La disparition de H. pylori et les maladies de civilisation

Publié le 9 novembre 2016
Écrit par Sylvie Rousseau, nd.a.

La disparition de H. pylori et les maladies de civilisation
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La montée de maladies chroniques telles que l’obésité, le diabète, l’asthme, les allergies et certaines formes de cancer affecte toutes les strates de la population, dont les enfants en bas âge. Elle serait causée, selon l’hypothèse la plus étudiée, par la mise en place d’une hygiène presque chirurgicale, rendant notre environnement trop aseptisé et provoquant un dysfonctionnement du système immunitaire dans la population.

 

LE DIRECTEUR du Human Microbiome Program (Programme sur le microbiome humain) à la NYU (New York University), DrMartin J. Blaser, qui a consacré 30 années de sa vie à étudier le rôle des bactéries dans les maladies humaines, croit que cette hypothèse a été mal interprétée. En fait, il avance que cette problématique actuelle serait causée plutôt par les changements observés dans les derniers 100 ans dans le microbiome humain, soit l’ensemble des microbes vivants dans notre organisme.

 

LE MICROBIOME HUMAIN

« Biome» est un terme utilisé en écologie pour faire référence à un ensemble de plantes ou d’animaux vivant en communauté, comme dans une forêt, une jungle ou un récif de coraux. La force de cette association tient à la grande diversité d’espèces interagissant et communiquant ensemble afin de se soutenir mutuellement. Lorsqu’une espèce disparaît, c’est tout l’ensemble qui en souffre. Or, chacun de nous abrite dans son corps une écologie diversifiée de microbes qui a coévolué avec l’espèce humaine depuis des millénaires.

Nous devons considérer notre microbiome comme un organe vital au même titre que le cerveau, le foie ou les reins. Alors que notre corps est composé d’environ 30 trillions de cellules humaines, nous abritons au moins 100 trillions de bactéries et de levures amicales.

Leur développement commence non pas dans l’embryon, mais immédiatement après l’accouchement lorsque l’enfant entre en contact avec la flore vaginale de la mère. Il continue à se développer dans notre jeune âge en acquérant d’autres microbes venant des gens de notre entourage. À l’âge de trois ans, le microbiome de l’enfant ressemble déjà à celui de l’adulte. Perdre son microbiome serait aussi désastreux que perdre son foie ou ses reins. Il est impossible de survivre sans celui-ci à moins de vivre dans une bulle aseptisée. Il existe un microbiome unique à chaque espèce animale, dont l’humain. Ces microbes sont symbiotiques avec leur hôte et facilitent plusieurs fonctions métaboliques et protectrices en échange d’habiter leur organisme.

 

HELICOBACTER PYLORI

On retrouve des bactéries tout le long du tube digestif, y compris à l’intérieur de l’estomac, où la digestion commence. Même s’il y a beaucoup d’acidité, des bactéries résident dans l’estomac, mais c’est H. pylori qui s’y retrouve en supériorité. On confirme que H. pylorihabite le corps humain depuis au moins 100 000 ans, mais on soupçonne que ce microbe est présent depuis l’origine de l’Homo sapiens en Afrique, soit 200 000 ans. Aujourd’hui, on constate que certaines espèces microbiennes sont en voie de disparition. Cette situation est vraisemblablement causée par l’usage abusif d’antibiotiques chez les humains et les animaux, tout comme l’abus des césariennes et l’utilisation massive de désinfectants et d’antiseptiques. Une des conséquences, la résistance aux antibiotiques, a fait réapparaître des maladies qu’on croyait éradiquées, comme la tuberculose.

En 1980, le Dr Blaser a étudié le comportement des bactéries dans le corps humain, dont Campylobacter fetus, et compris que certaines sont arrivées à se cacher du système immunitaire en développant, au cours de millions d’années d’essais et erreurs, divers subterfuges pouvant aider son hôte ou lui nuire selon les circonstances. Une espèce semblable a été retrouvée dans l’estomac. On l’a alors nommée « Gastric Campylo bacter-Like Organism » (GCLO). Aujourd’hui, on la connaît sous le nom de « Helicobacter pylori ». Blaser en a fait son cheval de bataille au cours des 28 années suivantes. Il croyait que la clé pour aider à résoudre le casse-tête des maladies modernes résidait dans la compréhension de cette bactérie. Il voulait démontrer que la perte de certaines bactéries telles que H. pylori était responsable des nouveaux problèmes de santé, dont l’obésité, le diabète juvénile et l’asthme.

En 1983, un certain Dr Barry Marshall a avancé que le GCLO causait la gastrite et les ulcères. Ses dires étaient appuyés par plusieurs études démontrant qu’en éradiquant H. pylori avec des antibiotiques, on éliminait les ulcères. Cela a été une révolution, car à cette époque, on croyait que ces problèmes de santé étaient reliés au stress et à la production excessive d’acides, grâce aux études du Dr Dragutin Schwarz, un physiologiste allemand, en 1910, qui a démontré que les personnes âgées qui produisaient moins d’acide chlorhydrique n’avaient jamais d’ulcères. On traitait alors les ulcères en diminuant la production d’acides par l’administration d’antiacides.

Marshall et son collègue Warren ont reçu le prix Nobel en physiologie en 2005 pour leur travail. On a par la suite enseigné que la gastrite était une inflammation pathologique de l’estomac et qu’elle était causée par H.pylori. La pratique s’est alors répandue et la communauté médicale s’est mise à prescrire des antibiotiques pour traiter ce problème de santé.

 

LA DISPARITION DE HELICOBACTER PYLORI

Au cours de ses nombreuses expériences en laboratoire, le Dr Blaser a réalisé, vers les années 1990, que H. pylori était un membre normal de la flore bactérienne et qu’il jouait un rôle bénéfique dans notre santé. Il a confirmé que la majorité des humains abritaient H.pylori mais que seulement une fraction de ceux-ci avaient des gastrites. Cette bactérie réussissait à survivre dans ce milieu acide en nageant et en se multipliant suffisamment rapidement pour maintenir sa population… jusqu’à l’avènement des antibiotiques et de la chlorination. Depuis, on remarque qu’elle est de moins en moins fréquente dans l’estomac. Elle est en train de disparaître, et ce phénomène est plus notable dans les pays industrialisés.

Le Dr Blaser a observé que la disparition de cette bactérie pouvait être en lien avec de nouveaux problèmes de santé. Ses études sur les souris et les humains ont montré comment les antibiotiques éradiquant H.pylori notamment pouvaient affecter leur composition corporelle, leur foie, leur immunité, leur structure, leurs hormones et même leur cerveau, et que l’introduction d’antibiotiques à un jeune âge pouvait affecter leur flore intestinale et initier l’obésité.

Il a avancé que H.pylori aide à régulariser l’acidité stomacale en maintenant une légère inflammation locale qui stimule la production d’hormones, qui en retour permet la production d’acide chlorhydrique dans un système rétroactif très efficace. En 1998, le Dr Blaser a proposé, contrairement à Marshall, que les ulcères étaient causés par le changement dans la microécologie de l’estomac, soit un changement dans le nombre de bactéries H. pylori, dans les espèces et la variété des autres organismes présents dans l’estomac. Il ne s’agit donc pas d’éliminer ou de garder cette bactérie, mais bien de restaurer sa place légitime dans l’estomac.

La perte de H.pylori dans l’estomac a créé un nouveau milieu. La régulation de l’immunité, des hormones et de l’acide chlorhydrique doit se faire avec un partenaire en moins. Cette nouvelle problématique peut amener beaucoup de changements dans l’évolution humaine. On commence seulement à voir la pointe de l’iceberg. La bonne nouvelle, c’est que ce changement dans la microécologie est apparu depuis seulement une centaine d’années, soit l’équivalent d’un clin d’œil dans l’histoire de l’humanité. Cela demeure un phénomène récent et il est sûrement possible d’envisager que nous puissions corriger la situation. L’utilisation plus restrictive des désinfectants, des antibiotiques et des césariennes, et le remplacement des micro-organismes manquants doivent assurément faire partie de la solution.

Concrètement dans nos habitudes de vie, nous pouvons certainement protéger cette écologie en mangeant des légumes verts, des fruits peu sucrés et des aliments fermentés (choucroute, miso, tempeh, kombusha, kéfir, fromage fait de lait cru, yogourt nature biologique). Si on est intolérant aux produits laitiers, on peut prendre des suppléments de probiotiques. Ceux-ci devraient contenir plusieurs différentes souches de bactéries reconnues pour leur action bénéfique sur la santé, incluant des bifidobactéries et des lactobacilles. Les bonnes bactéries raffolent des aliments prébiotiques (topinambours, feuilles de pissenlit, ail, oignons, poireaux, asperges, etc.), car elles sont une nourriture pour les probiotiques. Puisque nous avons besoin de 35 grammes de fibres par jour, un supplément de fibres solubles et insolubles, dont les fruits riches en pectine (pommes, oranges, pamplemousses, etc.), le psyllium, les céréales entières et le son de blé ou d’avoine, les graines de lin, de chanvre et de chia, aideront à nourrir les bactéries amicales. Pour le futur de nos enfants, il est important de mettre en place dès maintenant ces quelques règles de vie pouvant faire une grande différence.

 

RÉFÉRENCES.

  1. BLASERLASER J. Martin MD, Missing microbes, New York, Henry Holt and company, 2014.
  2. ENDERS Giulia, Gut, the entire story of our body’s most under-rated organ, Australia, Scribe Publications, 2014.
  3. WATSON Brenda CNC, Skinny gut diet, New York, Harmony Books, 2014.