La ferme impossible

Publié le 15 février 2017
Écrit par Gabriel Parent-Leblanc. B. Sc., M. Env.

La ferme impossible
Bio-Strath Novembre

Imaginez une petite famille voulant vivre de la terre qui exploite une fermette artisanale et qui fournit lait, œufs et viande (tout cela bio) à sa communauté locale. C’est là l’image de La ferme impossible, de Dominic Lamontagne.

 

Celle-ci est impossible en raison des lois qui régissent la production et la mise en marché des produits agricoles au Québec (plans conjoints, quotas, agences de ventes, etc.). Dans son livre, Dominic Lamontagne « documente et dénonce l’étranglement des libertés entrepreneuriales des Québécois dans le domaine de l’agriculture ». Ayant lui-même caressé le rêve de faire un retour à la terre et de gérer une petite ferme polyvalente, il nous décrit son parcours et les embûches auxquelles il a dû faire face. L’ouvrage est vraiment excellent et explique en détail plusieurs sujs : un historique de la réglementation agricole québécoise, les caractéristiques d’une fermette autosuffisante et une comparaison avec le reste du monde. Dans cet article, je vais tenter de résumer l’ouvrage. Je vous conseille néanmoins une lecture complète du livre !

« Le Québec est le pire endroit au Canada pour les petits entrepreneurs agricoles. » Bien honnêtement, la lecture de La ferme impossible m’a jeté hors de mon siège. J’étais au courant que les petits agriculteurs n’avaient pas la vie facile, mais je ne pensais pas que la situation était aussi révoltante.

Dominic, dans son livre, utilise souvent un exemple pour une petite ferme de départ : 2 vaches (lait), 200 poules (œufs) et 500 poulets (chair). Selon lui, un fermier sans grands moyens financiers pourrait lancer sa ferme avec ces éléments et la rentabiliser, car ces aliments de base peuvent être consommés par les occupants de la ferme et le reste, vendu à un marché local. Cela fait du sens, car ces animaux « sont parmi les plus faciles à élever et représentent une valeur sûre pour l’entrepreneur agricole débutant ».

Voyons maintenant comment et à quel prix un fermier peut se procurer un tel troupeau en toute légalité.

 

2 VACHES

« En vertu de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, “nul ne peut produire ou mettre en marché du lait sans détenir un quota”. Or, la valeur du quota s’élevait, en 2015, à 25 000 $ par vache et le montant minimum d’achat initial était fixé à 250 000 $ pour 10 vaches ».

 

500 POULETS

« Là encore, la Loi sur la mise en marché des produits agricoles spécifie que “toute personne qui veut produire et mettre en marché du poulet doit préalablement acquérir soit l’entreprise d’un producteur, soit le quota ou une partie du quota d’un producteur”. Le prix du quota est évalué à 900 $ le mètre carré, soit environ 100 $ du poulet. […] Le minimum d’achat étant fixé à 10 mètres carrés, une personne pourrait investir 9 000 $ pour avoir le droit d’élever commercialement une centaine de poulets à la fois. Mais en pratique, pas un quota de poulet n’a été vendu depuis 2010, année où le conseil d’administration de la Fédération en a suspendu (indéfiniment) la vente ».

 

200 POULES

« Ici encore, un plan conjoint ordonne la production et la mise en marché de l’œuf. En 2013, le prix du quota s’élevait à 285 $ par poule pondeuse et était assorti d’un minimum d’achat de 100 poules. Ainsi, l’élevage commercial de poules pondeuses au Québec coûte au minimum 28 500 $, mais comme “la Fédération n’octroie pas de nouveau quota”, il faut, là encore, acheter une ferme entière pour en obtenir. »

À la vue de ces données, il est clair qu’une petite ferme polyproductrice est impossible. L’auteur fait tout de même les calculs suivants.

Avant d’entamer l’exploitation de la ferme impossible (2 vaches, 200 poules et 500 poulets), un fermier doit débourser 357 000 $ en quotas (250 000 + 50 000 + 57 000). Cela, avant même d’avoir commencé toute activité. Une fois en mode production, ce fermier peut s’attendre à des revenus annuels de 14 342,77 $ (les prix sont fixés par l’UPA). À cela, on doit soustraire différents frais de cotisation à l’UPA et aux différentes fédérations…, et ça, c’est si toute la production se déroule sans embûches !

 

PRODUIRE SANS QUOTAS

Il est néanmoins possible d’élever une certaine quantité de ces animaux sans l’achat de quotas : 99 poules pondeuses et 100 poulets.

Mais attention, cette permission vient avec son lot de restrictions. D’abord, la production de ces animaux est associée à une adresse, et non à un individu. Impossible, donc, pour des membres d’une même famille, d’une coopérative d’habitation ou pour des amis d’élever ensemble quelques centaines de poules dans un grand poulailler. De plus, il est interdit de vendre ses œufs au marché local…

« En effet, pour vendre des œufs à l’extérieur de son établissement, il faut les faire classer dans un poste de classification. ,Or, les postes de classification ne font pas affaire avec des “amateurs” qui produisent quelques centaines d’œufs par semaine, je les ai contactés ».

Ça ne laisse pas beaucoup de jeu pour en vivre…

 

AILLEURS AU PAYS

Voici un tableau repris du livre illustrant la quantité de poules et de poulets pouvant être élevés sans achat de quota à travers le Canada.

Comme vous pouvez le voir, le seul endroit plus prohibitif que le Québec quant à la production d’animaux de ferme sans quota est Terre-Neuve-et-Labrador (par un seul poulet). Toutes les autres provinces ont une réglementation beaucoup plus souple. Par exemple, « en Alberta, tout citoyen a le droit d’élever 299 poules et 2000 poulets à chair par année, sans détenir de quota, pour sa consommation personnelle ou pour vendre œufs et le poulet à ses voisins ou dans un marché public. Qui plus est, une ferme communautaire regroupant au moins trois fermiers peut élever et mettre en marché jusqu’à 6000 poulets, un projet impossible au Québec ».

En fait, l’auteur avance même que « la situation est pire ici que partout ailleurs dans le monde ». Cette fois, il utilise le lait pour ses exemples : alors que la vente de lait cru est interdite partout au Canada, « 240 millions d’Américains y ont accès légalement dans 36 États ». Et que dire des quotas pour le lait : « Alors qu’au Canada, la valeur d’un quota laitier dépassait les 30 000 $ au début des années 2000, elle n’a jamais dépassé l’équivalent de 1 $ dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne. […] En avril 2015, le régime des quotas laitiers a finalement été aboli à la grandeur de l’UE ».

 

POURQUOI AUTANT DE LIMITATIONS ?

Pourquoi autant de limitations pour le petit entrepreneur agricole ? La présence de celui-ci n’amène pourtant que des avantages : occupation du territoire, augmentation de la vitalité des régions, autonomie alimentaire locale, etc.

Pour résumer de façon très simpliste, la faute repose sur l’État et l’Union des producteurs agricoles (UPA). Depuis sa création en 1924 (alors l’Union des cultivateurs catholiques (UCC)), L’UPA n’a cessé de grossir et de prendre de l’importance. Leur lobbying a été tellement puissant que « l’État québécois […] lui confère le monopole dans son domaine d’activités et […] lui délègue le pouvoir de définir une large part des règles qui devraient pourtant garantir l’intérêt public ».

L’historique complet est détaillé dans le livre, mais sachez qu’avec des recours comme les plans conjoints, les quotas, les agences de ventes, etc., l’agriculture québécoise s’est retrouvée entre les mains d’une petite oligarchie. Et celle-ci ne veut clairement pas partager, même si la ferme impossible de Dominic ne représente que 2,2 % du lait, 0,5 % des œufs et 0,2 % du poulet produits par une ferme industrielle moyenne.

« Alors qu’en 1950, environ 205 000 travailleurs agricoles exploitaient 145 000 fermes générant 170 millions de dollars de revenus, aujourd’hui, moins de 44 000 producteurs agricoles exploitent moins de 30 000 fermes et se partagent plus de 8,4 milliards de dollars de revenus ».

Bref, la situation est révoltante. L’auteur, comme bien d’autres, avait le rêve de bâtir une petite ferme artisanale et d’y vivre paisiblement… Il s’est vite rendu compte que c’était impossible ! Le retour à la terre ne devrait-il pas au contraire être encouragé? Dominic propose qu’un statut de producteur agricole artisanal soit créé, offrant « la possibilité de faire l’élevage d’animaux, en quantités raisonnables, sans égard aux contingentements ».

Cependant, son expérience avec les diverses instances agricoles lui ont permis de constater que nous ne sommes pas prêts d’un changement réglementaire. Comme pour bien des mouvements, la révolution doit provenir du bas de l’échelle : « encore trop peu nombreux pour attirer le regard des inspecteurs du MAPAQ, les citoyens-agriculteurs pourraient être les instigateurs d’une (nouvelle) révolution verte, mais écologique cette fois-ci ». Commencez la résistance vous-même si vous le voulez en apprenant la production et transformation d’aliments à la maison. Cela peut devenir un passe-temps passionnant, et même payant ! « Si vous habitez en ville et aimez les animaux, plutôt que de choisir un hamster, un lézard, des poissons ou des perruches, optez pour la poule domestique ».

Option encore plus facile, devenez la personne qui achète des artisans : « en offrant à une personne particulière de l’argent pour qu’elle produise régulièrement un aliment particulier, vous choisissez véritablement le type d’agriculture que vous voulez encourager ».