Publié le 14 juillet 2023
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott
Si notre mode de vie correspond de moins en moins aux réalités d’une société agricole, la production alimentaire à grande échelle reste néanmoins tributaire du cycle des saisons et des règles imposées par la nature.
On cite souvent la cuisine japonaise traditionnelle comme étant intimement liée à l’emploi de produits frais et de saison, réduisant ainsi le besoin en denrées importées et favorisant implicitement une adhésion à l’achat local. Selon cette philosophie, en consommant le produit à la sortie du champ, on optimise sa saveur naturelle, tout en réduisant les distances nécessaires à le distribuer aux consommateurs.
Mais cette image, un peu idéalisée, doit également tenir compte du fait que l’engouement pour les sushis au pays du Soleil levant est responsable du dépeuplement de certaines espèces marines. Le thon, l’un des grands favoris de ce délice gastronomique, serait plus « abondant » durant les mois de juin, juillet et août sans que l’on sache véritablement pourquoi. Sur la base d’une longue expérience, on sait aussi que le meilleur moment pour pêcher cette espèce est entre l’aurore et l’aube, puisque l’obscurité rend moins habiles les thons à contourner les filets qui leur sont tendus. Certains sont d’avis que l’on pêche trois fois plus de thons que la quantité nécessaire à la survie de l’espèce. Certaines études suggèrent même que la consommation de sushis au Japon a fait chuter la population de thons à environ 2,6 % de ce qu’elle était jadis.
Une longue observation de la nature amène les Grecs à recueillir les oursins les jours de pleine lune, car ces animaux marins sont réputés contenir plus d’œufs durant cette période précise de chaque mois. On a aussi noté que les soirs de nouvelle lune s’avèrent plus propices à la pêche aux calmars, puisqu’il s’agit de la seule lumière qui sache les guider dans leur recherche de nourriture en période nocturne. Ils sont ainsi plus vulnérables aux filets de pêche.
Les cycles de la nature font aussi en sorte que certains produits habituellement toxiques peuvent être consommés à des moments précis de l’année. Le kaki, (Persimon, en anglais), originaire d’Extrême-Orient, doit idéalement être récolté après une première gelée, afin d’éviter ses effets toxiques mineurs. Ici, au Québec, les fameuses têtes de violon, récoltées de mai à juin, doivent impérativement être bouillies, afin d’en extraire les toxines. On déconseille fortement de les manger crues ou simplement sautées à la poêle.
Une observation attentive de la nature nous amène aussi à récolter les canneberges en septembre-octobre, alors que les nuits sont fraîches et que les journées ensoleillées contribuent au mûrissement de ces baies. Selon une certaine théorie, le grand feu ayant détruit près de 4 000 kilomètres carrés de terrain au Lac-Saint-Jean en mai 1870 aurait contribué à modifier les composantes du sol, le rendant favorable à la croissance de bleuets.
De plus, le fruit du ackee (originaire d’Afrique de l’Ouest) est comestible lorsqu’il est parfaitement mûr, mais s’avère toxique de mars à juin et d’août à janvier. On rapporte régulièrement des cas d’empoisonnement mortel dans les Caraïbes et au Nigéria. Les ackees de Jamaïque sont disponibles chez nous sous forme de conserve et donc parfaitement sécuritaires. La présence de ce produit vient rappeler que la modernité est responsable d’échanges transcontinentaux, ayant pour effet d’acheminer des produits frais et de saison, en plus de ceux vendus en conserve, et ce, de l’hémisphère sud vers l’hémisphère nord. Pour ce qui est des agrumes, ils n’arrivent pas nécessairement tous à maturité à la même période, ce qui explique leur présence en magasin de décembre à mai.
Il serait toutefois faux de croire que les échanges sur de grandes distances soient un phénomène nouveau. Depuis plus de 400 ans, un banquet chinois ne serait pas complet sans une soupe au nid d’hirondelle, dont le produit de base était déjà importé des Philippines et d’Indonésie.
Le riz, denrée de base de l’Asie dans son ensemble, constitue l’exemple parfait d’un aliment dont la récolte est synonyme de célébration et sert souvent à saluer l’arrivée de la nouvelle année. Mais il existe certaines exceptions notoires. Aux Philippines, c’est durant sa récolte que l’on honore San Isidro Labrador, saint patron de l’agriculture, alors qu’à Java, malgré l’Islam dominant, on offre la première récolte à Devi Sri, déesse hindoue de la fertilité. En Corée du Sud, en dépit du virage industriel, l’héritage du passé est respecté et les fêtes en lien avec la récolte du riz, autrefois régies par un calendrier lunaire, sont désormais célébrées à une date fixe, après l’adoption du calendrier solaire.
Chez nous, l’Action de grâce est soulignée le deuxième lundi d’octobre, et ce, depuis 1957, bien qu’au 19e siècle, elle aurait eu lieu en avril. Du côté américain, cette journée revêt une plus grande importance que chez nous et a connu plusieurs modifications avant qu’Abraham Lincoln ne statue, en 1863, qu’elle aurait désormais lieu le quatrième jeudi de novembre. Le climat canadien étant plus rigoureux, cela fait en sorte qu’elle devance l’Action de grâce américaine de plusieurs semaines.
Aux États-Unis, cette fête importante commémore aussi un repas partagé entre les membres de la nation Wampanoag et les arrivants venus d’Europe en 1621. Les Premières Nations avaient déjà créé des calendriers solaires pour les guider dans leurs travaux agricoles, dont l’un des plus sophistiqués se trouve dans la ville de Newark, en Ohio.
Si l’être humain a mis en place plusieurs moyens pour maximiser le résultat des ressources alimentaires, il a aussi fallu se rendre à l’évidence que cette démarche doit tenir compte d’un certain équilibre. Certaines sociétés de masques en Afrique de l’Ouest veillaient à ce que cet équilibre soit maintenu, et jetaient des interdits temporaires sur la pêche, la chasse ou la cueillette pour préserver un équilibre pouvant assurer leur sécurité alimentaire sur le long terme. Plus près de nous, le gouvernement canadien fait désormais en sorte que la pêche au homard soit limitée dans le temps, afin de donner à l’espèce le temps de se reproduire.
Si l’achat de denrées importées est inévitable en période hivernale, les semaines et les mois à venir sont une belle occasion d’encourager la production locale.