Le champignon, cet organisme ambivalent

Publié le 1 novembre 2021
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott

Le champignon, cet organisme ambivalent

Le champignon de Paris, qui a longtemps trôné seul sur les tablettes des supermarchés et des marchés publics, doit de plus en plus s’accommoder d’un nombre grandissant de « compétiteurs ». Riches en protéines et exempts de gras, de sel et de sucre, les champignons (littéralement qui poussent dans les champs) jouissent désormais d’une grande popularité auprès des gourmets, ainsi que parmi les végétariens et les végétaliens.

 

Un peu d’histoire

Le Québec aurait hérité d’une croyance popularisée au Moyen-Âge et qui voudrait que le champignon soit associé au diable, ce qui aurait nui à sa popularité. Outre l’hindouisme et le jaïnisme, peu de religions en interdisent la consommation, pas même le bouddhisme, dont le fondateur historique serait mort après avoir consommé un fongus toxique.

Avec le temps, les champignons ont revendiqué une tout autre place dans notre imaginaire et ont trouvé leur niche dans le domaine du fantastique ; on n’a qu’à penser à Alice au pays des merveilles ainsi qu’à Tintin et l’Étoile mystérieuse. Mais ces histoires fantastiques ne peuvent nous faire oublier les risques associés à leur consommation. Un des plus grands mycologues américains, le musicien d’avant-garde John Cage, aurait frôlé la mort par empoisonnement durant les années 50, lui qui, par la force des choses, s’était initié à la cueillette des champignons durant la Grande Dépression. Malgré tout, cet enthousiasme ne s’est pas démenti et les grands restaurants de New York demandaient conseil à Cage en raison de ses remarquables connaissances.

Il faut avouer que l’engouement pour ce végétal, qui n’est pas un légume (même si on le prépare comme tel), reste relativement récent chez nous, et ce, malgré la publication en 1950 d’un livre de recettes de l’entreprise Slack qui lui était entièrement consacré.

 

Quelques faits

À l’heure actuelle, 50 % des champignons produits au Canada sont récoltés en Ontario, contre 35 % en Colombie-Britannique et 5 % au Québec et dans l’ensemble des provinces maritimes. On notera toutefois que dans les provinces canadiennes, la culture du champignon de Paris (agricus bisporus), complice par excellence de la pizza toute garnie, représenterait à elle seule environ 95 % de cette production. Pourtant, ces statistiques ne disent pas que ce monopole ontarien est un phénomène relativement récent, puisque de l’après-guerre jusqu’en 1983, l’entreprise des frères Slack de Waterloo, en Montérégie, a été la cinquième plus grande productrice de champignons au monde.

Il existe maintenant au Québec un intérêt grandissant pour les champignons, et cet engouement stimule l’imagination des cuistots, grâce à l’accès à une gamme plus considérable de champignons sauvages. Ils peuvent être cuits à l’étuvée, avant d’être incorporés à une sauce, frits dans une noix de beurre et des fines herbes ou encore transformés en marinade. Cela explique le fait que, des quelque 26 associations canadiennes de mycologues, la moitié d’entre elles sont basées chez nous.

 

Cueillette en milieu sauvage

Un fongus peut changer d’apparence durant son cycle de vie, ce qui rend son identification problématique, et c’est donc dire qu’il faille impérativement posséder une solide connaissance dans le domaine ou à défaut, songer à se joindre à un groupe qui ne s’improvise pas comme expert en la matière. De telles cueillettes contribuent notamment à tisser des liens de solidarité entre les membres d’une même famille ou d’un groupe d’individus tout en amenant les participants à reprendre contact avec la nature. L’informatisation a largement contribué au partage des connaissances dans le domaine depuis le début du XXIe siècle.

Il faut aussi tenir compte du fait que la température moyenne au Québec est inférieure de 10 degrés à celle de l’Ontario, ce qui veut dire que la saison est par conséquent plus courte. Cette activité mettra en lumière le fait que la cueillette des champignons sauvages se fait souvent dans des conditions difficiles et parfois imprévisibles ; la morille, par exemple, se manifeste habituellement après les feux de forêt. Les facteurs climatiques peuvent faire en sorte qu’une récolte soit maigre ou abondante, alors que d’autres espèces obligent les mycologues à empiéter sur le territoire d’animaux peu enclins au partage des ressources alimentaires, comme les ours.

La cueillette des champignons n’est certes pas limitée à l’Amérique du Nord, et il s’agit d’une tradition bien implantée, notamment en Ukraine, au Japon, en Italie et en Pologne. C’est en route vers la forêt que Lech Walesa (ancien leader de Solidarnosc) a appris qu’il avait gagné un prix Nobel ; il a remis par la suite la somme de 200 000 dollars accompagnant cette distinction de manière à relancer l’agriculture polonaise. On notera que la Pologne est l’un des plus grands exportateurs de champignons vers le Canada, avec les États-Unis et la Chine.

L’approvisionnement en champignons est accessible à l’année, via les boutiques réparties un peu partout au Québec. En Estrie, on pense à Fundus Fungus, fondée en 2017, alors que dans la ville de Québec, Chapeau les bois possède une base d’opérations rue Saint-Vallier Ouest. À Montréal, les 400 Pieds de champignons distribuent leur production dans certains marchés publics et vraisemblablement la pionnière dans le domaine demeure la Mycoboutique, établie sur le Plateau-Mont-Royal depuis 2006. La Mycoboutique se veut une entreprise familiale où l’on peut se procurer tout ce qui se rapporte aux champignons (trousses de culture, livres, kits de semences, etc.).

 

Les supermarchés orientaux offrent aussi une gamme de produits, aussi bien frais que séchés. On y trouve notamment les shiitakes, dont la culture se fait à proximité de chênes, de hêtres et de pins. Les shiitakes séchés ont un goût prononcé et en les réduisant en poudre dans un moulin à café, on obtient un ingrédient capable de rehausser une soupe ou un plat sauté au wok. Cette espèce est désormais cultivée chez nous, entre autres chez Morille Québec, à Chicoutimi, ce qui nous met à l’abri de produits d’origine douteuse.

Nous avons brossé un portrait des champignons axé sur la gastronomie ; mentionnons rapidement que d’autres formes de champignons (les levures) servent aussi dans la fabrication de la bière, du vin et du pain, et même au processus de maturation des fromages. On reconnaît également leur rôle en médecine occidentale, dans la fabrication d’antibiotiques – leurs nombreuses vertus sont également connues de la pharmacopée chinoise et africaine.

 

Nous vous souhaitons en conclusion de découvrir cet incroyable univers lors de vos prochaines promenades. Assurez-vous simplement d’avoir un expert à vos côtés.