Publié le 1 septembre 2021
Écrit par Nicolas Blanchette, D.O., B. Sc. kinésiologie
En Amérique du Nord, le mal de dos est l’affection la plus commune nécessitant une consultation en réadaptation physique (physiothérapie, ostéopathie, chiropraxie, etc.)[1]. C’est la troisième cause d’invalidité, derrière les maladies cardiaques et respiratoires. Le mal de dos, particulièrement le mal de dos persistant, est une affection multifactorielle qui peut être influencée, autant positivement que négativement, par plusieurs éléments physiques et psychosociaux. L’une des causes physiologiques d’un épisode douloureux de mal de dos peut être, par exemple, une hernie discale.
Mais qu’est-ce qu’une hernie discale ? Est-ce que c’est grave ? Est-ce que ça se guérit ? Dans combien de temps la douleur cessera-t-elle ? Que peut-on faire pour se sentir mieux ? Peut-on faire de l’exercice même si l’on a une hernie discale ? Doit-on se faire opérer ? Trop souvent, les patients à qui l’on donne ce diagnostic demeurent dans l’ignorance sur plusieurs de ces questions. Or, les connaissances sur la hernie discale ont considérablement évolué, au cours des deux dernières décennies. Je vous propose d’en faire un survol qui, je l’espère, se révélera aussi éducatif que rassurant !
Qu’est-ce qu’une hernie discale ?
Entre les vertèbres de notre colonne se trouve un disque intervertébral. Ce dernier assure la fluidité des mouvements de notre rachis tout en jouant le rôle de petits coussins amortisseurs qui répartissent les pressions. L’usure articulaire précoce (arthrose), lorsqu’elle touche le disque intervertébral (discarthrose) peut amener un disque à se dégrader plus rapidement que par le simple effet du vieillissement. Ainsi, le noyau gélatineux peut se déformer et causer davantage de pression sur une portion du disque (bombement). L’anneau peut aussi se fissurer et laisser le noyau discal s’immiscer à travers la fissure (hernie).
La discarthrose est un processus complexe dont la science ne comprend pas encore tous les tenants et aboutissants. On sait cependant que plusieurs facteurs liés aux habitudes de vie la favorisent : la sédentarité et le tabagisme, par exemple. À l’inverse, adopter un style de vie actif physiquement a été démontré comme réduisant la sévérité et la fréquence des épisodes de maux de dos (Hicks et coll., 2005). Certaines activités physiques avec de petits impacts, telles que la course à pied, auraient même le potentiel de rendre les disques plus robustes (Belavy et coll., 2017).
Quels sont les symptômes ?
Au départ, c’est habituellement une forte douleur au niveau lombaire. Cette dernière est fréquemment accompagnée d’irradiations et d’altérations temporaires des sensations au niveau d’une jambe (radiculopathie). Ce peut être sous forme de chocs électriques, de sensations de brûlure ou de froid, voire de picotements. En effet, c’est ce que l’on ressent lorsqu’un nerf est sensibilisé par de l’inflammation. Il peut y avoir une diminution soudaine de la force dans une jambe. Lorsqu’on expérimente ces symptômes aigus, il est important de prendre rendez-vous avec son médecin rapidement pour obtenir une évaluation médicale et s’assurer de contrôler la douleur dès le début. Nous verrons très bientôt pourquoi cette étape est importante.
Est-ce que c’est fréquent ?
Avoir une hernie discale, c’est très fréquent. Le plus souvent, on peut en avoir une sans même le savoir et très bien vivre avec, sans aucune douleur. On peut le découvrir par accident, en passant une résonance magnétique pour une autre affection, par exemple. Les hernies discales symptomatiques, c’est-à-dire celles qui génèrent une réponse douloureuse, ne représenteraient en effet que de 1 à 3 % de toutes les hernies discales et toucheraient davantage les gens entre 30 et 50 ans[2]. D’ailleurs, 95 % de toutes les hernies discales se produisent au niveau des deux derniers disques intervertébraux, ceux qui subissent davantage les pressions gravitationnelles. Selon certaines estimations, dans 50 % des cas, un épisode douloureux lié à une hernie discale symptomatique se déclencherait après un effort intense du dos comme soulever une charge lourde[3]. Ce n’est cependant pas l’événement en tant que tel qui est la source du problème : c’est plutôt la dernière goutte qui fait déborder le vase. Cet événement est toujours immanquablement précédé d’une dégénérescence graduelle du disque conséquente à l’arthrose. Sans discarthrose, les disques intervertébraux sont des structures incroyablement robustes.
Combien de temps cela prend-il, avant de se sentir mieux ?
Benoist et son équipe se sont penchés sur cette question dans une revue de la littérature parue en 2002[4]. Voici ce qu’ils ont remarqué : sans chirurgie, on peut s’attendre à une diminution importante de la douleur lombaire et sciatique après 2 mois chez environ 60 % des patients. Bonne nouvelle : après un an, entre 70 et 80 % des patients ne ressentiraient plus aucun symptôme. La chirurgie est ainsi habituellement seulement réservée à certaines rares occasions : lorsque les faiblesses motrices sont sévères ou touchent par exemple la musculature pelvienne ou si aucune médication et modalité ne permet d’atténuer les symptômes.
La résorption spontanée
De plus en plus d’études ont permis d’observer que sans chirurgie, la hernie discale pouvait diminuer de taille, voire disparaître complètement avec le temps (Chiu et coll., 2015). Le mécanisme lié à cette résorption impliquerait une réaction inflammatoire dont les molécules (cytokines) ont, par ailleurs, été mises en relation directe avec la douleur radiculaire (irradiations dans le membre inférieur). Pour la personne qui souffre, il est rassurant de comprendre que la douleur initiale n’est pas vaine : elle fait partie de la réponse d’autoguérison de notre organisme. En effet, notre système immunitaire veille scrupuleusement sur nous ; il a été démontré que plus une hernie discale est sévère, plus l’organisme réalise la résorption spontanée rapidement (Jegede et coll., 2010).
Mais attention, la relation entre la résorption de la hernie et la disparition de la douleur n’était pas directe, dans les études ! En moyenne, les patients commencent souvent à avoir moins mal avant que les changements de volume de la hernie discale soient décelables à l’imagerie par résonance magnétique. Dans les expériences, plusieurs patients voyaient ainsi leur douleur complètement disparaître malgré l’absence de résorption de la hernie. L’exemple inverse existe aussi : des patients dont la douleur persiste malgré la résorption de la hernie. Cela pousse la communauté médicale à se questionner davantage sur le caractère complexe de la douleur.
L’importance de gérer la douleur
Il est important de maintenir le plus possible la douleur sous contrôle. En effet, les recherches nous apprennent que lorsque l’on est incapable de mitiger la sensation douloureuse, il y a davantage de possibilités que la douleur s’incruste et prenne un caractère persistant[5]. C’est une des raisons qui pourraient potentiellement expliquer que pour 20 à 30 % des individus, la hernie discale entraînerait une douleur persistante un an après l’épisode douloureux initial. Comment cela peut-il être possible ? Beaucoup de données récentes nous indiquent que la douleur persistante serait davantage causée par un dérèglement du traitement de l’information douloureuse par notre système nerveux plutôt que par les lésions physiologiques en elles-mêmes. C’est ainsi qu’il est possible d’expérimenter une douleur réelle sans avoir de blessure visible à l’examen médical (Nijs et coll., 2021).
C’est pour cela que même si la hernie discale guérit d’elle-même, il est nécessaire d’adopter une approche active pour contrôler la douleur pendant les premiers mois. Atténuer (et pas forcément éliminer) la sensation douloureuse peut se faire de plusieurs façons, et l’efficacité de ces moyens peut varier énormément d’une personne à l’autre. Bien sûr, on pensera en premier lieu à la pharmacothérapie (médication) qui a assurément son rôle à jouer dans cette affection. Mais le contrôle de la douleur peut aussi être supplémenté par d’autres moyens, comme l’utilisation de glace (cryothérapie), l’activité physique graduelle, la thérapie manuelle (ostéopathie, physiothérapie, etc.), le fait de se confier ou de bénéficier d’un soutien psychologique et social et bien d’autres moyens encore. Un peu d’expérimentation est souvent nécessaire pour trouver ce qui convient le mieux à chaque personne.
Hernie discale ? Pas de panique !
En résumé, la littérature scientifique récente nous montre que la hernie discale est fréquente et rarement symptomatique. Si elle l’est, dans la très grande majorité des cas, la chirurgie n’est pas nécessaire et les patients se portent mieux après quelques semaines de convalescence. Notre organisme veille sur nous : plus la hernie discale est sévère, plus la résorption spontanée par l’organisme est susceptible d’arriver rapidement. Initialement, il est important de consulter son médecin et d’avoir des options pour bien contrôler la douleur dans les premiers stades pour éviter la chronicisation de cette dernière. Pour la personne qui souffre, il faut absolument demeurer optimiste et s’assurer de reprendre graduellement un style de vie physiquement actif dès que les symptômes nous le permettent. L’exercice physique régulier réduit la sévérité et la fréquence des épisodes de maux de dos.
RÉFÉRENCES
Benoist et coll. The natural history of lubar disc herniatin and radiculopathy- Joint Bone Spine 2002
Dydyk et coll, Disc Herniation, StatPearls Publishing, 2020
[1] Cieza et coll. Global estimates of the need for rehabilitation based on the Global Burden of Disease study 2019: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2019, 2020
[2] Dydyk et coll, Disc Herniation, StatPearls Publishing, 2020
[3] Consortium National de Formation en santé, Université d’Ottawa, 2018
[4] Benoist et coll. The natural history of lubar disc herniatin and radiculopathy- Joint Bone Spine 2002
[5] Dydyk et coll. Chronic Pain, StatPearls Publishing, 2021