La dépendance aux sucres, un nouveau fléau !

Publié le 21 novembre 2016
Écrit par Dre Valérie Conway

La dépendance aux sucres, un nouveau fléau !

Avec l’arrivée du temps des fêtes s’annoncent bien souvent les excès de table. Au menu, le ragoût, la tourtière, les sauces riches en matières grasses et en sel, en plus de la traditionnelle bûche de noël bourrée de sucres ajoutés.

 

SI L’HOMME MANGEAIT autrefois pour assurer sa survie en comblant son besoin énergétique, la consommation alimentaire s’est complexifiée en une quête bien plus souvent hédonique que vitale de nourriture, encore plus dans le temps des fêtes. L’alimentation de l’homme moderne est fortement motivée par la recherche de plaisir lié à l’ingestion d’aliments, en particulier ceux riches en sucres, en sel et en gras. Cette association entre le plaisir et la nourriture est d’ailleurs souvent soulevée comme l’une des causes de l’épidémie d’obésité que l’on observe d’un bout à l’autre du globe1. Par exemple, la consommation excessive de sucres ajoutés est associée à des troubles cardiovasculaires, à l’obésité, au diabète de type 2, aux dyslipidémies, à l’inflammation, à la résistance à l’insuline et à la carie dentaire2. Tentons de comprendre pourquoi il est si difficile de s’abstenir de consommer des aliments riches en sucres, malgré notre bon vouloir, et pourquoi beaucoup d’entre nous sont d’irréductibles « dents sucrées ».

 

Portrait de notre consommation de sucres ajoutés

Les glucides (sucres) ont pris une importance considérable dans l’alimentation de l’homme moderne, en comblant en moyenne autour de 60%de son apport calorique journalier. Quoique les glucides fassent partie intégrante d’une saine alimentation lorsque consommés sous la forme de fibres alimentaires (c.-à-d. les sucres complexes), les sucres simples, particulièrement les sucres raffinés, sont, pour leur part, inutiles à notre santé ! Si l’alimentation de nos ancêtres était typiquement riche en sucres complexes et apportait en moyenne 104 grammes de fibres alimentaires par jour, l’alimentation du Nord-Américain moyen en contient un faible12grammes, soit moins de la moitié de la recommandation officielle en vigueur3 !

De façon opposée, sa consommation de sucres ajoutés atteint plus de 21 % de son apport calorique journalier ! Sachez pourtant que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommande de limiter sa consommation de sucres ajoutés idéalement à 5% de l’apport calorique journalier, ou au maximum à 10% de celui-ci, soit un maximum d’environ 50 grammes de sucres ajoutés par jour. Malheureusement, les données disponibles nous indiquent que le Canadien moyen consommerait plutôt 110 g de sucres ajoutés au quotidien, soit l’équivalent de 26 cuillères à thé ! Le portrait de la consommation de sucres ajoutés chez les 14 à 18 ans est encore plus alarmant, atteignant les 171 grammes par jour4 !

 

Sucres ajoutés par rapport aux sucres naturels

Il est important de ne pas confondre les sucres ajoutés, ceux spécifiquement ciblés par les recommandations des agences de la santé, avec les sucres naturels. En effet, on retrouve de façon naturelle des sucres simples (c.-à-d. le lactose, le glucose, le fructose et le saccharose) dans divers aliments comme le lait, les fruits, les légumes et les noix. Quoique leur composition chimique soit identique à celle des sucres ajoutés, ces aliments contiennent plusieurs nutriments bénéfiques pour la santé tels que les fibres, les vitamines et les minéraux. Au contraire, les aliments transformés additionnés de sucres induisent une réponse glycémique élevée, apportent généralement peu de nutriments essentiels et sont une source importante de calories vides. Additionnés intentionnellement lors de la transformation alimentaire pour améliorer la conservation, la texture et le goût, on reconnaît les sucres ajoutés dans la liste des ingrédients sous les termes suivants: saccharose, sucrose, lactose, glucose, dextrose, fructose, galactose, maltose, sucre, sucre inverti, miel, mélasse, sirop de glucose, glucose-fructose, sucre de canne, cassonade, sucre liquide, sirop d’agave, etc.

 

Les molécules alimentaires du plaisir

Notre quête hédonique de nourriture est liée à ce que l’on appelle « la palatabilité » des aliments, soit leur capacité à satisfaire nos sens par leurs caractéristiques organoleptiques. La palatabilité englobe l’ensemble des composantes affectives portant sur la perception de l’aliment par notre cerveau via nos sens : l’odorat, la vue, le toucher et le goût5. Dans la catégorie des aliments de haute palatabilité, on retrouve souvent des aliments riches en gras, en sel et bien évidemment en sucres. Les sucres sont en fait les principales molécules incriminées dans les phénomènes de dépendances alimentaires, particulièrement les sucres ajoutés. Ceux-ci ont la capacité de moduler la chimie du cerveau au même titre que d’autres agents de dépendance pharmacologique1 ! De façon assez générale, on observe que plus la palatabilité des aliments est élevée, plus leur ingestion augmente1 ! De plus, il a été proposé

Que le potentiel addictif des aliments soit grandement fonction de leur charge glycémique, et de la rapidité avec laquelle les glucides sont libérés dans le sang (c.-à-d. la réponse glycémique)6.. Typiquement, les aliments riches en sucres ajoutés ont une charge glycémique variant d’élevée à très élevée.

 

La dépendance aux sucres

Si la préférence envers certains aliments est en partie génétiquement programmée, par exemple l’aversion pour l’amertume, nos comportements alimentaires sont principalement dictés par des mécanismes d’apprentissage liés à l’obtention d’une récompense7. La dépendance au sucre est un cas bien particulier de dépendance alimentaire dans lequel le sucre vient jouer, au même titre que les opioïdes, les stimulants, l’alcool ou la nicotine, un effet modulateur sur la sécrétion de molécules du plaisir et de la récompense6. La dopamine est un neurotransmetteur important dans la régulation des comportements alimentaires. En effet, les neurones dopaminergiques, soit ceux qui libèrent la dopamine, sont les acteurs principaux du système de la récompense de notre cerveau.

Ce circuit neuronal est impliqué dans tous nos comportements visant à combler nos besoins vitaux, mais aussi dans la recherche de plaisir, d’émotions fortes et les phénomènes de dépendance. Brièvement, le circuit de la récompense implique trois structures de notre cerveau : l’aire tegmentale ventrale (ATV), le noyau accumbens et le cortex préfrontal. Par exemple, devant une pointe de gâteau triple chocolat, l’ATV de notre cerveau active ces neurones dopaminergiques afin de libérer leurs neurotransmetteurs dans le noyau accumbens, une toute petite partie de notre cerveau impliquée dans la recherche de plaisir et la dépendance.

Ce déversement accru de dopamine est ensuite traduit par le cortex préfrontal par un sentiment de plaisir et de satisfaction du désir qui renforce notre motivation à répéter l’action (manger du gâteau = plaisir !)7. La dépendance est un comportement qui survient lorsque l’on sur stimule le système de la récompense. Au même titre que les substances pharmacologiques créant une dépendance, une exposition chronique aux sucres ajoutés pourrait diminuer l’efficacité du circuit de la récompense, induisant un besoin accru de sucres pour obtenir la libération d’une même quantité de dopamine qu’auparavant ! Certaines études suggèrent d’ailleurs qu’une faible activité dopaminergique dans le cerveau prédisposerait les individus à la surconsommation d’aliments de haute palatabilité afin de pallier le manque de dopamine8. La particularité du sucre vient du fait qu’en plus de stimuler la libération de dopamine comme d’autres agents pharmacologiques, son ingestion apporte des calories (4 kcal/g de sucre) et influence la glycémie, qui ensuite stimule l’appétit.

En résumé, plus l’on consomme de sucres raffinés, plus notre corps en demande, plus notre glycémie fluctue et plus la quantité d’aliments ingérés augmente au détriment du maintien de notre poids et de notre santé.

 

Les calories liquides : une double problématique

Les calories liquides font référence aux calories issues d’aliments liquides, outre les soupes et potages, principalement sous la forme de boissons sucrées (tableau1). Ces boissons sont l’une des principales sources de sucres ajoutés de l’alimentation moderne. Outre leur contenu élevé en sucres ajoutés, les calories liquides ont comme particularité de pouvoir être consommées à un rythme beaucoup plus important que pour la nourriture solide, en plus d’avoir un impact beaucoup plus faible sur notre sentiment de satiété ! Ainsi, les calories liquides n’empêchent pas la consommation de calories solides (c.-à-d. les aliments) et mènent inévitablement à un surplus énergétique et à une prise de poids2, 9.. Récemment, une étude a démontré que la réduction des calories sous forme liquide avait plus d’effet sur la perte de poids chez des patients obèses que la réduction de l’apport en calories totales chaque jour ! Les chercheurs expliquent justement cette différence par le fait que l’humain semble difficilement détecter les calories liquides comparativement aux calories solides (c.-à-d. les aliments)9. Outre la prise de poids, la consommation de calories liquides est associée à diverses maladies, telles que le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires et le syndrome métabolique. Une méta-analyse a d’ailleurs démontré que la consommation de deux à trois boissons sucrées par jour augmentait le risque de développer le diabète de 31% comparativement à la consommation journalière d’une seule boisson sucrée2 !

 

En conclusion

Afin de réussir à limiter votre consommation de sucres ajoutés, il est bien malheureusement souvent nécessaire de s’abstenir pour un temps d’en ingérer afin de déconditionner l’organisme de son besoin. Avec le temps, il est possible de rétablir notre seuil de sensibilité aux sucres et de limiter les envies irrésistibles d’en consommer régulièrement. Après une « cure de détox », vous serez bien étonné de trouver les aliments, que vous appréciiez pourtant auparavant, maintenant bien trop sucrés pour vous ! Pour vous assurer d’une alimentation équilibrée, tentez de limiter votre consommation de sucres ajoutés à moins de 50 g par jour. Comblez plutôt vos envies de sucre en consommant des fruits frais, des dattes ou d’autres fruits séchés nutritifs. Les eaux pétillantes aromatisées, l’eau additionnée de citron ou d’autres aromates (comme le concombre et la coriandre) ou encore le thé sont d’autres solutions à la consommation de calories liquides. Évitez surtout de troquer les boissons sucrées par leur version allégée, édulcorée chimiquement. En effet, si ces dernières n’apportent pas de calories, leurs effets métaboliques et leur influence sur le circuit de la récompense semblent être les mêmes que pour les sucres ajoutés, en plus de l’impact parfois controversé de ces composés sur la santé.

 

RÉFÉRENCES

  1. YEOMANS, M.R., J.E. BLUNDELL et M. LESHEM. « Palatability: response to nutritional need or need-free stimulation of appetite? », British Journal of Nutrition, vol. 92, suppl. 1, 2004, p. S3-14.
  2. MALIK, V.S., et autres. « Sugar-Sweetened Beverages, Obesity, Type 2 Diabetes Mellitus, and Cardiovascular Disease Risk », Circulation, vol. 121, no 11, 23 mars 2010, p. 1356-1364.
  3. EATON, S.B., S.B. EATON3e, et M.J. KONNER. « Paleolithic nutrition revisited: a twelve-year retrospective on its nature and implications», European Journal of Clinical Nutrition, vol. 51, no 4, 1997, p. 207-216.
  4. LANGLOIS Kellie, et Didier GARRIGUET. Consommation de sucre chez les Canadiens de tous âges, Santé Canada, 2011.
  5. FRECHOT, A. Activations cérébrales liées à la palatabilité d’un aliment chez l’Homme: applications en neuromarketing.
  6. WESTWATER, M.L., P.C. FLETCHER et H. ZIAUDDEEN. « Sugar addiction: the state of the science », European Journal of Nutrition, 2016, p. 1-15.
  7. CARTER Rita. The Human Brain Book, 2eédition, New York, DK Publishing, 2014, 264 p.
  8. WANG, G.J., et autres. « Enhanced striatal dopamine release during food stimulation in binge eating disorder », Obesity, vol. 19, no 8, 2011, p. 1601-1608.
  9. DE GRAAF, C. « Why liquid energy results in overconsumption », Proceedings of the Nutrition Society, vol. 70, no 2, 2011, p. 162-170.
  10. SANTÉ CANADA. Fichier canadien sur les éléments nutritifs (FCEN), 2010. [www.hc-sc.gc.ca/fn-an/nutrition/fiche-nutri-data/index-fra.php]