Publié le 8 juin 2020
Écrit par Par Chantal Ann Dumas, ND.A.
Au moment d’écrire ces lignes, nous en sommes au 64e jour du confinement mis en place par les autorités en réponse à la pandémie de COVID-19. Deux mois durant lesquels la plupart d’entre nous sont cantonnés à notre domicile en ayant un minimum de contacts avec les autres. Le prolongement de cette situation exceptionnelle d’isolement social commence à défier notre seuil de tolérance collective. On ressent l’impact de cette privation de nos libertés habituelles de différentes manières, tant sur le plan de l’économie que de notre santé en général, mais c’est du manque de chaleur humaine qu’on semble le plus souffrir. En effet, on s’adapte tant bien que mal à la situation, mais avouons que le télétravail et les rencontres virtuelles avec grand-maman ont quand même leurs limites ! On dit souvent que l’être humain est une créature sociale, mais pourquoi le contact humain est-il tellement essentiel à notre santé physique et mentale ? C’est ce que je vous propose de découvrir dans le cadre de cet article.
À travers de nombreuses études sur les mammifères allant des plus petits rongeurs jusqu’aux humains, les données suggèrent que nous sommes profondément façonnés par notre environnement social et que nous souffrons beaucoup lorsque nos liens sociaux sont menacés ou rompus. S’il peut être difficile d’admettre que nous soyons « câblés » de telle sorte que notre bien-être dépende de nos relations avec les autres, les faits demeurent et la douleur sociale ressentie en l’absence de contacts sociaux harmonieux est bien réelle.
Le fait même que nous éprouvions de la douleur sociale signifie que l’évolution a traité la connexion sociale comme une nécessité, et non pas comme un simple luxe. D’un point de vue évolutif, tous les éléments qui menacent notre survie provoquent en nous une douleur et à l’opposé, ceux qui la favorisent déclenchent habituellement la sécrétion de neurotransmetteurs associés au plaisir et à l’excitation, tels que la sérotonine, la dopamine ou l’ocytocine. La façon dont la douleur et le plaisir sociaux sont intégrés dans notre système d’exploitation depuis des dizaines de millions d’années en font des fins de motivation en soi. Autrement dit, la connexion avec l’autre ne vise pas seulement l’atteinte d’objectifs rationnels spécifiques, mais aussi à nourrir un besoin social inné bien enraciné en nous. Selon Matthew Lieberman, professeur à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) et auteur du livre Social: Why Our Brains Are Wired to Connect, le besoin de se connecter socialement est aussi fondamental que celui de se nourrir et de se loger. Selon lui, être socialement connecté est essentiel à notre survie, et tout porte à croire que l’évolution a fait le pari que de nous rendre encore plus sociaux augmentait nos chances de survie. Lieberman et ses collègues ont même eu recours à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) pour démontrer que les mécanismes neuronaux font de nous des êtres profondément sociaux. L’importance de la connexion sociale est si forte que lorsque nous sommes rejetés ou que nous éprouvons d’autres « douleurs sociales », notre cerveau « souffre » de la même manière que lorsque nous ressentons une douleur physique. Pourtant, nous sommes loin d’accorder autant d’importance aux douleurs sociales que nous en octroyons aux douleurs physiques !
Bien que l’importance de la connexion sociale soit universelle, différentes cultures peuvent exprimer des croyances différentes sur son importance et surl’interdépendance dans nos vies. Au Canada, l’isolement social était déjà en augmentation avant le confinement. Selon le Recensement de la population et l’Enquête sociale générale de 2017 sur la famille, le nombre de personnes vivant seules a plus que doublé au Canada au cours des 35 dernières années, pour atteindre 4 millions en 2016. Cette même année, les foyers composés d’une seule personne sont les plus courants (28 %) pour la première fois dans l’histoire enregistrée. Le Québec détient le triste record national à ce titre. Selon les données du Recensement de 2016, nous sommes 1,2 million de Québécois à vivre en solo et cette situation culminerait dans la région de Montréal, où pas moins de 21 % des adultes vivent seuls. Mais est-ce que vivre seul signifie qu’on éprouve plus de solitude ? Pas nécessairement, selon les études. Il faut faire la distinction entre l’isolement social, la solitude et l’exclusion sociale.
Bien que les personnes vivant seules soient généralement plus susceptibles de signaler l’isolement social ou la solitude, elles n’en détiennent pas le monopole et n’éprouvent pas toujours plus de solitude. Ce n’est pas le nombre de relations sociales qui détermine si les gens se sentent seuls, mais plutôt la qualité de ces dernières. Par exemple, certaines personnes vivant seules sont impliquées dans une union libre, une tendance nettement à la hausse qui engloberait 39 % des personnes en couple au Québec. Un autre important segment de la population vivant seule est constitué de veuves. Toujours selon l’Enquête sociale générale, elles défient les stéréotypes, car 72 % d’entre elles ont déclaré des niveaux élevés de satisfaction à l’égard de la vie.
De manière générale, nous sommes de moins en moins connectés socialement. Seulement 44 % d’entre nous fréquentent leurs amis au moins quelques fois par semaine et 26 % visitent les membres de leur famille hebdomadairement. Les aînés sont particulièrement affectés par cet isolement. Une personne sur quatre dit éprouver de l’isolement et une sur cinq aimerait participer à plus d’activités sociales. Quant aux personnes immigrantes ou issues des minorités visibles, près de 1 sur 3 (30 %) se dit carrément victime d’exclusion sociale.
Ces statistiques sont très significatives, car de nombreuses études établissent un lien entre l’isolement social perçu et les conséquences néfastes sur la santé physique et mentale. L’isolement social comporte le même risque pour la santé que fumer 15 cigarettes par jour, il est 2 fois plus nocif que l’obésité et aussi mortel que l’alcoolisme ! L’isolement social est un cercle vicieux : les personnes ne disposant pas d’un bon réseau social ressentent le stress plus intensément que celles qui jouissent de bons liens sociaux qui leur permettent d’amortir ce stress, et en retour, le manque de soutien social est générateur de stress. On sait que le stress peut mener à la dépression, qu’il interfère avec la qualité et la quantité de sommeil et qu’il est associé notamment aux lombalgies (ne dit-on pas « porter le monde sur son dos » ?). L’isolement social est aussi associé à l’altération des fonctions exécutives, au déclin cognitif accéléré, à la maladie pulmonaire obstructive chronique, à l’augmentation des risques cardiovasculaires et à l’affaiblissement de l’immunité. Une méta-analyse démontre que la solitude et l’isolement social sont liés à une augmentation d’environ 30 % du risque d’avoir un accident vasculaire cérébral ou de développer une maladie coronarienne. Une autre étude publiée en 2019 par la Société américaine du cancer et impliquant 580 000 adultes a d’ailleurs conclu que l’isolement social augmente le risque de décès prématuré de toutes causes, indépendamment de la race.
À l’opposé, l’inclusion sociale est garante d’effets positifs sur la santé mentale et physique. On sait que de vastes réseaux sociaux diversifiés favorisent les relations de qualité et protègent contre la dépression. Il y aurait sans doute des parallèles intéressants à établir entre cette augmentation de l’isolement au sein de la population et la maladie mentale, incluant la dépression et l’anxiété, qui occupe le premier rang parmi les causes d’invalidité au pays et occasionnent un fardeau de plus de 51 milliards de dollars annuellement aux Canadiens. Par exemple, une étude au sein d’une population âgée a démontré que l’intégration sociale et l’appartenance ont réduit le risque d’idées suicidaires et de tentatives de suicide.
Dans sa méta-analyse révolutionnaire publiée en 2010, Julianne Holt-Lunstad a démontré que les personnes ayant des liens sociaux solides sont 50 % moins susceptibles de mourir au cours d’une période donnée que celles qui ont moins de liens sociaux. La méta-analyse a combiné les données de 148 études répertoriant les habitudes sociales de plus de 300 000 personnes dans le monde. L’équipe de recherche a développé un codage approfondi pour les variables qui pourraient être pondérées pour obtenir l’effet d’amplitude globale du lien social sur la santé. Ces résultats ont été confirmés par une méta-analyse de suivi publiée en 2015 qui a élargi l’échantillon à plus de 3,4 millions de personnes dans le monde et a révélé plus de nuances. À titre d’exemple, on y apprend qu’une meilleure qualité relationnelle augmente le taux d’ocytocine (souvent appelée « l’hormone de l’amour ») et que la présence d’une personne de confiance, ou même simplement le fait de penser à elle, réduit les réponses cardiovasculaires et neuroendocrines associées au stress. Mais l’élément le plus intéressant qu’a révélé cette étude, selon moi, est que contre toute attente, les deux plus importants facteurs prédicteurs de longévité tous facteurs confondus se sont avérés être les relations personnelles de confiance et l’intégration sociale. Cela donne de quoi réfléchir…
Puisque l’inclusion sociale s’avère être un déterminant de santé majeur, sinon LE plus important en matière non seulement de qualité de vie mais aussi de longévité, souvent négligée, nous devons en tenir compte dans l’évaluation de l’état de santé des individus et de la population, et mettre en place des mesures concrètes d’inclusion sociale. Pourquoi ne pas en tenir compte dans les aménagements urbains et l’organisation de la société ? Offrir des mesures économiques incitatives et promouvoir les bienfaits associés à l’inclusion sociale ? À la lumière des récentes catastrophes survenues dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) et des statistiques concernant l’augmentation de l’anxiété et de la dépression chez les enfants et les adolescents, les interventions de connectivité sociale pourraient potentiellement aider à réduire ces fléaux dans les différents groupes d’âge. Certains programmes jumelant les personnes âgées et les garderies et d’autres qui offrent aux étudiants la possibilité d’habiter en résidence pour personnes âgées à tarif réduit en échange de services et d’accompagnement ont déjà fait leurs preuves.
En conclusion
Le système capitaliste actuel basé sur de vielles notions patriarcales de compétition et de productivité néglige l’importance de l’intégration et de la collaboration au sein de la communauté pour notre santé mentale et physique. Souhaitons que cette période de confinement nous permette de prendre conscience de notre profond besoin de cohésion sociale et de la nécessité d’entretenir et de valoriser nos liens personnels et sociaux. La règle fondamentale qui sous-tend toutes les médecines étant Primum non nocere (premièrement, ne pas nuire), il serait d’une importance capitale dans le futur de s’assurer qu’en tentant d’éviter un mal comme une infection, on n’expose pas la population à un autre mal peut-être encore plus pernicieux via l’isolement social et l’amplification de la peur de l’autre. Du namasté ou namaskar des Indiens (le divin en moi s’incline devant le divin en toi) au In Lakesh (je suis un autre toi) des Mayas, la sagesse populaire millénaire nous rappelle que nous sommes des parcelles d’un tout unifié.
RÉFÉRENCES