La confrontation de la générosité – Quand le partage dérange

Publié le 1 avril 2025
Écrit par Christiane Lamarche

La confrontation de la générosité – Quand le partage dérange
AOR avril 2025

Je fais honte à mon conjoint. Pourquoi? Malheureusement, quand j’arrête ramasser des biens destinés à la collecte d’ordures chez les voisins, quand je sors de nos poubelles un article qui pourrait être utile à quelqu’un d’autre et que je le dépose sur le bord de la route afin qu’il trouve preneur ou que je vais le porter à un organisme communautaire.

Bien que pour moi ces actes soient anodins, réutiliser ce qui ne sert plus et donner au suivant est une source évidente de malaise pour mon amoureux, qui ne sait plus où se cacher. Sa réaction est la même lorsque sa mère ou moi achetons nos vêtements dans les centres d’aides ou sous-sols d’église ou que je ramène à la maison des cartons pleins de merveilles que m’a données ma mère ou une amie et qui ne leur servent plus. Il peut s’agir de vêtements, de livres, d’articles de cuisine, parfois même de la nourriture achetée en prévision d’une recette jamais exécutée.

J’imagine qu’il n’est pas le seul à vivre un tel malaise. C’est pourquoi j’explore ici la notion de honte dans le contexte du partage et de la générosité, en me penchant sur le geste apparemment simple de récupérer des objets des poubelles pour leur donner une seconde vie. Je ne parle pas ici de nécessité, mais simplement de faire durer un objet dans le temps, au lieu d’acheter du nouveau. D’autant plus que les vieux articles sont bien souvent de meilleure qualité que ceux que nous pouvons nous procurer maintenant.

 

La stigmatisation du partage

Dans une ère où la surconsommation et le gaspillage règnent en maîtres, la récupération d’objets abandonnés devrait être perçue comme une pratique écologique et socialement responsable. Cependant, la stigmatisation sociale associée à ces actions crée un malaise, particulièrement au sein de mon couple. L’imposition de normes rigides quant à la perception des biens matériels alimente une gêne injustifiée, surtout étant donné que ces gestes sont motivés par une volonté de réduire mon empreinte environnementale.

 

L’économie de partage : une tendance en évolution

L’économie de partage, sous toutes ses formes, connaît une croissance exponentielle dans le monde contemporain. De la location de biens entre particuliers à la redistribution d’objets qui ne servent plus, cette tendance remet en question les schémas traditionnels de consommation. Cependant, le regard souvent critique porté sur ceux qui s’adonnent à ces pratiques souligne la nécessité d’une réflexion approfondie sur notre relation à la possession et au partage.

 

La valeur subjective des objets

L’une des raisons pour lesquelles certaines personnes peuvent éprouver de la honte à l’idée de récupérer des objets abandonnés réside dans la perception subjective de la valeur. Tandis que certains, comme moi, voient un objet usagé comme une occasion de réduire leur empreinte environnementale en le détournant de l’enfouissement, d’autres peuvent se sentir gênés à l’idée d’utiliser quelque chose qui a déjà appartenu à quelqu’un d’autre et qui ne lui a pas été directement offert. La redéfinition de la valeur des objets usagés dans le contexte de la durabilité et de la conscience sociale est un élément clé pour surmonter ces préjugés.

 

L’importance de l’empathie dans le partage

L’empathie, la capacité de comprendre et de ressentir les émotions des autres, joue un rôle crucial dans la promotion du partage sans honte. En comprenant les motivations derrière le geste de récupérer des objets abandonnés, il devient possible de transcender les jugements superficiels et de reconnaître la valeur intrinsèque du partage. Encourager l’empathie au sein des relations conjugales et familiales peut créer un environnement où le partage est célébré plutôt que stigmatisé.

 

Le pouvoir de la rééducation écologique

Le geste de récupérer des objets abandonnés va au-delà de la simple économie personnelle. En ce qui me concerne, ce n’est vraiment pas l’aspect financier qui me traverse l’esprit au moment de m’approprier le « déchet » d’autrui. Il s’inscrit dans une perspective plus large de rééducation écologique, invitant chacun à repenser sa relation aux biens matériels et à adopter des pratiques plus durables. Encourager une mentalité axée sur la réutilisation peut contribuer non seulement à réduire le gaspillage, mais aussi à sensibiliser à l’importance de la responsabilité environnementale.

 

Dépasser la peur du jugement social

La honte associée au partage peut également découler de la peur du jugement social. La société moderne impose souvent des normes rigides quant à ce qui est considéré comme acceptable ou non. Il est donc essentiel de remettre en question ces normes et d’encourager une culture du partage décomplexée. En exposant les avantages sociaux et environnementaux du partage, il devient possible de changer les mentalités et de favoriser une acceptation plus large de ces pratiques.

 

Encourager le dialogue au sein du couple

La communication ouverte et honnête au sein du couple est cruciale pour surmonter les divergences d’opinions liées au partage. Outre le simple fait de comprendre la réaction de l’autre, en discutant ouvertement des motivations derrière le geste de récupérer des objets abandonnés, les partenaires peuvent mieux comprendre et respecter les perspectives de chacun. Cette communication favorise la construction d’une relation basée sur l’acceptation mutuelle, où le partage devient une force unificatrice plutôt qu’une source de discorde. Bien que tous ne soient pas ouverts à cette discussion, mon chéri étant l’un d’eux, je me résous à passer derrière lui pour faire le tri de ce qu’il jette, ou je m’arrête chez les voisins en son absence.

La honte qu’éprouve mon conjoint lorsque je ramasse des objets destinés à la collecte d’ordures chez les voisins révèle des dynamiques sociales profondément enracinées. Je ne suis pourtant pas dans le besoin; j’ai simplement une conscience écologique très développée et on m’a inculqué très jeune de réutiliser ce qui peut encore servir. J’aimerais tant comprendre quelle est sa dynamique de pensée à lui et, surtout, qu’il comprenne mon point de vue.

Cependant, en réfléchissant sur la nature du partage, en encourageant l’empathie et en redéfinissant la valeur des objets usagés, il est parfois possible de faire tomber ces préjugés. Le partage devrait être célébré comme une expression de durabilité, de responsabilité sociale et de générosité, plutôt que d’être associé à la honte. En favorisant le dialogue au sein du couple et en énonçant les avantages du partage, la société peut évoluer vers une mentalité plus ouverte et inclusive, où le partage est perçu comme une force positive pour le bien de tous.

Trop de gens jettent leurs choux gras. Pourquoi ne pas en tirer profit? Ce serait utile pour nous en tant que consommateurs et pour la planète en soulagement de sa souffrance.