La cuisine de rue : à la croisée des chemins

Publié le 8 juillet 2022
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott

La cuisine de rue : à la croisée des chemins

Comment définir la restauration de rue ? Il s’agirait d’un repas ou d’un goûter, habituellement à prix abordable, que l’on consomme en dehors d’un restaurant à proprement parler. Cette définition tient en effet compte de la grande variété des pratiques, telles qu’elles existent autour du globe.

 

La restauration de rue s’est manifestée depuis longtemps en Occident, et des fouilles archéologiques ont mis en lumière le fait qu’elle était déjà connue à Pompéi. Au Moyen Âge, les guildes professionnelles régissaient les kiosques de rue autorisés à vendre des boissons, mais pas ceux où l’on pouvait acheter des plats préparés. Le phénomène a pris de l’ampleur avec l’urbanisation et l’industrialisation, facteurs ayant occasionné un besoin grandissant pour des repas pris sur le pouce.

 

S’il peut parfois exister une mince distinction entre restauration rapide et cuisine de rue (on pense aux bretzels et aux hot-dogs vendus dans les rues de New York), la restauration rapide offre généralement des menus standardisés, tandis que les kiosques de rue ont un espace physique restreint. Alors, ces derniers offrent un menu limité, ce qui les distingue de leurs compétiteurs, et c’est peut-être là leur principal intérêt.

 

On note que la plupart du temps, les individus travaillant dans le domaine de la restauration de rue dans les pays industrialisés sont de deux types : des nouveaux arrivants tentant de populariser des plats de leur pays d’origine (ou de les adapter au goût local) et, d’autre part, des individus passionnés pour qui leur échoppe permet, au quotidien, de perfectionner un mets ou un style de cuisine en particulier.

 

Dans certains pays, dont le Japon et l’Inde, les gens sont prêts à parcourir de grandes distances à la quête de saveurs uniques dont la réputation dépasse largement le quartier où les plats sont produits. Le Pérou et le Mexique sont deux pays latino-américains où les plats du terroir y sont souvent mis à l’honneur ; en effet, peu de résidences privées possèdent l’espace physique et l’équipement spécialisé nécessaires à la réalisation de certains mets du terroir. D’autres facteurs entrent aussi en ligne de compte, soit des modes de cuisson, mieux adaptés à la cuisine en plein air.

 

Il ne faut pas oublier que la vente de plats cuisinés est souvent la seule porte d’entrée vers le marché du travail dans un certain nombre de pays en voie de développement. Cette donnée est prise en compte par des organismes, dont l’OMS (Organisation mondiale de la santé), qui souhaitent miser davantage sur des campagnes de sensibilisation à des notions d’hygiène et de salubrité alimentaire plutôt que de condamner et de punir les failles de certains kiosques.

De plus, le tourisme gastronomique est désormais un phénomène planétaire qui permet aux visiteurs de déguster une grande variété de spécialités locales, tout en permettant aux populations qui les préparent de vivre dans la dignité, là où les emplois sont parfois difficiles à trouver. On notera qu’en Afrique sub-saharienne, ce sont surtout les femmes qui sont actives dans ce secteur, alors qu’au Bangladesh, ce sont essentiellement des hommes.

 

Si, règle générale, le consommateur se déplace vers les échoppes, on assiste au phénomène contraire. Lors des festivals de bluegrass, dans l’État américain du Kentucky, les vendeurs de burgoo ne sont jamais loin, puisque ce ragoût à base d’agneau est indissociable de ce style musical. Chez les Premières Nations, le très prévisible Indian Taco est proposé lors des pow-wow, ayant habituellement lieu en période estivale, et, à la différence du taco mexicain, la tortilla est ici remplacée par un pain frit (bannique).

 

Le Canada a adhéré à cette mouvance assez tardivement, et les projets pilotes tenus dans les villes de Calgary, Vancouver, Ottawa, Montréal et Québec n’ont commencé qu’à partir de 2008. La ville de Québec s’est inspirée de l’expérience de Portland, en Oregon, vraisemblablement la ville nord-américaine où ce type de restauration connaît le plus franc succès. Les camions-restaurants forment des agglomérations dont le répertoire tient compte d’une multitude de besoins spéciaux, qu’il s’agisse d’un menu végétalien ou casher. Le réseau CNN et la revue Bon Appétit reconnaissent Portland comme étant une étape incontournable lors d’un rallye gastronomique.

 

Dans le cas précis de Montréal, une controverse concernant la restauration de rue remonte à 1928, époque où les vendeurs de frites et de hot-dogs jouaient déjà le rôle de « cafétéria » pour les employés d’usine. Comme ces mêmes personnes s’occupaient à la fois de la cuisson et du soin apporté aux chevaux qui tiraient leur kiosque, une loi a été adoptée en 1947 pour les bannir de l’espace public.

La ville de Granby a adopté un règlement analogue, mais une importante pétition a fait reculer l’administration municipale, ce qui offre un sursis jusqu’en 1971. Ce sont des véhicules motorisés qui, par la suite, semblent avoir pris la place de ces cantines mobiles ; ces camionnettes se spécialisent désormais dans la vente de sandwiches préemballées (et, par conséquent, non régie par la loi promulguée en 1947).

 

Des projets pilotes réalisés en 2013-2014 permettront aux camions-restaurants de réapparaître officiellement à Montréal lors de festivals et à d’autres endroits désignés par l’administration municipale. Néanmoins, ce qui distingue cette ville est le fait que pour recevoir le feu vert, les restaurateurs doivent démontrer la preuve que leur projet d’entreprise est une valeur ajoutée à la gastronomie québécoise.

Certains sont d’avis que la restauration de rue au Québec est chère, car il faut tenir compte des taxes, des frais d’exploitation et du coût des matières premières, et prendre en compte qu’une saison, somme toute, est assez courte.

 

Loin de s’essouffler, cependant, le phénomène « bouffe de rue » semble avoir pris une autre trajectoire au terme des deux dernières années. En effet, on note que cette année, un nombre croissant de demandes ont été présentées en raison de l’assouplissement des règles sanitaires et du retour en force de plusieurs festivals.