Publié le 15 mars 2018
Écrit par Julie Boisvert
De déclamer un texte qui ne reflète pas votre vie ? Demander de l’aide exige souvent du courage. Mais si cette démarche était efficace et même amusante, seriez-vous plus enclin à demander de l’aide ? Projecteurs sur ces professionnels travaillant dans l’ombre : les dramathérapeutes.
Imaginez un grand local. Des matelas dorment au sol, avec quelques coussins et des foulards. Ça vous semble vide ? Pourtant, cette scène aménagée aux studios Fleur d’asphalte entend des secrets, des dialogues et des émotions, chaque fois qu’un client se livre… par le théâtre ! « La dramathérapie, c’est un cheminement personnel, une approche au bien-être dans laquelle on crée un espace de jeu. Le participant s’exprime à travers diverses réalités symboliques qu’il rejoue, qu’il invente, qu’il interprète, qu’il déforme. » Marie-Émilie Louis, dramathérapeute membre de la North American Drama Therapy Association (NDTA), nous prête savoix pour imager sa profession. Elle a travaillé, entre autres, avec des femmes victimes d’inceste, des femmes incarcérées et des enfants. Ses clients, qu’elle préfère appeler des « participants », la rencontrent souvent pour mieux composer avec les différents rôles de leur vie. Les milieux communautaires, institutionnels et privés font tous partie de son champ de pratique.
«À mon avis, ce qui distingue la dramathérapie de la thérapie verbale, c’est que le participant est pleinement en action, sur tous les plans. Le théâtre se prête bien à la thérapie parce qu’il engage le corps, les paroles, les pensées, les émotions et l’imagination à interagir constamment. Le corps enregistre lui aussi des blessures qui peuvent se réveiller et guérir quand on le laisse s’exprimer. Selon mes expériences personnelles, on se censure et on se limite moins en dramathérapie. Notre inconscient peut ressurgir plus rapidement. Et bien sûr, la possibilité de jouer un rôle facilite l’expression. »
Originaire de la Belgique, Marie-Émilie étudie la psychopédagogie et la motricité ainsi que l’animation-théâtre. À Montréal, elle perfectionne son cheminement en théâtre et poursuit une maîtrise en dramathérapie à l’Université Concordia. Son coup de cœur : l’introduction de la dramathérapie dans une prison pour femmes dans le cadre d’un stage de deuxième année. « C’était un endroit aux symboliques très fortes. En prison, montrer ses émotions, c’est un peu montrer sa vulnérabilité. On se forge donc un masque. Créer un espace de liberté d’expression, dans un milieu rempli d’interdits, de résistances, d’oppositions, c’était tout un défi. J’ai d’ailleurs accompagné les femmes à découvrir leur clown intérieur. Il s’agit d’un personnage très authentique, qui dit tout ce qu’il pense. »
Cette expérience permet également à la dramathérapeute de réfléchir à sa propre liberté, et aux choix de vie en général qui mènent vers plus ou moins de liberté.
Qui peut bénéficier de la dramathérapie ? « Il n’existe ni clientèle ni problème type. Tout le monde qui ressent l’envie de s’investir dans une démarche d’épanouissement peut essayer la dramathérapie. Il y a des formules individuelles et de groupe. » Et pas besoin d’avoir des bases théâtrales, car la thérapeute est présente pour l’enseigner.
Les techniques d’intervention sont multiples, dans ce milieu créatif. Marie-Émilie affectionne particulièrement la transformation développementale, une approche qui consiste à travailler avec le corps et l’improvisation. Le but : développer sa spontanéité et sa créativité pour s’adapter facilement à l’instabilité et aux nouvelles expériences qui caractérisent le monde. Marie-Émilie n’hésite pas à partager la scène avec son client pour jouer avec lui. Elle incarne tour à tour un hippopotame, une voiture, un lapin, un grand frère, une petite sœur, un père, puis redevient une thérapeute. Ainsi, elle peut évaluer les capacités d’adaptation et de lâcher-prise de ses participants.
Pour elle, le côté ludique n’est vraiment pas à exclure de la thérapie. « J’aime beaucoup intervenir avec l’humour, et les participants adoptent parfois l’autodérision. Dans notre société de performance, on laisse peu de place aux défauts. Plutôt que de ne travailler qu’avec nos forces, on peut faire vivre ces parties de nous qu’on n’aime pas en dramathérapie. On peut apprendre à leur donner une place et à les aimer, ou à tout le moins les accepter. » Malgré le côté amusant du jeu, le cadre thérapeutique vise à répondre aux besoins du particiant. « C’est certain que c’est aussi un lieu pour exprimer des sentiments plus durs, au besoin. Il arrive que ça devienne intense et que je revienne dans le rôle plus traditionnel du thérapeute, pour écouter et soutenir le participant. »
Au cours d’une séance, le début est habituellement réservé à l’accueil et au « comment ça va ». Ensuite, quelques exercices d’échauffement et de concentration sont proposés. Puis, on entre dans la phase de jeu, de création et d’exploration d’une problématique au choix du participant. À la fin de la séance, on revient peu à peu à la réalité. « Il faut séparer l’espace réel et l’imaginaire. C’est particulièrement important avec les enfants et les personnes psychotiques, qui se laissent facilement emporter dans leur imagination. C’est aussi l’occasion de demander au participant comment ça s’est passé et ce que la séance lui a apporté. »
La dramathérapie est un outil utilisé différemment selon les approches et les thérapeutes. Par exemple, le Centre d’apprentissage parallèle (CAP), un organisme communautaire montréalais, utilise les thérapies par les arts dans un but de réinsertion sociale et professionnelle. Les usagers du CAP ont la possibilité de créer librement, dans une ambiance de non-jugement. Des ateliers d’art ainsi que des programmes de réinsertion à l’emploi sont offerts. Par les ateliers de dramathérapie, les participants peuvent reconstruire leur relation à soi et aux autres, apprendre à réduire leur sentiment d’anxiété, applaudir leur potentiel créateur et développer un sentiment de confiance.
Attention toutefois à ne pas confondre dramathérapeute et psychothérapeute. En 2012, lorsque l’Ordre des psychologues du Québec a réglementé le titre de psychothérapeute, ils se sont penchés sur l’art-thérapie et la musicothérapie. Ils concluaient que ces formes d’intervention ne représentaient pas de la psychothérapie. Toutefois, l’art-thérapie pourrait être utilisée dans le cadre d’une psychothérapie. En dehors de la psychothérapie, elle est aussi reconnue comme étant une forme d’intervention autonome ayant ses propres méthodes et finalités. La dramathérapie, qui bénéficie d’une plus grande reconnaissance dans le milieu anglophone, sera-t-elle plus valorisée au Québec au cours des prochaines années ? En attendant, la recherche d’un dramathérapeute peut s’effectuer sur le site de la NDTA, qui comprend une section québécoise.
La semaine des thérapies par les arts se tiendra la troisième semaine du mois de mars. Surveillez le site Web et la page Facebook de l’Association des art-thérapeutes du Québec ou encore de la NDTA pour connaître les détails des activités à venir. Pour mieux connaître le parcours ou les pratiques de Marie-Émilie Louis, vous pouvez également visiter son site Web.
RÉFÉRENCES
Association des art-thérapeutes du Québec, [en ligne], [http://www.aatq.org/].
Centre d’apprentissage parallèle, [en ligne], [http://ateliersducap.org/dramatherapie].
Entrevue avec Marie-Émilie Louis
Montreal Institute for Developmental Transformations, [en ligne], [http://www.dvtmontreal.com/].
North American Drama Therapy Association, [en ligne], [http://www.nadta.org/].
Psychologie Québec, Affaires juridiques : les avis du Conseil consultatif interdisciplinaire sur l’exercice de la psychothérapie, vol. 29, no 5, septembre 2012, [en ligne], [https://www.ordrepsy.qc.ca/documents/26707/83000/Psy_Qc_Sept2012_ChroniqueAJ_Les_avis_du_Conseil_consultatif_interdisciplinaire_sur_exercice_psychotherapie.pdf/9cf856a0-ff6c- 4b56-b0b6-7d3000de1c42].
Site Web de Marie-Émilie Louis, [en ligne], [https://www.dramatherapie.ca/].