Publié le 24 janvier 2021
Écrit par Véronique Bourbeau, ND.A., Herb.clin
Dans la première partie de cet article, paru dans le numéro de janvier 2021, les différents rôles de la progestérone naturelle sur le cerveau, la glande thyroïde, la santé osseuse et la santé cardiaque ont été abordés. Ce tour d’horizon se poursuit avec le rôle principal de cette incroyable hormone dans cette deuxième partie.
La progestérone et les seins
Avec l’augmentation presque épidémique de cancers du sein, s’il y a un tissu pour lequel plusieurs femmes s’inquiètent, c’est bien celui mammaire ! Tout ce qui permet de le protéger revêt d’office une aura hautement précieuse ! Vous ne serez pas surpris d’apprendre que la progestérone naturelle est favorable à la santé de ce tissu.
La progestérone prévient la prolifération excessive des cellules dans le tissu mammaire. En effet, une stimulation estrogénique non compensée par la progestérone favoriserait les maladies des seins, dont la formation kystique, l’enflure qui accompagne le cycle menstruel et le cancer. Selon les résultats d’une méta-analyse portant sur 86 881 femmes ménopausées, on rapporte que l’utilisation de progestérone naturelle est associée à un risque significativement plus faible de cancers du sein par rapport aux progestatifs synthétiques. L’absence d’ovulation et de faibles taux de progestérone sérique ont été associés à un risque significativement plus élevé de cancers du sein chez les femmes préménopausées. L’utilisation de progestérone naturelle est également liée à des taux plus faibles de cancers de l’utérus et du côlon, et peut également être utile dans le traitement d’autres cancers, tels que de l’ovaire, le mélanome, le mésothéliome, de la prostate et de la glande thyroïde19-22.
De plus, une carence en progestérone contribuerait à augmenter le nombre de récepteurs de facteurs de croissance tumorale, et représenterait un facteur de risque lié au cancer du sein23. On sait également que la progestérone naturelle régule à la baisse la formation des métalloprotéinases, des enzymes requises par les cellules cancéreuses pour renforcer leur capacité d’invasion24-26.
La majorité des cancers du sein contiennent à la fois des récepteurs d’estrogènes et de progestérone (appelés « tumeurs ER positives » « tumeurs PR positives » ou « cancers hormonodépendants »). Ce type de cancer obtient de meilleurs résultats de traitement. Que sont les récepteurs des œstrogènes et de la progestérone, et que font-ils exactement ? C’est une équipe scientifique affiliée au Cancer Research UK et à l’université d’Adélaïde, en Australie, qui a fait la lumière sur ce point majeur27.
Les récepteurs hormonaux sont des facteurs de transcription, ce qui signifie qu’ils participent à l’activation et à la désactivation des gènes dans les cellules. Ils représentent le mécanisme qui permet aux œstrogènes et à la progestérone de modifier le comportement des cellules. Les cellules cancéreuses du sein ont une sensibilité accrue aux estrogènes. Une fois que l’estrogène se lie à son récepteur à la surface des cellules, ce dernier s’active et pénètre dans la cellule et dans le noyau, où il se fixe à des régions spécifiques de l’ADN. Cette fixation active la transcription d’un groupe de gènes (dont le Bcl-2), qui favorisent la division cellulaire et donc, potentiellement, la croissance tumorale, mais aussi désactivent d’autres gènes concernés, entre autres dans la mort des cellules. Cette reprogrammation est au cœur du processus tumoral et de son traitement par des modulateurs hormonaux, tels que le tamoxifène, le létrozole, l’anastrozole et la goséréline.
Les récepteurs à progestérone ont, de leur côté, une action étonnante. Lorsqu’ils sont activés par cette hormone, ils se fixent directement sur les récepteurs des estrogènes et inhibent l’activation des gènes qui favorisent la croissance des cellules, en plus d’activer des gènes (dont la p53) qui favorisent la mort des cellules cancéreuses (apoptose) et la croissance de cellules saines et normales28 ! Les chercheurs ont découvert que le récepteur de l’estrogène se liait à différentes régions de l’ADN selon si la progestérone était présente, et ont conclu que la participation de la progestérone est cruciale pour assurer un encadrement sécuritaire.
Ce même constat a été observé chez des souris exprimant un cancer hormonodépendant. L’équipe de recherche a constaté que les tumeurs chez les souris qui ne recevaient que des estrogènes se développaient, comparativement à une diminution de leur taille chez les souris qui recevaient à la fois des estrogènes et de la progestérone. De là leur est venue l’idée d’exposer les tumeurs à une combinaison de tamoxifène et de progestérone naturelle. Ils ont remarqué une diminution marquée de la croissance tumorale, comparativement aux tumeurs traitées seulement au tamoxifène29.
La progestérone permettrait deux choses. Premièrement, elle peut empêcher les cellules saines du tissu mammaire de muter en tumeur. Deuxièmement, elle peut limiter la croissance des tumeurs mammaires existantes ou même les réduire en taille. Ces avantages sont exclusivement liés à la progestérone naturelle et non aux progestines synthétiques, qui augmentent, plutôt que de réduire, les risques de cancers du sein. Ainsi, on peut conclure que si les femmes ont des taux de progestérone sains, grâce à une supplémentation naturelle en progestérone, elles pourraient considérablement améliorer les résultats de leur traitement.
La progestérone et le système reproducteur
La progestérone agit fortement sur l’utérus. Ce dernier permet la mise en place d’un environnement favorable à la reproduction. La contribution de la progestérone à la fertilité est bien documentée, et la grossesse ne s’entrevoit pas en l’absence de cette hormone. Elle est d’ailleurs utilisée régulièrement dans les centres de procréation assistée. La preuve la plus flagrante qui confirme la différence entre les progestines et la progestérone naturelle réside dans le fait que l’on prescrit fréquemment de la progestérone pour maintenir la grossesse et réduire les risques de fausses couches, alors que les progestines sont, pour leur part, absolument contre-indiqués, car elles nuisent à la fécondation en épaississant la glaire cervicale, donc dangereux pour le fœtus30, 31 ! Malgré ces divergences d’action, plusieurs médecins et chercheurs continuent de croire que progestérone et progestines artificielles sont synonymes !
Plus la femme avance dans la trentaine et la quarantaine, plus elle ressent les fluctuations hormonales, qui se caractérisent par une diminution des cycles ovulatoires et, conséquemment, par une diminution de progestérone. Une condition nommée « insuffisance lutéale » est rencontrée fréquemment en préménopause. Elle signifie que le corps jaune ne produit pas assez de progestérone, malgré une ovulation normale. Il est possible aussi d’avoir des cycles anovulatoires, par manque de développement du corps jaune, là où se loge l’ovule. Ceci est sans oublier les femmes consommatrices d’anovulants, qui ne jouissent pas des avantages de la progestérone tout au long de leur contraception.
Comment se traduit une déficience en progestérone ? Par une dominance en estrogènes. C’est au Dr John Lee que l’on doit ce concept. Il est le premier à avoir mentionné que lors de la préménopause, malgré une baisse dans la production globale d’hormones, l’organisme demeurait, dans la majorité des cas, sous une gouverne estrogénique, causée par une diminution marquée de progestérone. La dominance représente cet écart. Selon ce médecin, cette situation est préjudiciable, puisque le rôle principal de la progestérone est de veiller sur la nature proliférative de l’estrogène. Il n’est pas étonnant que plusieurs symptômes qui accompagnent le déficit en progestérone sont identiques à ceux engendrés par un excès d’estrogènes. Ceci ne signifie pas que les estrogènes sont de nature dangereuse, mais qu’« équilibre » est synonyme de « sécurité » ! Cycles plus courts, saignements abondants accompagnés de caillots, fibromes utérins, syndromes prémenstruels, irritabilité, anxiété, insomnie, douleurs musculosquelettiques et menstruelles, palpitations cardiaques, sensibilité accrue aux seins, constipation, ballonnements, distensions abdominales, etc., sont des signes qui s’apparentent à un besoin accru en progestérone.
L’hyperplasie atypique de l’endomètre est un état précancéreux qui consiste en une prolifération excessive de cellules anormales. Si elle n’est pas traitée, les risques de se transformer en cancer de l’utérus augmentent. Avoir des cycles anovulatoires représente un facteur déterminant de cette condition, puisqu’il laisse les estrogènes sans opposition. Parmi les options de traitement, on inclut (quelle surprise !) la progestérone32.
J’ai mentionné brièvement le rôle protecteur de la progestérone sur le cancer de l’endomètre (utérus). Ce cancer est le plus fréquent parmi les cancers de la sphère gynécologique. Son dépistage en stade précoce en facilite grandement le traitement et en assure une rémission dans 95 % des cas. Si les causes d’un cancer sont toujours multifactorielles, on constate, tout de même, que dans 80 % des cas, la dominance estrogénique est manifeste33. En effet, son incidence est fortement associée à une action estrogénique prolongée sans être neutralisée par la progestérone. Puisqu’un taux élevé de cette dernière fait interférence avec le nombre de récepteurs d’estrogènes et s’oppose conséquemment à la croissance cellulaire induite par les estrogènes, la progestérone représente le principal suppresseur de tumeurs de l’endomètre33,34. Parmi les autres facteurs de risque, en plus de la prédisposition génétique, on retrouve le surpoids, l’hypertension artérielle et l’hyperplasie atypique, des conditions critiques à l’action de la progestérone !
L’équilibre hormonal dans un monde saturé de perturbateurs endocriniens
Il est de plus en plus admis qu’il existe un lien direct entre la qualité environnementale et le bilan hormonal. Certaines molécules, qu’on côtoie tous les jours, ont la capacité d’imiter les hormones en se fixant à leurs récepteurs spécifiques. Ce phénomène entraîne une cascade de désordres métaboliques et des conséquences imprévisibles sur les cellules et l’organisme. Ces substances usurpatrices portent le nom commun de « perturbateurs endocriniens » ou « xénobiotiques ».
Comme défini par l’Union européenne en 2002, les perturbateurs endocriniens sont « des substances qui, en interférant avec les fonctions du système hormonal, risquent d’influer négativement sur les processus de synthèse, de sécrétion, de transport, d’action ou d’élimination des hormones ». Ces molécules sont soupçonnées d’être la cause de la majorité des cancers, de l’infertilité, des allergies, des maladies auto-immunes, des malformations congénitales, de l’augmentation de la résistance bactérienne aux antibiotiques, etc.35. Selon la Commission européenne, 99 % des 100 000 produits chimiques et plus introduits dans l’environnement au cours des derniers 70 ans demeurent encore aujourd’hui sous-réglementés, donc difficiles à surveiller. Ces saboteurs endocrinotoxiques sont partout : dans l’eau et la nourriture, le plastique, la peinture, le mobilier, les détergents, les textiles, les médicaments, en plus d’être concentrés dans les produits d’hygiène corporelle et les cosmétiques.
Une grande majorité de ces perturbateurs imite les estrogènes en interagissant avec les récepteurs de cette hormone, ce qui induit une action directe sur les gènes sensibles aux estrogènes. Seins, endomètre, cerveau, organes génitaux, tissus adipeux et foie représentent, malheureusement, des organes cibles pour ces molécules toxiques. Puisqu’elles sont chimiquement et cliniquement actives, on comprend à quel point elles peuvent contribuer au déséquilibre hormonal et accentuer la dominance estrogénique. Il y a de quoi être préoccupé ! Dans un contexte aussi favorable aux estrogènes, la progestérone représente un incontournable, par ses effets protecteurs et grandement essentiels !
La progestérone joue un rôle important à tous les âges de la vie de la femme, et ceci demeure une vérité, même lors de la ménopause. Le fait que les récepteurs de progestérone se trouvent bien au-delà des frontières des tissus reproducteurs permet d’envisager l’importante contribution de cette hormone à la santé globale. Hormone de tempérance et de bienveillance, elle contient avec justesse les excès de sa consœur estrogène, tout en remplissant ses fonctions essentielles. Ce partenariat est indispensable, pour atteindre l’équilibre hormonal si convoité. La dominance estrogénique, qui caractérise l’instabilité hormonale chez nombre de femmes, accentue les facteurs de risque pour maintes conditions, touchant les facultés cognitives, le capital osseux, la santé des seins et le profil cardiovasculaire, pour ne nommer que ceux-là. Malheureusement, trop de médecins ont été formés à croire que les progestines synthétiques sont en fait de la progestérone et qu’elles produisent des effets similaires. Cette confusion est nourrie par des quantités de publications qui manquent de rigueur quant à la terminologie utilisée. Il est plus que temps de départager l’information, afin que la progestérone naturelle s’affranchisse enfin du poids des inconvénients liés, pour la plupart, exclusivement aux progestines synthétiques.
Références:
19. Allan Lieberman, Luke Curtis. In Defense of Progesterone: A Review of the Literature. Altern Ther Health Med. 2017 Nov;23(6):24-32.
20. Noor Asi , Khaled Mohammed et al. Progesterone vs. synthetic progestins and the risk of breast cancer: a systematic review and meta-analysis. Syst Rev. 2016 Jul 26;5(1):121.
21. Carlo Campagnoli , Françoise Clavel-Chapelon et al. Progestins and progesterone in hormone replacement therapy and the risk of breast cancer. J Steroid Biochem Mol Biol. 2005 Jul;96(2):95-108.
22. Yavropoulou MP, Panagiotou G, Topouridou K, et al. Vitamin D receptor and progesterone receptor protein and gene expression in papillary thyroid carcinomas: associations with histological features. Journal of Endocrinological Investigation 2017 Dec;40(12):1327-1335.
23. Sylvie Demers. Hormones au féminin, Éditions de l’Homme, 2009.
24. Lydia Nakopoulou, Ioanna Giannopoulou et al. Matrix metalloproteinase-1 and -3 in breast cancer: Correlation with progesterone receptors and other clinicopathologic features. Human Pathology, Volume 30, Issue 4, April 1999, Pages 436-442.
25. Lisa ADi Nezza, TomJobling, Lois ASalamonsen Progestin suppresses matrix metalloproteinase production in endometrial cancer. Gynecologic Oncology, Volume 89, Issue 2, May 2003, Pages 325-333.
26. Shlomit Goldman, Eliezer Shalev. Difference in Progesterone-Receptor Isoforms Ratio Between Early and Late First-Trimester Human Trophoblast Is Associated with Differential Cell Invasion and Matrix Metalloproteinase 2 Expression. Biology of Reproduction, Volume 74, Issue 1, 1 January 2006, Pages 13–22.
27. Mohammed, Hisham, et al “Progesterone receptor modulates ER-a action in breast cancer,” Nature 2015; 523; 313-317.
28. Perks, Bea “Progesterone receptor could slow breast cancer growth,” Pharmaceutical Journal, PJ 17 Jul 2015.
29. L. Kroon, New Research Shows Natural Progesterone Can Help Treat Breast Cancer. The ZRT laboratory blog, décember 11, 2015
30. Suzan L. Carmichael, Gary M. Shaw et al. Maternal Progestin Intake and Risk of Hypospadias. Arch Pediatr Adolesc Med. 2005;159(10):957-962.
32. https://www.cancer.ca/fr-ca/cancer-information/cancer-type/uterine/uterine-cancer/?region=mb
33. Shujie Yang, Kristina W. Thiel, Kimberly K. Leslie. Progesterone: the ultimate endometrial tumor suppressor. Trends Endocrinol Metab. 2011 Apr; 22(4): 145–152.
34. J. Julie Kim, Eloise Chapman-Davis, Role of Progesterone in Endometrial Cancer. Semin Reprod Med. 2010 Jan; 28(1): 81–90.
35. https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/perturbateurs-endocriniens