L’autophagie : la digestion cellulaire au service de la longévité

Publié le 13 mai 2021
Écrit par Dr Éric Simard, Ph. D., docteur en biologie et chercheur dans le domaine du vieillissement

L’autophagie : la digestion cellulaire au service de la longévité

Quel drôle de concept : des mécanismes cellulaires qui digèrent des parties de nos propres cellules. Pourtant, ces mécanismes d’« autodigestion » sont cruciaux et intimement reliés à la longévité en santé. Leur rôle est de permettre de réorienter une partie des ressources disponibles, ou encore de désengorger une cellule encombrée par des protéines ou des organites qui ne sont plus fonctionnels. Si l’on fait une analogie avec une usine, l’autophagie peut ainsi récupérer des matériaux inutilisés ou peu utilisés pour les rendre disponibles à une autre section de l’usine. Ces mécanismes de digestion, de recyclage, peuvent aussi récupérer des matériaux ou des appareils endommagés afin de les recycler dans de nouvelles machines qui seront disponibles pour cette usine.

Le plus intéressant est que ces processus sont essentiels à la vie, ils ont une grande implication dans le développement, la défense contre le cancer, la longévité en santé, et ils peuvent être induits par le jeûne, l’activité physique, l’alimentation ou les suppléments.

 

Recycler pour s’adapter

La biologie est grandement basée sur l’optimisation de l’usage des ressources pour permettre aux espèces de perdurer. Ainsi, une des grandes lois de la biologie est que ce qui ne sert pas disparaît. Par exemple, si nous n’utilisons pas suffisamment nos muscles, la masse musculaire baisse. Vous êtes-vous déjà demandé comment c’est possible ? Pourquoi le corps ne garde-t-il pas la masse musculaire inutilisée ? C’est que durant l’évolution, l’accès aux ressources de façon suffisante était un défi de tous les jours. Afin de permettre une adaptation fine à nos modes de vie, le corps a développé la capacité de faire croître de façon plus importante les muscles dont on a le plus besoin, tout en étant capable de réorienter les matériaux utilisés si la demande envers cette capacité musculaire baisse. Il s’agit d’un fin système d’adaptation, qui fonctionne à merveille lorsque l’on est jeune. L’autophagie, c’est le même principe, pour tout ce qui est du recyclage et des appareils endommagés des cellules. 

 

Trois modes de fonctionnement adaptés aux besoins

Il existe principalement trois types d’autophagie : la macroautophagie (macro = grossière, pour les gros besoins) la microautophagie (pour les petits recyclages) et l’autophagie reliée à l’usage des chaperons moléculaires (des protéines ayant le rôle de réparer d’autres protéines, et si elles ne réussissent pas, les protéines endommagées sont dégradées par autophagie). 

Pour la microautophagie, les petites composantes à recycler sont dirigées vers le lysosome et sont directement digérées par une forme d’invagination de la membrane lysosomale (c’est de mettre des déchets dans le bac de recyclage). Le lysosome est un organite cellulaire qui sert à digérer, une forme d’estomac ou de broyeur à déchets. La microautophagie sert à réorienter certaines ressources. Par exemple, lorsqu’il y a une carence en acides aminés, les protéines cytosoliques, présentes dans la cellule, sont détruites par ce type d’autophagie pour récupérer les acides aminés essentiels. 

La macroautophagie est l’un des types d’autophagie les plus étudiés et il est lié à plusieurs maladies chez l’humain. Ce type de recyclage considère habituellement des composantes comme des organites endommagés ou des protéines mal repliées, comme la microautophagie, mais il incorpore l’agrégation des protéines dans son mécanisme de transport pour effectuer de grandes dégradations. La macroautophagie crée un phagophore (un camion de recyclage, pour continuer l’analogie). Ce sont des véhicules de transport qui prennent les matériaux endommagés de l’appareil de récupération (les lysosomes).  

 

Les chaperons moléculaires

L’autophagie provoquée par une protéine chaperon fonctionne très différemment des deux autres types. Les protéines chaperons servent à réactiver des protéines mal repliées. On pourrait définir le chaperon un peu comme une personne qui aurait pour objectif de surveiller / superviser quelque chose. S’il ne réussit pas à rendre la protéine à nouveau fonctionnelle, il y restera attaché pour former un complexe d’identification et il engendrera sa récupération pour qu’elle soit recyclée. Comme si le réparateur de machine à laver y restait accolé s’il ne réussissait pas à la réparer. Le propriétaire passerait ensuite et enverrait la machine au recyclage avec le réparateur. 

L’autophagie par chaperons moléculaires est toutefois très intéressante du point de vue de la santé humaine, parce qu’elle pourrait permettre d’orienter le recyclage spécifique de certaines protéines comme les protéines impliquées dans la maladie d’Alzheimer. 

Nous pourrions présenter un quatrième type d’autophagie relié à des fonctions spécifiques, comme l’autophagie des mitochondries (la mitophagie), des lipides cellulaires (lypophagie) ou des corps étrangers comme les virus et les bactéries (exophagie). 

 

Vieillir parce que l’on accumule des équipements endommagés 

D’où vient le lien entre le vieillissement et l’autophagie, si celle-ci sert au recyclage cellulaire ? C’est que l’autophagie fait partie de ce que l’on appelle les « mécanismes de maintenance et de réparation ». Il y a donc le recyclage des déchets pour garder les cellules fonctionnelles en évitant l’encombrement, et le recyclage nutritionnel causé par le besoin en ressources. Ces mécanismes fonctionnent parfaitement bien lorsque l’on est jeune, mais en vieillissant, leur efficacité baisse.

Ainsi dans un monde idéal, si le corps manque de ressources, il réduira la croissance et le développement par l’inhibition de la MTOR (de l’anglais « mechanistic target of rapamycin », le chef d’orchestre du développement, la plus importante voie métabolique qui pousse l’organisme à vieillir) et il stimulera l’autophagie pour essayer de récupérer les matériaux disponibles. Cela est extrêmement bénéfique, parce qu’il :

  1. freine le vieillissement ; 
  2. rend les cellules plus fonctionnelles.

Un autre exemple pertinent est l’efficacité et l’état de santé des mitochondries. Nos petites usines énergétiques intracellulaires ont la capacité de polluer nos cellules et d’augmenter le risque d’un grand nombre de maladies si leur fonctionnement est déréglé. Normalement, lorsque les mitochondries fonctionnent moins bien, leur potentiel membranaire baisse et elles laisseront s’échapper des molécules oxydatives qui peuvent causer des dommages à l’ADN ou aux protéines (de la pollution). Ce sont les mécanismes d’autophagie qui permettent de remplacer les mitochondries endommagées. 

Comme en vieillissant, l’autophagie fonctionnant moins bien, nos cellules ont tendance à devenir encombrées, à mal fonctionner et à produire des molécules oxydatives. La stimulation de l’autophagie par certains moyens que nous verrons plus loin permet de rendre les cellules fonctionnelles à nouveau, de les rajeunir. Ce processus de rajeunissement a aussi un impact important sur les mécanismes inflammatoires.

 

Autophagie et inflammasome

L’inflammasome est un complexe de protéines qui régule les réactions pro-inflammatoires innées. La production d’inflammasomes est stimulée par la baisse de l’autophagie et cause une augmentation de l’inflammation. L’augmentation de la production de l’oxydation causée par le dysfonctionnement des mitochondries stimule aussi la production d’inflammasomes et des molécules pro-inflammatoires. Cette augmentation de l’inflammation dans tout le corps humain accentue les problèmes ou la vitesse de développement des maladies auto-immunes et des maladies cardiovasculaires, le diabète de type II, les maladies dégénératives et le cancer. Ainsi, l’autophagie a un rôle important à jouer pour garder les cellules fonctionnelles et contrôler l’inflammation.

 

S’autodigérer lorsque l’on a faim

Deux habitudes de vie sont reliées à la stimulation de l’autophagie : l’activité physique, qui stimule les mécanismes de maintenance et de réparation de façon générale, et le jeûne, qui crée une situation de déficit en ressources. Comme mentionné précédemment, le manque de ressources stimule l’autophagie afin de récupérer rapidement les ressources disponibles. Notez qu’en vieillissant, l’action de la MTOR présentée auparavant diminue l’autophagie et accélère le vieillissement. La réduction de l’apport calorique, par le jeûne ou la restriction calorique, stimule l’autophagie de deux façons : en inhibant la MTOR et en stimulant les mécanismes de réparation. De plus, l’inhibition de MTOR réduirait l’accumulation des protéines cellulaires qui ont tendance à rendre nos cellules dysfonctionnelles en vieillissant. Cela réduit aussi la nécessité d’avoir recours à l’autophagie, ou encore la tâche nécessaire pour que l’autophagie soit capable de répondre à la demande. 

Notre capacité à stimuler l’autophagie serait une des clés permettant la longévité en santé. Notez que la stimulation par l’activité physique est dépendante du niveau d’intensité. Autrement dit, une activité physique de haute intensité est nécessaire à la stimulation de l’autophagie. Une autre option serait de stimuler l’autophagie par l’alimentation ou la prise de suppléments. 

 

Stimuler l’autophagie grâce aux molécules végétales

Plusieurs extraits ou molécules végétales ont démontré la capacité de stimuler l’autophagie et/ou de réduire la création des inflammasomes. Les plus connus sont assurément la spermidine (une polyamine) et le resvératrol (un polyphénol de la famille des stilbènes). Mentionnons aussi la quercétine, le gallate d’épigallocatéchine (EGCG ; un polyphénol de la famille des flavanols, le plus abondant du thé vert), la catéchine (polyphénol, flavone aussi du thé vert) et l’hydroxytyrosol (le plus important polyphénol de l’olive). 

 

Une approche de santé intégrative visant l’autophagie

La santé intégrative vise à considérer la prévention avant tout, en considérant l’ensemble des approches qui peuvent être utilisées. Il est intéressant de souligner que la stimulation de l’autophagie peut mettre en application l’intégration de plusieurs solutions. Je vous ai parlé de l’activité physique, du jeûne, de l’alimentation et de la prise de suppléments. L’approche la plus productive sera sûrement d’intégrer toutes ces facettes par la mise en application de l’ensemble des quatre. 

Éric Simard est docteur en biologie et chercheur dans le domaine du vieillissement, président de l’entreprise Idunn Technologies. www.esimard.com.

 

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