Le pari de l’agriculture urbaine

Publié le 7 août 2021
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott

Le pari de l’agriculture urbaine

Depuis les années 1970, le phénomène du retour à la terre se manifeste principalement en milieu urbain par l’éclosion de jardins communautaires. Depuis lors, l’agriculture urbaine prend une tout autre échelle et son ébullition n’a pas été affectée par la pandémie ; bien au contraire, elle s’inscrit dans un mouvement mondial dont certains pôles se trouvent notamment à Londres, à New York, à Toronto et à Paris. Chez nous, on en a même vu l’évidence via des espaces cultivés symboliques, situés devant le Grand Théâtre de Québec et l’Assemblée nationale.

 

Ce qui caractérise l’agriculture urbaine jusqu’à tout récemment se situe au niveau de l’exploitation d’une petite surface qui vient subvenir aux besoins d’une famille, voire d’un restaurant soucieux d’avoir un accès rapide à des fines herbes fraîches. On dit que le Québec dépend en grande partie du Mexique et de la Californie, et ce, dans une proportion de 70 %, pour son approvisionnement en fruits et légumes ; on doit aussi tenir compte du fait qu’au Canada, plus ou moins 58 % des aliments vendus, toutes provenances confondues, seront gaspillés avant de parvenir au consommateur.

 

Pour contrer cette tendance, l’IGA Duchemin de Saint-Laurent s’est engagé, depuis 2017, à une sous-traitance avec La ligne verte. Grâce à des techniques ancestrales, on a réussi à mettre en marché une trentaine de produits connus sous le nom de Frais du toit. En plus de permettre la réutilisation de l’eau de pluie, cette initiative enraye la rétention de chaleur de l’édifice, et il va sans dire que les coûts de transport sont réduits au plus strict minimum. Ce projet est piloté par des professionnels chevronnés et il s’agirait du plus vaste site du genre au Canada.

 

D’autre part, la mise en commun de différentes expertises en agriculture urbaine se manifeste notamment au cinquième étage du palais des congrès de Montréal où, par le passé, les récoltes qui étaient produites étaient consommées par les utilisateurs du lieu. Comme la pandémie a interdit les rassemblements, les quelque 2,5 tonnes de produits récoltés depuis mars 2020, ont été distribués à de nombreux organismes, selon Kevin Drouin Léger, dont certains interviennent directement auprès des réfugiés et des nouveaux arrivants.

 

La ferme urbaine du palais des congrès, dont les effectifs comprennent des individus en réinsertion sociale, innove aussi par son projet de vignobles, qui, à ce jour, semble être un succès. Par souci de la notion d’économie circulaire, le terreau sur lequel poussaient les vignes substitue le sable par du verre broyé, façon ingénieuse de le réutiliser à des fins agricoles. On rappelle qu’habituellement, le verre broyé recyclé est revalorisé à des fins non alimentaires, dans la fabrication de laine minérale, d’abrasifs et d’enrobés bitumineux.

 

C’est donc dire que règle générale, à la lumière de ces exemples, cette activité reste assez artisanale au Québec, bien qu’au niveau mondial, on avance le nombre de 15 % des produits comestibles ayant l’espace urbain comme point d’origine. Ce constat québécois risque de s’améliorer encore plus dans les prochaines années ; la Boîte Maraîchère, située à Laval, propose des manières de produire à plus grande échelle la culture de laitues poussant dans des containers, où la consommation d’eau et d’électricité est largement inférieure aux serres. Ces cultures sont supervisées par environ quatre employés, et la production est destinée aux supermarchés. Ainsi, des produits dont la traçabilité ne fait aucun doute peuvent entrer en compétition avec certaines importations. Selon Richard Giunta de la Boîte Maraîchère, le Québec et les Maritimes sont devenus des zones de dumping, comparativement à l’Ontario, où les consommateurs seraient prêts à payer davantage pour leur panier d’épicerie.

 

Une autre façon originale de contribuer à notre autonomie alimentaire a été mise de l’avant par la Coop Boomerang, qui a ciblé plus spécifiquement les pertes générées par la quarantaine de microbrasseries ayant pignon sur rue à Montréal. Elles produiraient 3 000 tonnes de résidus chaque année, essentiellement des résidus de brassage de céréales, dont seulement une partie est transformée en moulée et dont la presque totalité est destinée à un site d’enfouissement. La drêche, que la plupart des brasseurs sont disposés à donner, peut être récupérée et transformée en farine. Ainsi, la boulangerie Saint-Vincent (Montréal) souscrit à ce projet et utilise cette drêche dans la fabrication de certains de leurs pains.

 

On souligne que d’autres miches, celles-là faites en partie avec des insectes, sont désormais vendues chez nous ; le grillon, qui est généralement utilisé, sert aussi à la fabrication de barres protéinées et de burgers. L’an dernier, de tels produits, promus par une  entreprise montréalaise en démarrage, ont connu un franc succès au marché public d’Ahuntsic-Cartierville. L’Insectarium de Montréal a, d’autre part, tenté de populariser cette source de protéines, et il semble que petit à petit, nous nous joindrons probablement aux deux milliards de Terriens dont les insectes font partie du régime alimentaire.

 

Dans une perspective de faire en sorte que l’agriculture urbaine ait un plus grand impact, il est essentiel de miser davantage sur l’expertise des personnes concernées. À cet effet, le cégep de Victoriaville offre depuis quelques années une formation collégiale qui se veut être l’aboutissement de décennies d’implication dans le domaine de l’agriculture biologique. Dès le mois d’août 2021, un autre volet de l’Institut national d’agriculture urbaine aura pignon sur rue à Montréal. Pour ceux et celles qui ne se destinent pas à une carrière dans ce domaine, La Brouette de Trois-Rivières, offre à titre d’exemple des ateliers, un guide de démarrage du potager, de même que des capsules éducatives via sa page Facebook.

 

Il est encore trop tôt pour spéculer sur l’avenir de l’agriculture urbaine au Québec, mais chose certaine, elle contribue aux grands enjeux de l’heure, à savoir la nécessité de réaffirmer notre autonomie alimentaire, tout en favorisant la traçabilité, en plus d’enrayer le gaspillage, de stimuler l’économie circulaire et de lutter contre les changements climatiques.