Le névrome de Morton : comme un caillou dans sa chaussure

Publié le 30 janvier 2024
Écrit par Nicolas Blanchette, D.O., B. Sc. kinésiologie

Le névrome de Morton : comme un caillou dans sa chaussure

Vous ressentez une douleur comparable à une brûlure entre les orteils ? Une perte de sensation ou encore des picotements dans les orteils ? Vous avez peut-être l’impression d’avoir constamment un caillou indélogeable dans votre chaussure ? Vos symptômes sont-ils exacerbés par une longue période de marche, une surface dure au sol, la course, les sauts ou le port de souliers étroits ou à talons hauts ? Le fait de retirer votre chaussure et de masser votre pied vous aide-t-il à soulager la douleur ? Ce sont des caractéristiques souvent retrouvées dans le trouble musculosquelettique appelé « névrome de Morton ».

En plus des différents désagréments énumérés ci-dessus, un quart des individus ayant cette pathologie rapportent aussi ressentir de la douleur nocturne (Ruiz et coll., 2019). Chez certains cas, la douleur peut prendre un aspect persistant (chronique), s’incrustant pendant plusieurs mois ou même années, causant de nombreux désagréments.

 

Qu’est-ce que le névrome de Morton ?

Du nom du chirurgien orthopédique l’ayant étudié pour la première fois, ce trouble du pied est connu depuis aussi loin que 1876. Toutefois, contrairement à ce que son nom (névrome) laisse croire, le problème n’implique pas la présence d’une tumeur bénigne sur un nerf du pied. Il s’agirait plutôt d’une douleur neuropathique (douleur résultant d’une blessure à un nerf) de type compressif touchant un nerf interdigital (entre les orteils).

Il s’agirait de la deuxième neuropathie compressive la plus répandue dans le monde, tout juste après le célèbre syndrome du tunnel carpien (Latinovic et coll., 2006). Question de complexifier la chose un peu, selon la région du globe et la littérature, ce trouble peut avoir d’autres appellations : névrite interdigitale, métatarsalgie de Morton, syndrome d’enclavement de Morton, syndrome de compression du nerf interdigital, ou encore névrome intermétatarsien ! Rassurez-vous, il s’agit du même problème, et la prise en charge en est identique.

Le névrome de Morton semble toucher plus communément les femmes de 40 ans et plus. Des statistiques en provenance du Royaume-Uni mentionnent que 88 femmes (contre 50 hommes) sur 100 000 consulteraient en médecine pour ce trouble (Latinovic et coll., 2006).

 

Anatomie

Les nerfs sensitifs de notre corps sont responsables de véhiculer les différents messages à partir de nos membres pour les acheminer vers le système nerveux central, où les informations seront décodées. Le plus souvent, le nerf interdigital responsable des sensations désagréables dans le névrome de Morton se situe entre les troisième et quatrième têtes métatarsiennes. Les métatarses sont les os à la base des orteils, juste avant les phalanges, c’est-à-dire la partie non visible de vos orteils.

 

Pourquoi cet endroit en particulier est-il plus vulnérable ? Premièrement, cet espace est anatomiquement plus étroit que celui retrouvé entre les autres nerfs interdigitaux du pied. Deuxièmement, le nerf qui y est logé est également plus volumineux que les autres. Cette combinaison de facteurs anatomiques rend la région plus prédisposée aux blessures par compression.

 

Causes

Seulement 17 % des patients rapporteraient avoir vécu une blessure ou un traumatisme au pied avant l’apparition des symptômes. Les 83 % restants semblent développer le trouble de manière graduelle, sans événements déclencheurs discernables (Mahadeven et coll., 2015).

L’apparition de symptômes liés au névrome de Morton résulterait la majorité du temps de modifications progressives dans la biomécanique du pied. Les causes de ces altérations pourraient être multiples. Le port prolongé de chaussures gênant le mouvement normal du pied est souvent en cause. Mentionnons par exemple les souliers trop étroits, dans lesquels l’avant-pied se retrouve comprimé, ainsi que les talons hauts, qui déplacent le centre de gravité vers la partie antérieure des têtes métatarsiennes.

D’autres éléments à considérer qui peuvent jouer un rôle dans le développement et la persistance de la douleur liée à cette pathologie sont :

  • le surpoids et l’obésité;
  • la présence d’hallux valgus (communément appelés « oignons »), qui contribuent à accroître la compression dans les espaces entre les autres orteils;

  • un cousinage inadéquat du soulier à l’avant-pied;
  • passer trop de temps pieds nus sur une surface dure;
  • une progression trop rapide ou trop intense dans la sollicitation du pied par la course ou les sauts.

 

Identifier le névrome de Morton

Visuellement, aucun indice ne permet d’identifier la présence de ce trouble musculosquelettique, qui est diagnostiqué la majorité du temps après l’historique et l’examen manuel. En effet, à l’observation, le pied n’aura pas un aspect différent de celui d’un sujet sain. L’échographie ou la résonance magnétique permettent d’identifier la pathologie avec davantage de précision.

L’examen est aussi important afin d’éliminer d’autres possibilités de douleur ou de symptômes apparaissant au même endroit, tels une fracture de stress liée aux microtraumas répétés, un kyste ganglionnaire, l’arthrose ou une maladie inflammatoire comme la goutte. Mentionnons que le diabète peut également créer des pertes de sensation dans l’extrémité des orteils. Pour les problèmes sévères ou persistants, un examen médical est donc tout indiqué afin de préciser le diagnostic.

Selon une recherche, il existe des tests manuels permettant de déceler le névrome de Morton correctement dans 92 % des cas (Owens et coll., 2011). En premier lieu, il s’agit de palper, avec une prise en pince du pouce et de l’index, directement la zone entre les troisième et quatrième métatarses pour vérifier si cela reproduit les douleurs habituelles. En second lieu, on comprimera avec la main la partie du pied située juste au-dessus des orteils. Si cette manœuvre reproduit elle aussi les sensations désagréables rapportées par le patient, cela augmente les soupçons pour la présence d’un éventuel névrome de Morton.

 

 

Traitements

Le traitement des symptômes en lien avec le névrome de Morton peut être de deux types. En premier lieu, il vaut mieux utiliser les approches conservatrices pendant une période de plusieurs mois afin de voir s’il est possible d’obtenir une diminution de la douleur et une augmentation de la qualité de vie. Dans l’éventualité où cette première étape échoue et que le trouble demeure très invalidant pour la personne qui en souffre, une intervention chirurgicale orthopédique pourra être pratiquée. Les chirurgies présentent toujours des risques, donc il est recommandé d’essayer plusieurs autres stratégies avant de se tourner vers cette possibilité.

Que sont les approches conservatrices ? Elles peuvent être variées. Idéalement, le problème sera abordé sous plusieurs angles à la fois. Je vous présente quelques options, allant de la plus simple à la plus complexe. Pour une meilleure supervision, vous pouvez prendre rendez-vous dans votre région avec un spécialiste du pied (podiatre) ou un autre thérapeute habitué à ce genre de pathologie (physiothérapeute, thérapeute du sport, ostéopathe, etc.).

  • La modification des chaussures est probablement l’approche la plus simple à implanter. Principalement, il faut s’assurer que la largeur du soulier au niveau de l’avant-pied soit suffisante. Comme il s’agit d’un trouble compressif, le pied ne devrait pas se retrouver écrasé de chaque côté dans la chaussure et les orteils devraient pouvoir s’étaler pleinement à chaque appui au sol. Le port de chaussures étroites est un facteur prédisposant important dans cette pathologie;
  • L’utilisation d’une petite orthèse « espaceur d’orteils » durant la nuit pourrait également être envisagée;

  • Le port d’orthèses plantaires permet de répartir la pression différemment sur l’avant-pied pendant la journée;
  • L’utilisation de glace peut parfois réduire la sévérité des crises douloureuses;
  • La médication: différentes classes de médicaments peuvent agir sur la douleur impliquée dans cette pathologie ;
  • La thérapie manuelle (ostéopathie, kinésithérapie, etc.) peut parfois permettre de désensibiliser la région et faciliter la pratique des exercices thérapeutiques (Geri et coll., 2019);
  • Les exercices thérapeutiques permettent fréquemment de diminuer la douleur dans les troubles neuropathiques (Leitzelar et coll., 2021);
  • Les injections locales de cortisone par un médecin.

Il est important de demeurer conscient que le taux de succès de ces différentes approches est variable selon les individus. Cela vaut néanmoins la peine de les essayer.

L’approche chirurgicale (excision et décompression) produit des résultats jugés bons à excellents chez 70 à 80 % des patients (Nikolaos et coll., 2019). Il faut cependant considérer qu’une minorité de patients ne rapportent pas de bénéfices, voire une aggravation de leurs symptômes (Kasparek et coll., 2013).

 

En conclusion

En conclusion, le névrome de Morton est une neuropathie compressive du pied communément rencontrée dans la population, surtout les femmes de 40 ans et plus. Touchant le plus souvent l’espace entre les troisième et quatrième métatarses, elle engendre des symptômes désagréables comme une sensation de brûlure, des picotements ou l’impression d’avoir un caillou dans son soulier en permanence. Les symptômes augmentent avec la pression sur le site douloureux ou lorsque l’avant-pied se retrouve comprimé. Le trouble est objectivé avec l’historique, l’examen physique et, au besoin, des appareils d’imagerie. La prise en charge est multimodale et implique des modifications dans les chaussures. Finalement, il ne faut pas perdre de vue les habitudes de vie (sédentarité, sommeil, stress) et les attitudes psychologiques (anxiété, peur, déprime), qui peuvent influencer l’expérience de la douleur dans tous les troubles musculosquelettiques, y compris celui-ci.

 

 

RÉFÉRENCES :

Sethi, Faraz, Morton’s Neuroma, Physio Network, En ligne, (2023)

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