
Publié le 1 octobre 2024
Écrit par Nicolas Blanchette, ostéopathe, B.Sc. kin
Phénomène très répandu au Canada, la douleur persistante toucherait actuellement une personne sur cinq. Il faut d’abord savoir que l’on définit la douleur persistante (aussi appelée « douleur chronique ») comme une douleur qui continue d’être vécue après une période supérieure à trois à six mois. Pourquoi trois à six mois? Parce que cet intervalle de temps est plus long que la durée moyenne du processus de guérison physiologique de la plupart des tissus de l’organisme (os, muscles, ligaments, etc.). Oui, on peut être complètement guéri d’une blessure et ressentir tout de même encore de la douleur.
L’organisme humain est aussi merveilleux que complexe. Il possède la faculté innée de s’autoguérir de toutes sortes de traumatismes et de lésions. À la suite d’une blessure, la production de douleur par le système nerveux n’arrive pas pour rien. Même si c’est désagréable d’avoir mal, c’est une bonne chose dans cette situation; nous sommes portés à protéger la région endommagée pendant le processus de guérison, ce qui facilite le travail des ouvriers cellulaires qui assurent les réparations. La douleur, c’est comme le panneau de signalisation aux abords d’un chantier, qui avise les automobilistes de ralentir parce que des travaux sont en cours. Toutefois, quand les travaux sont terminés, il est inutile de maintenir le panneau en place. S’il y demeure longtemps, cela ne créera rien d’autre que des désagréments et de la frustration. Il en est de même pour la douleur. Lorsqu’elle prend un caractère persistant, la douleur ne sert plus son rôle initial de protection utile.
En ce qui concerne blessures et douleur, toutes les combinaisons sont possibles.
L’IASP (International Association for the Study of Pain) définit la douleur ainsi : « C’est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à, ou ressemblant à celle associée à, une lésion tissulaire réelle ou potentielle ».
Lésion réelle ou potentielle… voilà qui porte à réfléchir. En effet, contrairement à la pensée populaire, on peut éprouver une sensation douloureuse désagréable en l’absence d’une blessure. On comprend mieux pourquoi certaines personnes souffrantes, malgré des examens médicaux approfondis ne décelant aucun problème, peuvent tout de même vivre des expériences de douleur ayant un profond impact sur leur fonctionnement au quotidien. Ils ne s’imaginent pas vivre de la douleur pour autant et ils ne sont pas fous! Ce n’est pas simplement « dans leur tête »! La douleur et ses répercussions sont réellement ressenties et vécues. Pourquoi pourrait-on continuer à avoir mal bien qu’une blessure soit guérie? Ou même avoir mal sans blessure? Pour répondre à ces questions, il faut s’intéresser au phénomène de la production et de la régulation de la douleur par le chef d’orchestre, notre système nerveux.
Un système de protection sophistiqué, mais pas infaillible
Fort de ses millions d’années d’évolution, notre système nerveux accomplit un nombre incalculable de fonctions simultanément à une vitesse inimaginable. Certaines de ces fonctions concernent directement la transmission et l’interprétation des messages concernant la douleur. Les neurones contenus dans nos nerfs, notre moelle épinière et notre cerveau constituent les unités fonctionnelles responsables de la transmission de ces messages. Comme toutes les cellules de notre organisme, les neurones sont vivants, capables de s’autoréguler et de s’adapter. Or, il peut arriver qu’ils deviennent hypersensibles et se mettent à transmettre des signaux avec une fréquence et une intensité plus élevée.
Cet état d’hypersensibilité neuronale est réel, mesurable et observable. C’est ce phénomène qui se produit après une blessure comme une chute ou une coupure. Normalement, l’hypersensibilisation ne dure que quelques semaines tout au plus. Toutefois, il arrive régulièrement que cet état perdure si notre système nerveux est sous différentes contraintes physiques et psychologiques (manque de sommeil, dépression, anxiété, etc.) ou si nous avons l’impression qu’il doit maintenir ses mesures de protection en état d’alerte. La douleur reste alors et peut aussi être ressentie dans des régions du corps adjacentes (ou même éloignée). C’est un phénomène que les scientifiques appellent « sensibilisation centrale ».
Heureusement, comme cette sensibilisation s’est installée au fil du temps, il est possible de lui faire prendre le chemin inverse et de désensibiliser progressivement des neurones en état d’alerte excessive. Pour cela, il est vital de vous impliquer de façon active dans ce processus, comme il s’agit de votre histoire très personnelle, et personne ne pourra y arriver à votre place. Vous pouvez cependant recevoir de l’aide et être guidé pour vous aider à y parvenir. Pour désensibiliser, il faudra sans doute réorganiser votre façon de penser et vos perceptions ainsi que vous exposer graduellement à certaines tâches et activités que vous pourriez avoir délaissées par peur d’aggraver votre douleur.
Recalibrer le système d’alarme
La douleur persistante sans lésion, c’est comme l’alarme à incendie qui se déclencherait sans cesse même s’il n’y a pas de feu. Il faut modifier les réglages de ce système. Chaque fois qu’un signal de douleur est émis, il est interprété par notre cerveau afin que celui-ci puisse produire la réaction qu’il juge appropriée. Donc, même si la douleur n’est pas que « psychologique » ou « dans notre tête » et est bien ressentie dans notre corps, on peut utiliser les pouvoirs de notre cerveau pour tenter d’améliorer la situation.
La facilitation descendante est un mécanisme qui entraîne l’hypersensibilisation neuronale. Le fait de redouter la douleur ou des mouvements contribue à maintenir actif le système d’alarme. En effet, lorsque l’on perçoit une menace, notre cerveau libère de la cholécystokinine, un neurotransmetteur dont le rôle est d’amplifier les messages nerveux de danger issus de la partie du corps menacée. Par exemple, si on est convaincu que plier son dos est mauvais et que l’on va se blesser en réalisant cette action, il y a de grandes chances que notre système nerveux décide de nous en protéger. On retiendra notre respiration avant de bouger et on procédera avec grandes précautions! Paradoxalement, plus nos craintes sont élevées, plus fléchir le dos pourra devenir douloureux, et plus on évitera de se pencher. C’est un cercle vicieux qui s’autorenforce.
Un autre mécanisme qui entraîne la facilitation descendante est l’hypervigilance. Lorsqu’on s’inquiète beaucoup et qu’on pense intensément ou très souvent à la douleur, le système nerveux perçoit que le niveau de menace est plus élevé. En réaction, il diminue son seuil de réponse et on a mal plus souvent ou avec davantage d’intensité. L’anxiété relative à la douleur perpétue donc l’état d’hypersensibilité. À l’inverse, si notre attention est tournée vers quelque chose, il arrive fréquemment que l’on ressente moins la douleur. Plusieurs personnes rapportent vivre moins de douleur lorsqu’ils sont stimulés au travail par rapport à lorsqu’ils arrivent à la maison pour se détendre.
L’inhibition descendante, c’est le contraire de la facilitation descendante. C’est le mécanisme par lequel notre cerveau rend les neurones moins sensibles en libérant des neurotransmetteurs et des hormones aux effets analgésiques (antidouleurs). Lorsque l’on souffre de douleur persistante, on veut mettre ce système à profit autant que possible pour calmer le système d’alarme devenu trop protecteur.
L’inhibition descendante peut être déclenchée par nos perceptions et nos croyances. Si l’on perçoit que l’on se trouve dans un contexte sécuritaire et sans danger pour réaliser des mouvements, notre corps facilitera l’inhibition descendante et nous vivrons ainsi moins de douleur. C’est là que notre perception du problème devient très importante : comment nous nous expliquons notre douleur, comment nous considérons notre corps et nos perspectives de rétablissement deviennent des enjeux primordiaux. L’inhibition descendante est aussi fortement influencée par nos habitudes de vie. La privation de sommeil (moins de sept heures par nuit) la rend moins efficace. À l’inverse, être actif physiquement (faire au moins 20 minutes d’activité physique modérée chaque jour comme de la marche rapide) la rend plus performante. Certains médicaments permettent également d’améliorer l’efficacité de l’inhibition descendante.
En conclusion
La douleur persistante est réellement vécue, et ce, même en l’absence d’une blessure. Elle découle régulièrement d’une hypersensibilisation neuronale qui est influencée par nos perceptions, notre interprétation et nos habitudes de vie. Il existe plusieurs solutions à notre portée pour calmer un système d’alarme trop performant. La première de ces solutions est l’éducation. Plusieurs études montrent que mieux comprendre la douleur réduit la perception de menace qu’elle engendre et nous permet de reprendre le contrôle.
Ressources
Vous aimeriez en savoir plus sur la douleur et sur ce que l’on peut faire pour mieux la gérer? Je vous encourage à visiter le site retrainpain.org (offert en français). Ce site simple et fiable contient de courtes lectures très intéressantes et concrètes. Il vaut réellement le détour. Le site gerermadouleur.ca contient également une foule d’informations gratuites.
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Références
Plan d’action pour la douleur au Canada, 2021
Retrainpain.org, 2024
Gerermadouleur.ca, 2024