Publié le 15 juin 2023
Écrit par Nicolas Blanchette, D.O, B. sc. kinésiologie
L’étude du phénomène de la douleur humaine est un domaine infiniment complexe, dont la science n’a définitivement pas fini de percer tous les secrets ! Si vous aviez la chance de contempler une carte répertoriant tous les différents facteurs qui ont le potentiel d’influencer une expérience douloureuse, vous auriez l’impression d’observer une véritable galaxie (Cholewicki et coll., 2019). Malgré toute cette complexité, il est désormais bien connu que plusieurs mécanismes distincts peuvent produire cette sensation désagréable qui nous est si familière. Ces différents mécanismes ont en commun qu’ils mettent tous en jeu notre incroyable système nerveux.
Je ressens, donc je suis
Notre système nerveux est tout à fait fabuleux. Il nous permet d’être, de percevoir les sensations, de réfléchir et de nous mouvoir (entre autres choses !). Son unité fonctionnelle se nomme le « neurone » ; on en dénombre 85 à 100 milliards dans le cerveau uniquement ! Notre système nerveux comprend non seulement ce dernier, mais aussi la moelle épinière et les nerfs, dont les nombreuses terminaisons, qui nous permettent de prendre contact avec notre environnement.
Pour réaliser ses nombreuses fonctions, notre système nerveux est très énergivore. Bien que les nerfs représentent environ seulement 2 % du poids total du corps humain, ils consomment près de 20-25 % de tout son oxygène (McGill, 2020) ! On compare souvent les nerfs à des fils électriques. En effet, tout comme les circuits, le système nerveux utilise une forme d’électricité, appelée « influx nerveux », pour véhiculer ses informations. Toutefois, les fils électriques conduisent efficacement le courant même s’ils sont pliés et écrasés, ce qui n’est pas exactement le cas des nerfs, qui ressemblent davantage à des tuyaux de plomberie ! Les nerfs ont besoin d’un apport continu de sang et commencent à fonctionner moins bien lorsqu’on les en prive (comme lorsque vous restez assis trop longtemps sur un tabouret en bois dur et que vos fessiers s’engourdissent !).
Heureusement, l’évolution a bien adapté nos nerfs au besoin de nous déplacer régulièrement. Ainsi, pour accompagner les différents mouvements de nos articulations, les nerfs ont la possibilité de glisser, de se plier, de s’allonger et de subir des compressions. En s’étirant, un nerf s’allonge et son diamètre diminue, un peu à la manière d’un élastique. Le mouvement des nerfs, qu’on appelle la « neurodynamique », est quelque chose de très sain ! Il contribue à irriguer ces derniers et à assurer une fluidité des échanges circulatoires et électriques.
La douleur nociceptive et la douleur neuropathique
Le système nerveux est à la fois robuste et sensible. Il nous permet aussi de percevoir les sensations moins agréables, telles que la douleur. La forme de douleur que l’on connaît le mieux, celle qui est universellement partagée par tous les êtres humains à un moment ou à un autre de leur vie, se nomme la « douleur nociceptive ».
Dans ce type de douleur, des terminaisons nerveuses captent des signaux de nature mécanique, thermique ou chimique (par exemple, en ordre, se cogner le gros orteil, se brûler ou ressentir la douleur d’une réaction inflammatoire). Ces messagers, appelés « nocicepteurs », relaient l’information jusqu’au cerveau, qui prend ensuite en une fraction de seconde la décision d’interpréter ou non ce signal comme une réaction douloureuse. La réponse dépendra d’une foule de facteurs circonstanciels, liés autant à la personne qui subit la douleur qu’à l’environnement autour de cette dernière. La douleur nociceptive génère une réponse de protection de l’organisme. Une fois ce dernier en sécurité, la réparation des tissus blessés s’opère. Puis, peu à peu, la douleur s’estompe. Elle disparaît régulièrement, même avant que les travaux de construction ne soient complètement consolidés !
Il existe aussi un autre mécanisme de production de douleur moins connu : la douleur neuropathique. Cette forme de douleur toucherait des millions de personnes mondialement, avec une prévalence située autour de 7 à 10 % des gens (Van Hecke et coll., 2014). Les symptômes associés à la douleur neuropathique sont régulièrement plus sévères et persistent souvent plus longtemps dans le temps, ce qui les rend particulièrement frustrants à gérer à la fois par les personnes qui les vivent que pour les thérapeutes qui tentent de les aider (Deng et coll., 2016). Ces éléments font que la douleur neuropathique est associée davantage au fait de présenter un état dépressif (Noriko et coll., 2015). Les meilleures traitements pharmacologiques et plans de réadaptation pour ce type de douleur sont encore mal définis, même si les progrès scientifiques se sont accélérés dans les dernières décennies.
En quoi la douleur neuropathique est-elle différente de la douleur nociceptive habituelle ? Faisons un parallèle avec un système plus simple : la mécanique automobile. Si l’on peut concevoir la douleur nociceptive comme un bris dans le moteur, on pourrait concevoir la douleur neuropathique comme un dysfonctionnement du témoin lumineux, qui vous indique qu’il y a un problème (le fameux check engine qui reste allumé) ! Dans la douleur neuropathique, c’est le système qui rapporte l’information qui est blessé et ne fonctionne pas optimalement. Ainsi, une sensation ou un mouvement qui ne devrait normalement pas produire une réponse douloureuse peut devenir très désagréable. Les symptômes d’une douleur neuropathique peuvent être très variés, mais on leur reconnaît généralement un caractère « nerveux » : décharges électriques, sensation de brûlure, sensation de froid, sensation d’aiguilles, engourdissements, impression de gonflements ou de serrements, picotements, réduction de la sensibilité, faiblesses soudaines, etc.
Qu’est-ce qui peut blesser les nerfs ?
Mentionnons avant tout que si l’on pense souffrir de douleur d’origine neuropathique, il est important de consulter d’abord son médecin, afin d’obtenir un diagnostic et la médication appropriée.
On distingue deux grandes catégories de troubles neuropathiques : les troubles systémiques (polyneuropathies) et les troubles périphériques localisés. Les troubles systémiques affectent l’organisme sur une plus grande superficie et on les associe à des maladies impliquant le système neuro-immunitaire. Le diabète est le plus répandu, mais on dénombre aussi des pathologies diverses, comme la névralgie post-herpétique (zona), la sclérose en plaques, les symptômes qui perdurent après une chimiothérapie et les maladies inflammatoires auto-immunes.
Dans la catégorie des neuropathies périphériques localisées, on retrouve des pathologies comme le syndrome du tunnel carpien (la plus commune), la hernie discale, la sciatique, la névralgie cervico-brachiale et plusieurs autres types de névralgies. Ce qui irrite les nerfs, dans ce cas-ci, est souvent une compression jumelée à une réaction inflammatoire. La douleur prend alors une configuration qui suit ce que l’on appelle un « dermatome », c’est-à-dire une zone de peau qui correspond au territoire sensitif associé à une racine nerveuse. Dans la douleur neuropathique locale, il y a fréquemment la présence de mécanosensibilité : le nerf, qui n’est normalement pas sensible à ces contraintes, devient douloureux lorsqu’on le comprime ou qu’on l’étire.
Une régénération lente
Comme les autres tissus du corps humain, les nerfs ont eux aussi la possibilité de guérir, à condition qu’ils ne soient pas trop sévèrement endommagés. Toutefois, les nerfs se régénèrent à une vitesse qui est plus lente que celle des muscles ou de la peau (Ochsner et coll., 2013). Par exemple, pour le syndrome du tunnel carpien, même après que le patient a été opéré, il n’est pas rare que plus d’un an s’écoule avant la disparition de tous ses symptômes (heureusement, il est possible de fonctionner convenablement et de reprendre son travail après une période d’environ quatre à huit semaines).
Autre exemple : lorsqu’une douleur sciatique provient d’une cause neuropathique, seulement 20 % des gens n’auront aucune récurrence ou persistance de symptômes occasionnels après un an. Toutefois, nous savons aussi qu’après 3 mois, 75 % des gens constateront des améliorations allant de modérées à importantes quant à leur douleur et leurs symptômes. Certains chanceux ne ressentiront plus aucun symptôme (Scopic, 2020).
Pour la personne qui souffre de douleur neuropathique localisée diagnostiquée, il est important d’être conscient qu’il n’existe pas de solution miracle et que la guérison se compte davantage en mois plutôt qu’en jours. Toutefois, plusieurs moyens peuvent être utilisés pour s’outiller, afin que cette traversée de la tempête soit moins désagréable.
Un résumé récent de la littérature mentionne que « pour optimiser les résultats thérapeutiques sur la douleur et les fonctions des gens souffrant de douleur d’origine neuropathique, une approche multidisciplinaire incluant des modalités pharmacologiques et non pharmacologiques représente actuellement le meilleur consensus scientifique disponible » (Bernetti et coll., 2020).
L’importance de l’exercice physique
Plusieurs personnes présentant de la douleur neuropathique expriment la crainte d’empirer leur état en réalisant de l’exercice physique. Toutefois, les études démontrent plutôt le contraire : l’exercice physique est particulièrement indiqué pour ceux qui souffrent de ce type de trouble (Cooper et coll., 2016). L’exercice physique joue un rôle important à la fois dans la prévention de la douleur neuropathique et comme solution pour aider à gérer ces dernières lorsqu’elles sont présentes (Leitzelar et coll., 2021).
Les recherches actuelles démontrent que les individus physiquement actifs présentent un risque moins élevé de développer de la douleur neuropathique que les individus plus sédentaires. Pour les populations présentant déjà de la douleur neuropathique, il est particulièrement important de continuer à demeurer actives physiquement. L’exercice permet d’optimiser l’oxygénation des nerfs, aide à atténuer la douleur pendant la guérison, procure un effet anti-inflammatoire, prévient l’atrophie, la perte de fonctions, les contractures, l’ankylose, la dépression, les troubles du sommeil, ainsi que le déconditionnement, un facteur responsable de l’accroissement progressif de la douleur lors des activités quotidiennes.
Dans les recherches, différentes combinaisons d’exercices ayant un impact positif sur plusieurs aspects de la douleur neuropathique ont été essayées, telles que la diminution de la fréquence et de l’intensité de la douleur au quotidien, la diminution des pics de douleur mensuels, la diminution de la douleur autorapportée ou la diminution de l’emprise de la douleur sur les activités de la vie quotidienne. Des recherches rapportent des résultats similaires en utilisant à la fois les exercices de type cardiovasculaire et de résistance en musculation. Les exercices peuvent générer des réactions analgésiques (réduction de la douleur) qui se produisent à la fois à court terme (directement pendant et après la séance) qu’à moyen ou long terme (effets constatés dans les études après des programmes d’une durée de trois à quatre mois).
En conclusion
Il reste encore beaucoup à comprendre au sujet de la douleur neuropathique. Si on pense souffrir de ce type de douleur, il est important de consulter son médecin. Une fois le diagnostic bien établi, la prise de médication jumelée à la réalisation régulière d’exercices physiques adaptés semblent la meilleure voie à suivre pour réduire les impacts associés à ce trouble.
Ressources :
Cooper et coll, Emerging relationships between exercise, sensory nerves and neuropathic pain, Frontiers in neuroscience, 2016
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