La pomme, de sa genèse à nos jours

Publié le 1 juin 2024
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott

La pomme, de sa genèse à nos jours
Now pour juillet

On sait qu’un verger en fleurs est la promesse d’une récolte de beaux fruits, mais on est loin de soupçonner que la pomme a suivi un parcours long de quelques millénaires avant de s’installer chez nous.

Plutôt que de trouver ses origines au « paradis terrestre », une image popularisée par les artistes de la Renaissance, la pomme serait originaire du Kazakhstan, en Asie centrale. On croit qu’elle aurait atteint les États-Unis en 1620, avec les pèlerins du Mayflower, fondateurs de la colonie de Plymouth au Massachusetts ; il semblerait qu’un dénommé William Blackstone planta le premier pommier, seulement neuf jours après son arrivée. Quelques années après, on aurait même importé d’Europe les premières abeilles, afin de polliniser ces arbres fruitiers.

La légende américaine de Johnny Appleseed (ou John Chapman, né en 1774) mentionne que ce dernier s’était donné comme mission de planter, d’élever et de propager les pommiers dans divers États de la côte est. Ce dernier avait compris l’importance de préparer le terrain pour de nouvelles colonies, qui devaient, par la loi, planter des arbres fruitiers pour en démarquer les limites. Appleseed se promenait et distribuait des semences aux nouveaux colons, dans l’espoir de permettre la multiplication de cet arbre. Le fait d’utiliser des pépins, plutôt que de favoriser une reproduction par boutures, assurait une certaine biodiversité, mais les fruits étaient généralement trop surets pour être consommés comme tels et servaient, la plupart du temps, à la fabrication de cidre.

Au 18e siècle, cette boisson se retrouvait sur toutes les tables ; on la consommait dès le jeune âge et même au petit-déjeuner, car on se méfiait des dangers de contamination par l’eau. Thomas Jefferson, un des pères de la nation américaine, possédait un verger à sa résidence de Virginie, et son épouse, Martha, veillait à la récolte et à la production de marc de cidre. À cette même époque, des colons allemands et suédois, installés dans la région centrale des Appalaches, auraient introduit des variétés qui, par croisement (greffage) et par pollinisation, auraient permis d’obtenir des fruits mieux adaptés au climat. Il en résulta un mélange assez hétéroclite provenant de toute l’Europe, dont plusieurs variétés subsistent encore de nos jours et sont vouées à la fabrication du cidre.

La consommation d’alcool avait connu une croissance inquiétante à l’époque coloniale, ce qui se traduit par le fait que 99 % des pommes étaient destinées à être bues. La Prohibition a favorisé la destruction d’énormes quantités de pommiers à cidre, au moment même où l’on tentait de freiner la contrebande d’alcool venant du Canada et des Caraïbes.

La pomme est naturellement un véhicule de douceur, résistant et facile à transporter sur de bonnes distances, et le désir de créer des variétés toujours plus sucrées répond à une réalité bien ancrée dans notre biologie. Rare à l’état naturel, la douceur se retrouve essentiellement dans les fruits et le miel, et au 20e siècle, la pomme est devenue un ingrédient courant dans les cuisines et les boîtes à lunch.

 

Mais qu’en est-il, chez nous ?

La pomme a sa propre histoire et se veut fort différente de celle de nos voisins du sud. La légende veut que ce soit Louis Hébert, agriculteur et apothicaire, qui planta un premier pommier à Québec en 1617, soit quelques années avant l’arrivée des Pilgrims sur la côte américaine.

Ici aussi, les vertus du cidre lui favorisaient une place de choix dans les foyers québécois, et au 19e siècle, c’est un élève de l’École d’agriculture d’Oka, nommé Alphonse Lachance, qui encouragea la fabrication de cette boisson alcoolisée, parce qu’elle procurait à la population une alternative jugée saine, tonique et peu coûteuse. On peut lire qu’à cette époque, il était facile de conserver les pommes durant des mois en les mettant dans des tonneaux. On y faisait alterner des couches de fruits et de sable ayant séché tout l’été, ce qui permettait la préservation à long terme.

 

Monoculture et biodiversité

Une étape importante a été franchie depuis l’époque de monsieur Lachance ; c’est avec la venue de la révolution industrielle qu’on assiste au réel début d’une industrie pomologique, alors que l’urbanisation fait disparaître de nombreux petits producteurs situés à proximité des villes.

On doit attendre de trois à cinq ans après la plantation des pommiers pour récolter les premiers fruits, voire quelques années pour atteindre un bon rendement. Le souci d’obtenir un produit qui corresponde aux attentes du consommateur, c’est-à-dire un fruit croquant, juteux et sucré, favorise une monoculture se limitant à quelques variétés à l’échelle industrielle ; ce type d’exploitation fragile s’expose davantage aux maladies et aux prédateurs, et pour compenser, on utilise des pesticides à grande échelle. Favoriser la biodiversité et la recherche de nouvelles variétés permet de créer de nouveaux vergers mieux adaptés à notre climat, et dont la pérennité dépend dans une moindre mesure de l’utilisation de pesticides. En production fruitière intégrée (PFI), les pomiculteurs adaptent leur pratique de façon à protéger la faune auxiliaire, qui est principalement constituée d’insectes vivant dans les vergers et les boisés environnants. Ces derniers agissent comme ennemis naturels des ravageurs de la pomme : c’est ce qu’on appelle la « lutte biologique ».

Les producteurs de pommes du Québec ont récemment demandé du financement au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) afin d’implanter de nouvelles variétés de pommes et de moderniser les vergers pour qu’ils soient mieux adaptés aux aléas des changements climatiques. On croit qu’à l’origine, il existait environ 5 000 variétés de pommes, bien qu’un nombre assez restreint soit offert aux consommateurs aujourd’hui. C’est en Montérégie qu’environ la moitié de la production québécoise est cultivée. On notera enfin que le Canada se situerait au 33e rang des producteurs mondiaux, alors que les États-Unis sont au 3e rang.

Chez nos voisins du sud, certains chercheurs ont visité le Kazakhstan pour aller chercher des variétés anciennes, afin de mettre au point des greffes de variétés plus résistantes avec d’autres, essentiellement commerciales, déjà implantées en sol américain. C’est en quelque sorte un retour à la genèse de la pomme pour en assurer une survie durable.