Publié le 25 août 2022
Écrit par Cynthia Gariépy, NDA, et Anne-Isabelle Dionne, MD.
Le déclin cognitif affecte une grande portion des aînés du Québec et provoque des conséquences troublantes chez eux ainsi que leurs proches. En effet, plus de 500 000 personnes sont atteintes d’un trouble neurocognitif au Canada, selon la Société Alzheimer. Cette statistique doublera presque d’ici 10 à 15 ans[1]. Il est malheureux de constater que la prévalence des troubles neurocognitifs progresse rapidement dans la collectivité et qu’il y a très peu à offrir à cette population.
De plus, l’impact sur la collectivité est très important. En effet, pour chaque personne atteinte, il faut compter un à trois proches aidants qui s’investissent en temps et en soins avec des impacts socioéconomiques immenses. On estime même qu’un canadien sur cinq a déjà agi à titre de proche aidant d’une personne souffrant de troubles cognitifs, dans sa vie[2]. Les coûts reliés à la maladie d’Alzheimer et aux maladies neurodégénératives sont de 8,3 milliards de dollars annuellement, au Canada (2011), et devraient atteindre 293 milliards de dollars d’ici 2040, selon le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie du Canada.
Dans environ 70 % des cas de troubles neurocognitifs, c’est la maladie d’Alzheimer qui est en cause. Près de 50 % des personnes atteintes d’un trouble cognitif, incluant la maladie d’Alzheimer, reçoivent aussi leur diagnostic à un stade trop avancé de la maladie[3],[4]. Comme elle est progressive, les manifestations de l’évolution de cette pathologie varient d’une personne à l’autre et peut se prolonger entre 8 et 10 ans, et même plus. Dans tous les cas, l’individu atteint perd graduellement ses fonctions cognitives et développe une relation de dépendance à ses proches pour effectuer les activités de la vie quotidienne. Le diagnostic d’Alzheimer représente toujours une condamnation à mort et déclenche inévitablement chez le proche aidant ce qui est appelé un « deuil blanc », alors que la personnalité de la personne atteinte change et ne correspond plus à celle qui avait été connue auparavant[5].
Même si on constate que l’Alzheimer est une pathologie très complexe sur le plan biologique et qu’elle est issue de plusieurs processus physiopathologiques, l’industrie pharmaceutique cherche encore et toujours une monothérapie (un seul médicament) pouvant changer le devenir de cette terrible maladie. Les médicaments développés pour tenter de renverser le processus de troubles cognitifs sont nombreux, mais les études cliniques négatives se comptentpar centaines. Une infime minorité seulement a montré des avantages qui s’avèrent toutefois marginaux. De plus, il coûte approximativement 359 millions de dollars pour réussir à commercialiser, du début à la fin, un médicament utilisé dans le traitement des troubles cognitifs[6]. Imaginez tout ce qu’on pourrait faire en prévention, avec cette somme !
Il est intéressant de constater que les changements dégénératifs du cerveau peuvent s’opérer jusqu’à 25 ans avant l’apparition des premiers symptômes. Il est bien connu que des comportements malsains tels que le tabagisme, la sédentarité, l’isolement social, l’abus d’alcool et une alimentation non optimale sont des facteurs de risque modifiables de la démence. On sait aussi qu’il y a beaucoup d’associations entre la maladie d’Alzheimer et la santé cardiovasculaire, qui sont souvent la résultante de mauvaises habitudes de vie[7].
L’optimisation des habitudes de vie et de l’état nutritionnel de façon systématique chez des individus à risque pourrait très certainement ralentir, éventuellement même éliminer la probabilité d’apparition d’une démence d’Alzheimer, tout comme plusieurs autres maladies chroniques métaboliques bien connues (maladie cardiovasculaire, diabète, hypertension artérielle, etc.). Cela résulterait inévitablement en une nette diminution des coûts sur le système de santé.
Actuellement, il n’y a aucune structure de soins intégrée dans le système de la santé au Québec qui propose de ralentir, voire de renverser à différents degrés le déclin cognitif d’un individu dans le but de diminuer la charge sur le système de santé et surtout d’optimiser le bien-être de l’individu atteint. Pourtant, de multiples études démontrent l’effet positif d’une approche multimodale basée sur l’optimisation des habitudes de vie et de l’état nutritionnel sur l’état cognitif. On réfère à ce type d’approche comme faisant partie des approches d’optimisation et de rehaussement métabolique pour contrer la neurodégénérescence[8].
Quelques études phares, soit l’étude FINGER[9], l’étude PREDIVA[10], l’étude NUN[11], l’étude Hawaii Dementia Prevention trial[12], l’étude SINGER[13], l’étude multimodale sur le rehaussement métabolique pour contrer la neurodégénérescence[14] ainsi que les travaux du Dr Dale Bredesen aux États-Unis qui est à l’origine du programme ReCode®[15], prouvent que le soutien de l’individu dans l’adoption de saines habitudes de vie dans l’espoir de contrôler, voire de renverser ses facteurs de risque métabolique sont très bénéfiques dans la prévention de la démence. D’autres projets de recherche sont même en cours à travers le monde afin d’étudier concrètement l’implantation de programmes structurés ayant une approche multimodale visant l’amélioration des habitudes de vie afin de ralentir le déclin cognitif[16]. Le Dr Michael Nehls propose lui aussi une vision qu’il a nommée la « théorie unifiée de la maladie d’Alzheimer », où il encourage un recadrage de la littérature scientifique pour mettre en lumière plusieurs causes possibles au déclin cognitif, dont la plupart relèvent des habitudes de vie, afin d’apporter un changement de paradigme lorsque nous pensons à cette pathologie[17].
Certains chercheurs derrière ces quelques études phares ont identifié différents sous-types de déclin cognitif et ont élaboré un plan se concentrant sur sept facteurs modifiables, soit l’alimentation, l’activité physique, le sommeil, la gestion du stress, la stimulation cognitive, les fonctions intrinsèques de détoxification et d’homéostasie ainsi que la supplémentation ciblée. Plusieurs données scientifiques sont maintenant disponibles et témoignent du bénéfice d’aborder ces sphères de la santé dans une optique de prévention et d’amélioration du bien-être dans le déclin cognitif.
La force d’une approche multimodale (c’est-à-dire axée sur plusieurs interventions en même temps) et aussi personnalisée dans une perspective de rehaussement métabolique pour contrer la neurodégénérescence est d’être en mesure de structurer les interventions de façon personnalisée en se basant sur une importante collecte de données provenant de diverses sphères : métabolique, clinique, anthropométrique, volumétrique (IRM du cerveau, si accessible), provenant de l’anamnèse (l’histoire de votre maladie actuelle) et provenant de votre histoire de vie longitudinale (tous les éléments survenus dans votre vie passée ayant un impact sur la physiologie de la présente maladie). Il va de soi que ces éléments sont rarement consignés en détail dans le contexte de soins conventionnels actuel au Québec, mais ils sont pourtant essentiels à la compréhension de l’étiologie du déclin cognitif et à la prévention du déclin supplémentaire en considérant les processus physiologiques perturbés.
Contrairement à la philosophie de donner une molécule pour une pathologie spécifique en espérant contrôler sans succès tous les symptômes de la maladie, l’approche globale et fonctionnelle à visée préventive se veut une approche personnalisée permettant de travailler sur le terrain physiologique qui sous-tend la probabilité de développer des lésions pathologiques dans le but de les éliminer, de les ralentir et/ou de favoriser la régénération de certains tissus lésés.
Cette façon de voir les choses est assez récente et découle du recadrage de la littérature scientifique. En effet, de nombreuses études ont pointé des sous-groupes caractéristiques de la maladie. Un chercheur, le Dr Dale Bredesen[18], a catégorisé ces sous-types. Les voici :
La santé des aînés devrait être une priorité pour l’État, car on sait que la charge sur le système de santé est immense. Il est clair qu’une approche préventive bien structurée a le pouvoir de faire une différence significative autant chez l’individu, ses proches, que sur les ressources en santé qui s’avéreront moins consommées. Une ouverture d’esprit est nécessaire par rapport à de nouvelles façons de faire dans la prévention et le renversement de maladies chroniques telles que les maladies neurodégénératives. Un gain en autonomie, une réduction d’hospitalisations, une amélioration des maladies chroniques connues, une diminution en consommation de médicaments, une relation de dépendance moindre auprès des proches aidants, sont tous des éléments qui sont susceptibles d’être améliorés avec un soutien optimal des habitudes de vie favorisant la santé cérébrale. À quand les nombreuses cliniques intégratives dans la province qui permettront enfin ce genre de prise en charge ?
RÉFÉRENCES
[1] https://alzheimer.ca/sites/default/files/documents/Prevalence-et-couts-financiers-des-maladies-cognitives-au-Canada_Societe-Alzheimer-Canada.pdf page consultée le 26 juin 2022
[2] https://ilivewithdementia.ca/wp-content/uploads/2019/12/SYNOPSIS_ENQUETE-_SUR_LA_SENSIBILISATION.pdf page consultée le 26 juin 2022
[3] Bradford A, Kunik ME, Schulz P, Williams SP, Singh H. Missed and delayed diagnosis of dementia in primary care: prevalence and contributing factors. Alzheimer Dis Assoc Disord. 2009 Oct-Dec;23(4):306-14. doi: 10.1097/WAD.0b013e3181a6bebc. PMID: 19568149; PMCID: PMC2787842
[4] Knopman DS, Petersen RC. Mild cognitive impairment and mild dementia: a clinical perspective. Mayo Clin Proc. 2014 Oct;89(10):1452-9. doi: 10.1016/j.mayocp.2014.06.019. PMID: 25282431; PMCID: PMC4185370.
[5] https://www.lappui.org/Actualites/Fil-d-actualites/2017/Le-deuil-blanc consulté le 30 janvier 2022.
[6] https://rapportdimpact.alzheimer.ca/2018/?_ga=2.117319618.518430124.1656268536-1432788201.1656268536 page consultée le 26 juin 2022
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