Publié le 16 juillet 2016
Écrit par Gabriel Parent-Leblanc. B. Sc., M. Env.
IRONIQUEMENT, 70% de ces 2 milliards de personnes sont des exploitants de petites fermes ou des travailleurs agricoles. C’est littéralement le monde à l’envers… Pourquoi est-ce le cas ?
Plusieurs éléments entrent en jeu pour expliquer cette triste réalité : influence des marchés financiers sur le coût des aliments, l’utilisation de nourriture pour créer du biocarburant, mais surtout les accords de libre-échange. Effectivement, les taxes et autres frais sur les importations de diverses marchandises ont énormément diminué à travers les décennies, si bien que les consommateurs d’un peu partout à travers le globe ont maintenant accès à de la nourriture importée peu dispendieuse. Cela semble une bonne nouvelle, non ? Malheureusement, pas pour les pays sous-développés… Des multinationales viennent vendre leurs produits à très faible coût, et les producteurs locaux ne peuvent se permettre de vendre au même prix. Cela les garde dans une spirale de pauvreté : ils sont obligés de se concentrer sur des produits exclusifs à l’exportation peu payants et de consommer les aliments de base des gros joueurs.
En considérant la production alimentairemondiale actuelle,nous pourrionsnourrir de 12 à 14milliards de personnes. Or, approximativement 1 personne sur 7 souffre présentement de famine, et une autre est mal nourrie (1 milliard chacun sur 7,3 milliards d’humains).
Voici un exemple concret de l’effet pervers du libre-échange:
Dans les années 1970, Haïti était pratiquement autosuffisant dans sa production de riz. Des changements administratifs ont changé les frais de douane pour les importateurs de riz de 50 % à seulement 3 %, si bien qu’en 2009 seulement 25%de la consommation de riz au pays provenait de sources locales !
En plus d’être extrêmement inéquitable, le système actuel contribue de façon outrageuse au réchauffement de la planète. Effectivement, la déforestation de milieux naturels pour les transformer en pâturage ou en culture représente17 % des émissions de GES anthropiques (émises par l’activité humaine), tandis que les rizières et l’élevage de ruminants en représentent 14,3 %. De même, la création de fertilisants azotés synthétiques (procédé Haber-Bosch) représente quant à elle 7,2 % de ces émissions. De façon globale, deux gaz à effet de serre(GES) sont principalement rejetés par l’agriculture : le méthane (CH4)et le protoxyde d’azote (N2O). Or, ces GES ont respectivement un potentiel de réchauffement global 25 et 298 fois plus élevé que celui du gaz carbonique (CO2) (sur une période de 100ans).
Les émissions de GES reliées à l’agriculture ont augmenté de 17 % entre 1990 et 2005, et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévoit que ces émissions continueront d’augmenter de 35 à 60 % d’ici 2030. Cela, en raison de l’accroissement de la population mondiale et un changement de diète dans certains pays en développement (plus de viande). Que faire, donc, devant cette immense problématique… Investir, comme le font les gouvernements actuellement, dans les rendements pour produire plus, mais en gardant intact le système actuel ? Bien sûr que non, ce n’est que de la poudre aux yeux!
Qu’est-ce qui cause le réchauffement climatique ?
(extrait de l’article paru dans le Vitalité d’avril 2014: «Est-il trop tard ? Le point sur les changements climatiques»)
Celui-ci est engendré par les gaz à effet de serre, qui « absorbent dans les longueurs d’onde de la radiation infrarouge et retiennent ainsi de la chaleur dans les basses couches de l’atmosphère […]». À priori, les gaz à effet de serre offrent un réchauffement utile à l’humanité : sans ceux-ci, la température moyenne de la planète chuterait de 15 à -8 °C. Cependant, l’activité humaine a fait augmenter la concentration de ces gaz à un tel point qu’une hausse de la température a déjà été enregistrée. En effet, « les concentrations de dioxyde de carbone sont passées de 0,0280% (280 parties par million) en 1850 à 0,0395% (395parties par million) en 2013, une variation qui excède largement les changements observés au cours des cycles glaciaires qui se sont succédé au cours des derniers 800000 ans». Même son de cloche du côté du méthane[…], avec une concentration de 1800 parties par milliard en 2010, soit plus de 2 fois les valeurs historiques enregistrées.
L’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre provient du mode de société néolibéral, centré autour de la consommation de matériel. En fait, « dans les 50 dernières années, le PIB de l’économie mondiale a été quintuplé en dollars constants. Pour arriver à ce résultat, la consommation énergétique a quadruplé pendant la même période. Cette énergie est fournie à 85% par des carburants fossiles ».Notre présence apporte de si grands impacts environnementaux que plusieurs scientifiques identifient une nouvelle ère géologique débutant au début des années 1980, l’anthropocène. «Notre époque va laisser des traces géologiques ».
Au Québec, il y a vraiment une tendance à acheter de plus en plus local et biologique, depuis quelques années. Plusieurs programmes sont disponibles pour se trouver un « fermier de famille », mais le meilleur demeure celui des paniers bio d’équiterre.
La majorité des experts parlent plutôt d’une vraie révolution verte, celle de l’agriculture biologique intensive de proximité (aussi appelée « permaculture »). Celle-ci est décrite comme « l’application de l’écologie dans l’étude, la planification et la gestion d’agroécosystèmes durables » et repose sur ces principes :
Cette agriculture intensive peut être réalisée de bien des façons, mais le fil conducteur est de copier la nature dans les interactions entre les plantes et les animaux. C’est un peu comme d’aménager une forêt nourricière : le tout est contrôlé par l’être humain, mais les interactions entre les champignons, les plantes vivaces et annuelles et les animaux de ferme créent une riches sein comparable aux résultats de la monoculture. Pour les petits agriculteurs qui se font écraser par les géants planétaires de l’alimentation, il s’agit d’une transformation nécessaire. En effet, au lieu de s’alimenter en apports externes chez ces mêmes géants, ils peuvent utiliser le fumier du bétail pour fertiliser, dans le cas d’une culture terrestre, ou incorporer la pisciculture dans des cultures hydriques comme les rizières. Ce sont de gros coûts de moins, et ils ne sont plus dépendants des apports synthétiques. De plus, des études révèlent qu’en comparaison à la monoculture, l’agriculture biologique intensive était79%plus productive (en matière de rendement des cultures). Cela, en raison notamment des interactions entre les différentes espèces et la santé du sol (rotation des cultures, moins d’érosion, pas de retournement du sol, etc.).Combattre la faim dans le monde, ce n’est pas investir dans des moyens d’augmenter la production des cultures actuelles. C’est donner assez de revenus aux gens qui produisent notre nourriture pour qu’ils puissent eux-mêmes s’alimenter.
C’est bien beau, tout ça…, mais je fais quoi, moi, pour aider ?
La première étape – vous l’avez sûrement déjà entendu – serait de manger moins de viande. En effet, 40%de toute la superficie des terres cultivées mondialement le sont pour nourrir des animaux… Tout ce bétail consomme pas moins de la moitié de toutes les céréales produites ! Cette demande pour de plus en plus de viande par les consommateurs du monde développé entraîne la déforestation effrénée dans les parties du monde moins développées.
Évidemment, lorsque vous avez le choix, achetez toujours des aliments biologiques et équitables. Pour la viande, consommez-en moins et achetez des produits locaux et fermiers qui traitent bien leurs animaux (ceci est un débat en lui-même, la majorité des animaux d’élevage ont des conditions de vie
absolument atroces). Au Québec, il y a vraiment une tendance à acheter de plus en plus local et biologique, depuis quelques années. Plusieurs programmes sont disponibles pour se trouver un « fermier de famille», mais le meilleur demeure celui des paniers bio d’Équiterre.
Une carte de tous les producteurs locaux est disponible à cette adresse Web :
Ou, pour ceux moins à l’aise avec Internet, par téléphone :1 877 272 6656
Vous y retrouverez des producteurs variés dans pratiquement toutes les régions : paniers d’été, paniers d’hiver, viande… Tout cela bio et local, bien entendu !
Finalement, vous pouvez aussi aller visiter ou encourager des projets de permaculture ici au Québec. En voici quelques-uns : Les fermes Miracle de Stefan Sobkowiak, TerraVie, Terra Perma.
Il y a aussi beaucoup d’entreprises et de consultants pouvant vous aider dans vos démarches : Wen Rolland (permaculture en climat froid), Croque Paysage, Écomestible, PDC+.
Bref, il est inconcevable que 2 milliards de personnes soient mal nourries ou carrément en famine alors qu’une élite (dont nous faisons partie) vit au-dessus de ses moyens. En encourageant une agriculture biologique intensive au lieu d’une monoculture d’exportation, les plus pauvres de ce monde pourraient améliorer de beaucoup leur qualité de vie… Votons donc avec notre portefeuille ! Rien ne nous empêche de pratiquer et d’encourager cette saine méthode ici, au Québec, d’ailleurs… Mangez bio, local et santé !
RÉFÉRENCES
NATIONS UNIES. Make agriculture truly sustainable now for food security in a changing climate, 2013: http://unctad.org/en/PublicationsLibrary/ditcted2012d3_en.pdf
http://www.ipcc.ch/pdf/assessmentreport/ar4/wg1/ar4-wg1-chapter2.pdf
https://ipcc.ch/pdf/assessmentreport/ar5/wg1/WG1AR5_SummaryVolume_FINAL_FRENCH.pdf