Publié le 30 décembre 2023
Écrit par Yves Prescott et Louis Lapointe
L’origine du pain d’épices se perd sous le poids de nombreuses conjectures, mais peu importe, sa popularité reste forte plusieurs siècles après qu’une recette plus ou moins « standard » n’a été formulée.
D’abord, une question importante s’impose : que contient le pain d’épices le plus couramment consommé de nos jours ? On utilise deux sortes de farine, soit du blé ou de l’orge, voire un mélange des deux. On sucre la pâte avec du miel ou de la mélasse, ou encore avec les deux. Pour ce qui est des épices, il n’y a aucune règle d’or, outre peut-être l’incontournable gingembre, bien que les recettes fassent état de clou de girofle, de muscade, de cannelle, d’anis étoilé, de coriandre moulue, de piment de la Jamaïque et, plus rarement, de poivre noir et de cardamome. Idéalement, la pâte doit sommeiller pendant une période de plusieurs jours ou semaines, et si on y incorpore un peu de pâte mère, sa durée de vie est automatiquement prolongée. Cette fermentation permet d’améliorer le goût et la valeur nutritive du produit, mais les épices seront ajoutées juste avant la cuisson. La cuisson, quant à elle, serait d’environ 8 à 10 minutes pour les biscuits et d’environ 30 à 60 minutes pour une miche. L’ajout de fécule de pomme de terre (astuce de pâtissier) rendrait la pâte plus onctueuse.
Un peu d’histoire
Certains historiens croient avoir localisé en sol grec la preuve de l’existence d’une toute première recette remontant à 2400 avant notre ère. D’autres sont plutôt d’avis que le gâteau chinois « mi-king » ou « mi-kong », fait à base de miel, serait l’ancêtre du pain d’épices. Ces gâteaux chinois hypercaloriques auraient été propagés le long de la Route de la soie, alors que, selon d’autres théories, ce sont les hordes mongoles qui les auraient laissés en héritage au Moyen-Orient, avant que cette recette ne se répande en Europe.
Parmi les nombreuses théories au sujet de l’origine de ce plat, retenons celle du moine arménien Saint-Grégoire de Nicopolis, qui a fait connaître le pain d’épices à la France après un long séjour non loin de la commune de Pithiviers. Pourtant, c’est la ville de Vesoul, en Franche-Comté, qui semble s’être entichée le plus de cette douceur. En effet, le 25 novembre, jour de la Sainte-Catherine, on offre des cochons de pain d’épices sur lesquels sont inscrits des messages ou simplement le nom de la personne à qui l’on souhaite l’offrir.
La légende veut qu’après une chute, le prince Philippe, fils du roi Louis IV, meure dans les rues de Paris en 1131, accident causé par la présence d’un porc errant venu se braquer sur son chemin. C’est cet animal que les moines de l’Abbaye de Saint-Antoine-des-Champs ont choisi pour confectionner des gâteaux de pain d’épices, donnant ainsi le coup d’envoi à la Foire Saint-Antoine, dont l’élément emblématique est ce gâteau fait à base de miel.
Dans une pièce de William Shakespeare datant de 1598, on faisait état de cette douceur popularisée par la reine Élizabeth Ire. Cette souveraine aurait fait fabriquer des animaux, voire des personnages, parfois caricaturés, qu’elle remettait à ses convives en souvenir de leur passage chez elle. Ces présents, faisant foi de richesse, d’abondance, de rareté et d’exotisme, étaient parfois décorés de feuille d’or. On sait qu’en Inde, quelques plats, dont notamment des sucreries, sont couverts de très minces feuilles d’or, métal jadis considéré comme un élixir de jouvence en Europe.
L’engouement pour le pain d’épices allait se confirmer partout en Europe, et les moniales suédoises en avaient fait leur spécialité, précisant qu’il aide grandement à la digestion. C’est à peu près à cette époque que remonte la plus vieille recette écrite de pain d’épices tel que nous le connaissons. Elle se trouverait au Musée national germanique, à Nuremberg, ville allemande qui s’est imposée comme un point important de fabrication de cette spécialité du temps des fêtes, et ce, depuis le 17e siècle. La ville possède depuis longtemps une association de spécialistes, et de nos jours, leur production jouit de l’appellation d’origine contrôlée (AOC), de l’Union européenne, au même titre que le champagne et le fromage Parmigiano Reggiano.
La popularité de ces savoureux biscuits allait connaître un tournant en Europe avec la publication, en 1812, du conte Hansel et Gretel, des frères Grimm. À partir de cette date, les maisons de pain d’épices allaient devenir, dans certains pays, aussi importantes que le sapin de Noël. En Amérique, il aura fallu attendre la publication du St. Nicholas Magazine, en mai 1875, pour que soit lancé le populaire petit bonhomme en pain d’épices. On nous y raconte les trépidations d’un bonhomme s’échappant de la cuisine de la vieille dame qui l’aura préparé avant qu’il soit dévoré par un renard. Cet écrit témoigne de la place importante qu’occupe toujours cette douceur dans l’imaginaire, comme en témoigne le personnage Ti Biscuit dans le film Shrek.
On notera enfin l’existence de quelques musées consacrés à l’histoire et à la fabrication de ce gâteau, et qui ont pignon sur rue à Toruń, en Pologne, ainsi qu’à Gertwiller, en Alsace. D’autres, comme celui de Prague, ne sont que des points de vente d’une production artisanale.
En guise de conclusion, la période de Noël est souvent prétexte à des mises en scène féériques. Les États-Unis, il fallait peut-être s’y attendre, peuvent se vanter d’une distinction, soit la plus grosse maison de pain d’épices au monde. La maison a été construite au Texas (avec le permis de construire à l’appui), et les 4 000 briques nécessaires à sa fabrication représenteraient environ 35,8 millions de calories.
La ville de Bergen, en Norvège, aurait prétendu avoir créé le plus gros village de maisons de pain d’épices, avec ses 2 000 structures. Il a été cependant disqualifié par celui créé par un maître queux new-yorkais, dont les 1 500 maisons sont entièrement comestibles. En effet, les Norvégiens avaient employé des éléments en plastique, astuce démasquée par les juges de cette inhabituelle compétition…