La cuisine méconnue de l’Acadie

Publié le 16 février 2023
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott

La cuisine méconnue de l’Acadie
Atelier Deuil-Temps des fêtes

Que connaissons-nous au juste des traditions acadiennes ? Il n’est pourtant pas nécessaire de se rendre au Nouveau-Brunswick pour aller à la rencontre de cette culture, puisque nombreux sont ceux qui se sont implantés au Québec après le Grand Dérangement de 1755. Ils ont fondé des communautés, de Bécancour aux îles de la Madeleine, de Saint-Jean-sur-Richelieu à la Nouvelle-Acadie, située dans la MRC de Montcalm.

 

Afin de pourvoir à leur subsistance, tout en s’adaptant à un nouveau milieu de vie après 1755, les Acadiens ont su créer une cuisine simple. Un plat identitaire qui pourrait bien symboliser leur attachement à leur passé serait la ploye. Si le nom désignant cette crêpe jaunâtre cuite d’un seul côté se perd sous le poids des théories les plus diverses. La ploye est invariablement faite d’un mélange de farine de blé et de sarrasin, de sel, d’eau et de poudre à pâte.

Soulignons toutefois que la farine produite à Madawaska, au Nouveau-Brunswick, n’est pas la farine grisâtre avec laquelle nous sommes familiers, mais bien celle d’une espèce voisine, dite « farine de sarrasin verte ». Rappelons en passant que le sarrasin, peu importe sa couleur, est plein de bons nutriments, en plus de s’accommoder à un style de vie végétarien et végétalien.

 

C’est en 1780 qu’aurait commencé la culture de cette céréale dans la vallée de la rivière Saint-Jean. Lorsque, vers 1850, la culture du blé diminue, le sarrasin représente à lui seul 40 à 45 % de la production céréalière. Il servira à la fabrication de cette crêpe emblématique, servie trois fois par jour, et ce, jusque dans les années 1950. Peu importe qu’elle soit accompagnée de cretons, d’un ragoût de poulet, de beurre ou de sirop d’érable, plus il y a d’yeux (trous se formant lors de la cuisson), plus elle sera délicieuse. C’est donc au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale que les produits manufacturés, tels que le pain tranché, les pâtes alimentaires et les gâteaux, éclipseront sa popularité.

 

Si la gastronomie acadienne semblait être en perte de vitesse depuis lors, en 2019 paraît un livre de recettes, intitulé Saveurs d’Acadie. Les auteures, Anne Godin et Amélie Poirier, ont rompu ainsi un silence long de 44 ans en publiant un bouquin sur une tradition culinaire connaissant un certain regain d’intérêt. On y découvre les mille et une façons d’apprêter les poissons, les fruits de mer et, bien sûr, la pomme de terre, de même qu’une recette un peu inattendue, soit le cipâte.

Les auteures soulignent que ce plat, que nous associons au Saguenay-Lac-Saint-Jean, est un incontournable lors des repas du temps des fêtes à Madawaska. Selon certains historiens, l’ancêtre du cipâte (ou cipaille) viendrait d’Angleterre, plat que les marins anglais appelaient « sea pie ». Dans quelle mesure ce plat serait-il l’inspiration de la traditionnelle tourtière ? Quel est son rapport avec le cipâte québécois ? Ces questions demeurent des sujets de controverse.

 

Parmi les desserts acadiens, on retiendra la poutine à trou, faite d’une pâte contenant des pommes, des canneberges et des raisins secs, et la poutine râpée, un dumpling salé fait à base de patates et de viande hachée que l’on croit être l’adaptation des Knödels allemands. Cela n’a rien de farfelu, puisque des mercenaires allemands à la solde du gouvernement britannique de l’époque se sont implantés dans le Bas-Canada. Plusieurs habitants de Saint-Gervais (dans Bellechasse, au Québec) tirent d’ailleurs leur origine de mariages entre ces immigrants germaniques et des femmes acadiennes.

 

D’autres influences ont aussi enrichi la palette gustative acadienne, dont celles héritées des Premières Nations, avec qui les Acadiens vivaient en bon entendement. Il n’y a rien de surprenant à ce que les plats consommés par les Malécites et les Micmacs, peuples de la mer, incluent les poissons boucanés, les chaudrées de maïs, de courge et de fruits de mer. On a même adopté la dulse (petit goémon ou bacon de la mer), algue récoltée à Dark Harbour, au Nouveau-Brunswick, que l’on croit être la meilleure au monde. On la consomme comme collation ou pour épaissir les soupes.

 

Il est loisible de se demander quelles sont les différences et les ressemblances entre la cuisine acadienne et celle des Cajuns de Louisiane. Les Cajuns adorent les plats très relevés, et on ne s’étonne guère à ce que la sauce Tabasco (inventée en Louisiane) soit indispensable à la préparation de nombreux plats. Les Acadiens, pour leur part, préfèrent le goût plus délicat de la sarriette. On notera toutefois certaines ressemblances nées du commerce entre l’Amérique du Nord, le Brésil et les Antilles.

Ainsi, la mélasse, le riz, la cassonade et les raisins secs occupent une place de choix dans le garde-manger de Louisiane et du Nouveau-Brunswick. On notera, par ailleurs, que les États-Unis ont atteint une plus grande autonomie alimentaire quant à la consommation du riz, puisque cette céréale est cultivée avec succès en Californie comme dans les États du sud-est du pays.

 

Il n’y a pas qu’au Canada que la ploye connaisse des adeptes. Lors d’un voyage à La Nouvelle-Orléans, un membre de la famille Bouchard, établie à Fort Kent, au Maine, se préoccupait du nombre décroissant de fermes spécialisées dans la culture de la pomme de terre dans cette région de Nouvelle-Angleterre. Il rapporte à la ferme familiale un mélange de beignets comme ceux qui, depuis 1862, ont assuré la célébrité au Café du Monde, situé dans le quartier français de La Nouvelle-Orléans.

Il désirait copier la recette en popularisant un mélange de crêpe de sarrasin. C’est donc depuis environ 20 ans que la communauté de Fort Kent organise le plus grand festival mondial de la ploye. La ferme a même fabriqué une plaque métallique de 12 pieds de diamètre, de manière à servir ce qui serait la plus grande crêpe de ce genre au monde.

 

Qu’ils s’identifient comme Acadiens ou plus précisément sur la base d’une appartenance régionale, comme celle des Brayons, les habitants du Nouveau-Brunswick ont su créer une cuisine originale qu’on aurait avantage à découvrir. Grâce à leur rayonnement hors de leurs frontières, ils ont su renouer avec des traditions culinaires qui connaissent aujourd’hui un regain de popularité.