Introduction à la décroissance soutenable

Publié le 15 mars 2017
Écrit par Gabriel Parent-Leblanc. B. Sc., M. Env.

Introduction à la décroissance soutenable

Ce n’est un secret pour quiconque est moindrement au fait de l’actualité : le système capitaliste actuel nous mène tout droit vers une catastrophe écologique et humanitaire sans précédent.

Comment éviter une telle catastrophe ? De plus en plus d’experts croient au mouvement de la décroissance soutenable (aussi appelée « conviviale »)…

Durant le Forum social mondial, à Montréal, en août 2016, une conférence d’introduction réunissant quatre experts sur le sujet a eu lieu. L’équipe de Décroissance Montréal a eu la générosité de l’enregistrer et de la rendre publique via la plateforme YouTube. Dans cet article, je résume cette conférence en un texte pouvant être lu en moins de 10 minutes.

 

Définir la décroissance conviviale

Par Yves-Marie Abraham

 

Professeur à HEC Montréal, spécialiste de la décroissance conviviale, coauteur des livres Creuser jusqu’où ? et de Décroissance versus développement durable.

La décroissance conviviale (ou soutenable) est née il y a un peu plus de 15 ans en Europe pour offrir une solution de rechange à l’idéologie du développement durable (DD).

Pourquoi vouloir remplacer le DD, qui est pourtant louangé par plusieurs ? C’est que le DD repose sur de fausses promesses :

  • Il laisse entendre qu’une croissance économique infinie dans un monde fini serait possible. Au mieux, disent ironiquement les experts, le DD permet de polluer moins, mais plus longtemps. Les limites biophysiques de la planète finiront par stopper cette course à la production de marchandises. En réalité, on constate que le DD n’a même pas permis une diminution de la pollution depuis que les grandes organisations internationales l’ont promu à la fin des années 1980 (Rapport Brundtland, 1987) ;
  • Ce qui ne veut pas dire que cette idéologie est restée sans effet. Elle a calmé une bonne part des inquiétudes concernant le caractère destructeur de notre civilisation et elle a canalisé une bonne part de la volonté de changement des projets réformistes.

Le DD a servi en somme d’anxiolytique (médicament utilisé contre l’anxiété) sur le plan psychologique et de contre-feu sur le plan politique. En ce sens, le DD est une idéologie très dangereuse, parce que pendant que nous dormions paisiblement, la destruction a continué, et s’est même accélérée ;

  • Les objecteurs de croissance reprochent à cette idéologie d’être bien trop technophile. En effet, elle attend beaucoup de la technoscience et des experts pour limiter les catastrophes écologiques. Or, il n’est pas sûr du tout que la technique peut nous sauver, sur le plan écologique.

 

QUE PROPOSENT DONC LES OBJECTEURS DE CROISSANCE ?

De rompre volontairement, et si possible en douceur, la course à la croissance avant que se produise une décroissance forcée. La décroissance n’est pas un objectif ultime, il faut l’envisager comme une transition vers des sociétés post-croissance.

Cette décroissance doit obéir à trois impératifs :

1) Produire moins. C’est la seule manière de rester en de çà des limites biophysiques de la planète ;

2) Partager plus ;

3) Décider de nos manières de vivre ensemble, remettre en question nos institutions politiques (qui ne sont démocratiques que de nom), mais aussi la domination des machines et des marchandises sur nos vies.

 

La faisabilité d’une transition énergétique

Par Philippe Gauthier

Écrivain, journaliste, détenteur d’une maîtrise en sciences politiques de l’Université de Montréal, spécialiste du sujet de la transition énergétique.

Le discours de la croissance verte nous annonce une transition énergétique vers le solaire, l’éolien, la biomasse et la géothermie pour très bientôt… C’est un discours très populaire, mais qui en fait repose sur un grand nombre d’illusions, notamment à cause d’une confiance illimitée envers une technologie présentée comme salvatrice.

À l’heure actuelle, ces sources d’énergie représentent seulement 1,4 % de la production mondiale. On ne s’en rend pas compte, mais on produit et consomme une quantité monstrueuse d’énergie. La réalité est que les énergies fossiles sont très difficilement remplaçables par d’autres sources qu’il faut installer.

Par unité d’énergie produite, les énergies renouvelables tendent à utiliser beaucoup de métaux et à être très dures sur les ressources. Par exemple, la production d’une éolienne requiert de 200 à 250 kg de néodyme et de dysprosium, deux métaux rares. Or, la production combinée de ces métaux n’est que de 35 000 tonnes par année… Ceux-ci sont aussi utilisés dans la production d’aimants et de voitures électriques. La ressource pourrait s’épuiser d’ici 2025, car il y a concurrence des usages. Il est donc impossible de recouvrir la terre d’éolienne : la ressource matérielle n’existe pas.

Même problème avec les panneaux photovoltaïques. Les panneaux de première génération au silicium dépendent beaucoup de l’argent, qui est un métal dont les mines vont s’épuiser quelque part dans les années 2020. Les panneaux de deuxième et de troisième générations, quant à eux, dépendent de métaux encore plus rares comme le tellure, l’indium et le gallium… Pour certains d’entre eux, il n’existe même pas de mines pour les extraire, ce sont des sous-produits d’autres métaux.

Actuellement, chaque Québécois consomme 55 000 kilowatts-heures (kWh) d’énergie par année, ce qui est plus qu’en Angleterre (35 000 kWh), en Allemagne (45 000 kWh) et en Italie (30 000 kWh).

Cessons de s’obséder avec les énergies vertes, investissons dans les économies d’énergie… Qu’on se retire progressivement du pétrole, dans toutes les mesures du possible. Tout cela, sans rajouter quelconque capacité électrique. Sans utilisation de pétrole, cela revient à une consommation de ~26 000 kWh, ce qui nous amène au niveau des Italiens en matière de consommation par personne, ou des Anglais si on utilise encore un peu de pétrole. On est donc loin d’un retour au moyen âge, c’est tout à fait vivable !

 

Le prix à payer à l’ère des machines

Louis Marion

Philosophe, conférencier, auteur du livre Comment exister encore ?

Le sujet de cette partie de la conférence est, selon moi, répétitif et moins pertinent. Comme il s’agit ici d’un résumé, je n’y toucherai pas. Elle vaut tout de même le coup d’être écoutée (voir la vidéoconférence en entier sur YouTube) !

 

Les stratégies possibles pour arriver à une société post-croissance

Serge Mongeau

Médecin, écrivain, éditeur et père de la simplicité volontaire au Québec. Il est possible d’agir à trois niveaux.

 

1) Individuellement

Il s’agit de retirer notre collaboration au capitalisme et de s’en libérer le plus possible.

Quelques actions possibles :

  • Cesser de regarder la télé, qui est l’outil principal de défense et de renforcement du capitalisme ;
  • Diminuer sa consommation, d’abord en cessant tout recours au crédit. En moyenne, chaque personne au Canada est endettée de 17 800 $, en dehors des hypothèques ;
  • Développer son autonomie par le « faire soi-même », notamment en apprêtant sa nourriture, en cultivant une partie de ses légumes, en fabriquant et réparant ses vêtements, etc. ;
  • Se soustraire au système de production en trouvant d’autres moyens de vivre que dans des emplois liés au mode de vie capitaliste ;
  • Se déplacer autrement qu’en voiture individuelle.

 

2) Communautaire

En réalisant en partie ou en entier ces actions, vous allez libérer beaucoup de votre temps, qui pourra servir à réfléchir et surtout à vous impliquer dans les diverses luttes pour le changement social :

  • S’impliquer pour développer des services collectifs (système d’échange local, accorderie, service communautaire de prêt d’outils et d’autres objets utilitaires, cuisine collective, etc.) ;
  • Organiser des activités culturelles pour développer le sens de la communauté (fêtes des voisins, projection de film à l’extérieur, spectacle d’artistes locaux) ;
  • Aider le développement de l’agriculture urbaine en multipliant les jardins collectifs, les jardins communautaires et les sites de jardinage publics comme les Incroyables comestibles ;
  • Lancer des monnaies locales.

En somme, travailler déjà à construire les fondements d’une société conviviale, une société qui est fondée sur la démocratie, le local, la justice sociale, le collectif, et aussi une certaine sobriété.

À souligner : le mouvement des villes en transition qui prend forme partout dans le monde, avec des centaines d’initiatives locales déjà en marche. Ce type d’action permet le développement d’une approche citoyenne intégrée pour sortir de la dépendance du pétrole et rendre les villes et villages résilients et mieux préparés à faire face aux difficultés qui s’annoncent avec l’effondrement prévisible de nos sociétés.

 

3) Politique

Il faut aussi s’impliquer au niveau politique. Dans l’immense majorité des pays, les gouvernements sont des vassaux des multinationales et du système capitaliste. Même devant l’urgence d’agir face au réchauffement climatique, ils continuent à tergiverser et à chercher des solutions qui permettraient de poursuivre la croissance économique, alors qu’il est évident qu’il faut y mettre fin.

Il est nécessaire de remplacer ces gouvernements au plus tôt, mais avec les systèmes électoraux en place la plupart du temps, ce n’est pas possible. Il faut revoir les bases de notre supposée démocratie, et il faut nous donner des partis politiques qui visent des changements significatifs, dont :
▸ le revenu maximal admissible ;

▸ la fin des paradis fiscaux ;
▸ l’adoption de mesures efficaces pour sortir de notre dépendance au pétrole ;

▸ la cessation de l’extractivisme à tout prix ;

▸ la protection efficace de l’environnement ;

▸ la fin de la production d’armement.

 

Plus près de nos communautés, il faut prendre le pouvoir de nos municipalités et de nos quartiers. En attendant de trouver les moyens pour changer nos gouvernements, il faut tout faire pour empêcher la réalisation des grands projets inutiles et dangereux (train à grande vitesse, aéroport géant, pipelines, etc.).

L’heure de l’inventivité est arrivée, sans doute celle aussi de la désobéissance civile. Nous devons cesser d’attendre, il faut agir dès maintenant, car demain, il sera trop tard…

Merci à Yves-Marie Abraham, Philippe Gauthier, Louis Marion, Serge Mongeau et toute l’équipe de Décroissance Montréal pour le partage de leurs connaissances si importantes.

Pour accéder à l’intégrale de la conférence: youtube/K7 WANe44fEc Ainsi que la discussion après la conférence: youtube/ltz1_6BPJeA

 

En terminant, pour illustrer certaines de ces solutions, je vous conseille d’écouter le documentaire Demain. Le récit suit un groupe d’amis français qui « partent explorer le monde en quête de solutions capables de sauver […] la nouvelle génération. À partir des expériences les plus abouties dans tous les domaines (agriculture, énergie, habitat, économie, éducation, démocratie…), ils vont tenter de reconstituer le puzzle qui permettra de construire une autre histoire de l’avenir ».

Pour plus de détails: www.demainlefilmquebec.com