de pression rapides et aux vibrations. Lorsqu’ils sont stimulés, ils influencent notre système nerveux à modifier son contrôle du mouvement (kinesthésie). Ce n’est pas sans rappeler les fameuses manipulations articulaires à grande vitesse utilisées entre autres en chiropractie et en ostéopathie. En appliquant sur une articulation ou un segment vertébral précis une technique de petite amplitude et de grande vitesse, ces professionnels encouragent les récepteurs à dialoguer de manière différente avec le système nerveux, qui ajustera ensuite son sens du contrôle moteur. Plus que le principe d’une articulation « déplacée » qui doit être « replacée », les recherches nous portent à croire qu’il s’agit davantage d’une stimulation des récepteurs qui inciterait notre système nerveux à revoir (et corriger de lui-même) la manière dont il bouge.
D’autres récepteurs, comme ceux de Golgi, sont présents dans les tendons et ligaments. Ces derniers répondent davantage aux étirements profonds et provoquent une relaxation des fibres musculaires auxquelles ils sont associés. On sait depuis longtemps que les divers étirements utilisés en thérapie manuelle ont cet effet.
Finalement, ce qu’il y a de plus fascinant, c’est que les trois premiers types dont font partie les récepteurs paciniformes et de Golgi comptent pour seulement 20 % de tous les mécanorécepteurs ! En effet, 80 % de tous les mécanorécepteurs de notre être sont dits « interstitiels de type III et IV ». On les retrouve en abondance presque partout dans le corps, incluant les muscles et les os. Ce qui fait réagir ces récepteurs interstitiels sont… tenez-vous bien, les pressions rapides ainsi que les pressions lentes et soutenues. Voilà qui nous renseigne sur la grande efficacité des différentes techniques de massage !
EN CONCLUSION
La thérapie manuelle apporte le plus de bienfaits lorsqu’elle prend en compte les interactions de notre corps avec notre système nerveux. D’une part, la séance doit entraîner une augmentation de l’activité parasympathique, qui aura un effet global de relaxation sur la personne. D’autre part, les techniques manuelles de massage doivent avoir une grande importance dans la séance puisqu’elles stimulent les mécanorécepteurs se retrouvant en plus grande quantité dans notre organisme. De plus, si ces techniques de massage sont jumelées à d’autres cherchant à stimuler les récepteurs restants, comme les techniques de manipulation articulaires et d’étirement, l’effet de la séance sera d’autant plus bénéfique.
À quand votre prochaine séance en thérapie manuelle ?
RÉFÉRENCE
SCHLEIP, Robert. « Fascial plasticity », Journal of bodywork and movement therapies, avril 2003.