Le continuum de santé et la longévité

Publié le 14 juillet 2023
Écrit par Eric Simard, docteur en biologie et chercheur

Le continuum de santé et la longévité

Récemment, j’ai créé une image pour une émission de télévision (La santé autrement) afin de parler du fait que l’on se soucie, généralement au Québec, de la santé quand la maladie est installée ou en voie de l’être. Nous devrions voir la santé comme un continuum entre un état optimal et être malades. J’ai proposé huit états dans ce continuum qui permettent de se rendre compte que notre système de la maladie ne considère que les trois derniers : à partir de l’apparition des symptômes.

  1. Optimiser sa santé
  2. Être en santé
  3. Avoir un mauvais environnement de vie
  4. Avoir de mauvaises habitudes de vie
  5. Avoir des carences
  6. Avoir des symptômes
  7. Développer une maladie
  8. Être malade

 

Il est même fréquent pour des gens que l’on considère en bonne santé, de se rendre compte qu’ils ont des carences significatives et de mauvaises habitudes de vie. Ils sont quand même sur une pente descendante menant à la maladie. Ce continuum m’a fait penser de vous proposer un second continuum de paramètre biologique permettant de mieux comprendre ce qu’est le vieillissement :

  1. La poussée de croissance
  2. La distorsion dans le fonctionnement cellulaire
  3. La baisse graduelle des capacités de réparation
  4. La création de cellules sénescentes
  5. L’inflammation systémique reliée au vieillissement (« inflamaging»)
  6. Le désordre métabolique (dont la dysfonction mitochondriale)
  7. La maladie
  8. La mort

Personnellement, j’ai horreur des explications qui mettent tout sur le même pied d’égalité. Dans la réalité, certaines facettes de la biologie du vieillissement en entraînent d’autres et permettent de considérer, dans une approche naturopathique, d’agir en amont sur les premières étapes de façon à avoir des impacts plus globaux sur la longévité en santé. Je vais donc vous expliquer ces étapes pour mieux situer ce qu’est le vieillissement et comment nous pouvons agir sur le processus.

 

  1. La poussée de croissance ou la théorie de l’hyperfonction

Une première facette importante à comprendre est ce qui explique qu’une souris vieillit plus rapidement qu’un éléphant ; la vitesse de développement. La taille et la vitesse de développement des organismes sont directement reliées à leur longévité. La raison est que nous vieillissons à la même vitesse que nous avons grandi. Autrement dit, une souris qui atteint sa croissance maximale très rapidement vieillit aussi plus rapidement qu’un éléphant. Ainsi, les voies métaboliques de la croissance demeurent activées même après l’arrêt de la croissance à l’âge adulte, et causent le vieillissement aussi rapidement que nous avons grandi. Nous pouvons alors supposer qu’un organisme vivant qui grandirait tout le temps et plus lentement pourrait mieux vieillir ? Eh oui, c’est effectivement le cas. Le requin du Groenland peut vivre de 275 à 350 ans et il ne cesse jamais de grandir. Toutefois, pour la majorité des organismes vivants, l’arrêt de la croissance est suivi par une poussée de développement sans croissance qui cause de la distorsion dans le fonctionnement cellulaire.

 

  1. La distorsion dans le fonctionnement cellulaire

Pour reprendre une analogie proposée par Blagosklonny : « c’est comme conduire une voiture avec l’accélérateur à fond tout le temps en modérant la vitesse avec le frein : la voiture userait plus rapidement ». Il y aurait donc deux façons de limiter l’usure : lever le pied de l’accélérateur ou faire plus d’entretien. Certains organismes qui vivent particulièrement longtemps font plus d’entretien. C’est le cas du rat-taupe nu et des chauves-souris. Bien qu’ils soient de la taille d’une souris, ils vivent environ 10 fois plus longtemps. Ils maintiennent de meilleures capacités de réparation, beaucoup plus longtemps au cours de leur vie.

Pour l’humain, cette poussée constante de développement, après l’arrêt de la croissance, réduit graduellement nos capacités de réparation. Quand nous sommes jeunes, nous réparons à peu près tout, mais en vieillissant, des dommages s’accumulent parce que nos capacités de réparation diminuent. Que ce soit la réparation de l’ADN, des protéines ou des cellules, cela s’additionne en plus à la baisse de nos capacités antioxydantes.

 

  1. La baisse graduelle des capacités de réparation

Donc, après l’âge adulte, les capacités de réparation baissent, et c’est relié à des changements épigénétiques (l’expression ou non de nos gènes en lien avec notre environnement). Il s’ensuit de l’instabilité génétique, un moins bon fonctionnement des cellules, de l’accumulation de débris cellulaires, un raccourcissement des télomères (les indicateurs de l’état de santé des cellules) et ultimement, une baisse du renouvellement des cellules. Les cellules non renouvelées deviennent des cellules sénescentes.

 

  1. La création de cellules sénescentes

Les cellules ont leur propre durée de vie. Dans un système complètement fonctionnel, lorsqu’il survient un dysfonctionnement, les programmes d’entretien ciblent ces cellules déficientes afin de les empêcher de se dupliquer et les éliminent. Si elles ne sont pas éliminées et remplacées, elles peuvent finir par se dérégler et devenir cancéreuses. Il existe aussi un état, que l’on pourrait catégoriser de « cellules zombies », qui est entre la vie et la mort : un emprisonnement pour empêcher de nuire. C’est ce que l’on appelle les « cellules sénescentes ».

Ces cellules s’accumulent naturellement tout au long du processus de vieillissement. Alors, plus nous vieillissons, plus il y a de cellules sénescentes : « … avec l’âge, ceci conduit à une inflammation accrue due à un phénotype sécrétoire associé à la sénescence (PSAS). Ce phénotype qui inclut plusieurs cytokines favorise les tumeurs et peut épuiser le réservoir de cellules immunitaires dans le corps. » (Traduction libre) (Thoppil & Riabowol, 2020). Donc, si les mécanismes de maintenance ne détruisent pas les cellules sénescentes et que ces cellules s’accumulent, avec le temps, elles surproduiront des molécules inflammatoires, ce qui affaiblira le système immunitaire, et le corps sera plus sensible aux diverses maladies.

 

  1. L’inflammation systémique reliée au vieillissement (« inflamaging»)

Ces cellules sénescentes seraient en grande partie responsables de l’augmentation graduelle de l’inflammation en vieillissant ; plus on vieillit, plus on a tendance à développer une inflammation légère et systémique (dans tout le corps). Cette inflammation légère chronique augmenterait le risque ou la vitesse de développement d’un grand nombre de maladies associées au vieillissement, dont le cancer, les maladies cardiovasculaires, l’arthrose et les maladies neurodégénératives. Cette inflammation légère a aussi un impact sur le métabolisme, ce qui favorise la prise de poids, la résistance à l’insuline et une baisse de l’efficacité de nos usines énergétiques cellulaires que sont les mitochondries.

 

  1. Le désordre métabolique (dont la dysfonction mitochondriale)

Donc, à partir de problématiques de fonctionnement cellulaire, nous en sommes à des impacts métaboliques dans tout le corps humain. Il s’ensuit une baisse de la capacité à produire notre énergie, une difficulté à gérer le glucose et les lipides sanguins et un risque accru de plusieurs maladies, dont le diabète de type II. Selon l’état de santé de chaque personne et surtout des habitudes de vie, ce désordre métabolique provoquera ou non une maladie.

 

  1. La maladie

Les maladies associées au vieillissement sont les principales maladies graves de notre époque : les maladies du cœur, la dégénérescence des neurones, le cancer, le diabète de type II, etc. Vous pouvez dès lors comprendre que le développement de ces maladies, qui est bien sûr influencé par une multitude de facteurs environnementaux reliés à vos habitudes et votre milieu de vie, est en grande partie dû à la poussée de l’organisme à vieillir. Certains organismes vivants n’ont pas de maladies associées au vieillissement, parce qu’ils conservent de meilleures capacités de maintenance et de réparation.

C’est pour cette raison que les agents gérosuppresseurs, molécules qui agissent en réduisant la poussée de l’organisme à vieillir ou en augmentant nos capacités de maintenance et de réparation, réduisent l’incidence de l’ensemble de ces maladies. C’est ce que le chercheur américain Matt Kaeberlein a appelé, dans la prestigieuse revue Science : « L’ultime médecine préventive ». « Ultime », parce que vous l’aurez deviné, les agents gérosuppresseurs agissent sur l’ensemble des maladies avant même leur établissement. L’objectif étant bien sûr de déjouer la mort.

 

  1. La mort

Il n’est pas encore possible de ne pas mourir et étant donné la complexité de la biologie du vieillissement, je ne crois pas que ce sera possible un jour. Toutefois, mon domaine d’expertise étant la longévité en santé, je peux vous confirmer qu’il est possible d’agir sur les processus du vieillissement et de mieux vieillir. Il faut garder à l’esprit que plus nous agissons en amont sur les étapes mentionnées, plus les résultats obtenus seront importants et significatifs. Si l’on attend d’être malades pour changer nos habitudes de vie, bien qu’il ne soit jamais trop tard, il est évident que ce sera plus difficile de rétablir la santé.

L’apport en glucide et en calories de façon générale stimule les mécanismes de la croissance et donc ceux du vieillissement. D’où l’impact de la restriction calorique ou du jeûne sur la longévité. Les agents gérosuppresseurs agissent aussi sur cette première étape (ex. : polyphénols d’olives, resvératrol, fisetine, metformine, rapamycine). Certaines molécules amélioreront d’autres fonctions cellulaires ou les capacités de réparation (ex. : resvératrol, Co-Q10, spermidine, mélatonine). C’est ce que l’on appelle des « agents géroprotecteurs ». Des chercheurs développent actuellement des molécules qui agissent sur la quatrième étape ; les sénolytiques (quercétine, curcumine, aspirine, NAD+, etc.). Il s’agit de molécules visant à éliminer les cellules sénescentes.

 

Il est possible de viser les processus inflammatoires de la cinquième étape en s’assurant d’avoir un bon système immunitaire, un bon microbiote intestinal et suffisamment d’oméga-3. Rendu au niveau du métabolisme, mieux vaut considérer l’ensemble des habitudes de vie que d’y aller avec la supplémentation. Certains suppléments peuvent aider et certaines carences sont à surveiller, mais les équilibres sont tellement complexes, qu’il est facile de causer un nouveau problème en essayant d’améliorer le métabolisme. Vos naturopathes sont très bien placés pour vous aider dans les bonnes habitudes de vie.

Cette présentation par étape constitue un exercice imprécis, auquel nous pourrions ajouter des paramètres et des détails, mais il permet de comprendre comment certains processus à l’échelle cellulaire peuvent finir par influencer tout l’avenir d’un organisme vivant. Cela permet de mieux situer ce qu’est le vieillissement à la lumière des découvertes récentes.

Nous pouvons agir directement sur les processus du vieillissement primaire, qui est la poussée de l’organisme à vieillir, afin de maintenir nos capacités le plus longtemps possible. Notez bien ; ces agents gérosuppresseurs ne permettront pas de se passer des saines habitudes de vie, mais ils améliorent vos chances d’atteindre un âge avancé en étant capable de profiter pleinement de la vie.

 

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