Le poids du monde sur ses épaules : mieux comprendre les cervicalgies

Publié le 8 juin 2022
Écrit par Nicolas Blanchette, D.O, B. Sc. kinésiologie

Le poids du monde sur ses épaules : mieux comprendre les cervicalgies

Les maux de cou, ou « cervicalgies », représentent l’une des causes les plus fréquentes de consultation dans le domaine de la réadaptation physique. Sources de désagréments très répandus, les épisodes d’inconforts de la région cervicale toucheraient mondialement environ 27 personnes par tranche de 1 000 habitants. Les cervicalgies entraînent aussi un coût économique important.

En 2016, les dépenses de soins de santé en lien avec des maux de dos ou de cou ont totalisé plus de 134,5 milliards de dollars aux États-Unis, et 25,5 millions d’Américains se sont absentés du travail en 2012 pour des cervicalgies, avec une période moyenne d’absence d’environ 11,4 jours. Les études épidémiologiques mondiales montrent que davantage de femmes que d’hommes rapportent vivre des épisodes de maux de cou annuellement. Les femmes seraient également plus longtemps incommodées par ce problème que les hommes.

Par ailleurs, la tranche d’âge la plus touchée, pour les 2 sexes, serait les 45 à 55 ans. Sauf ces facteurs non modifiables, d’autres éléments entrent en ligne de compte dans le fait de développer des cervicalgies persistantes. Parmi ceux-ci, on retrouve des facteurs physiques, des facteurs psychosociaux et des facteurs liés aux habitudes de vie.

La prise en charge des maux de cou, de manière similaire à celle des autres troubles musculosquelettiques, dépendra de la nature du problème : aiguë ou persistante.

 

Cervicalgies aiguës

Elles peuvent être de cause traumatique (après une chute ou un accident de voiture, par exemple) ou encore d’apparition spontanée. Lors d’un trauma sévère, l’évaluation médicale est importante, afin de s’assurer de l’absence de blessures graves, comme une fracture, ou encore de dépister une éventuelle commotion cérébrale.

Lorsque l’apparition est davantage spontanée (pensez à un torticolis), il s’agit heureusement rarement d’un problème grave. Une réaction inflammatoire locale est quelque chose de fréquent et fait partie du processus de régénération normal de l’organisme. Si, toutefois, vos symptômes sont très aigus ou s’accompagnent d’autres manifestations, n’hésitez pas à en parler à votre médecin. Un torticolis, c’est un peu comme « se barrer le dos », mais dans la région cervicale !

C’est incommodant quelques jours, mais il persiste rarement plus de deux semaines. La vaste majorité des cervicalgies aiguës pourront être progressivement guéries par une période de repos plus ou moins courte, suivie d’une remise en mouvement progressive. Différentes approches de gestion de la douleur pourront être utilisées, en attendant que l’organisme finalise ses « rénovations » : support pharmacologique, application du froid ou du chaud, massages et mobilisations douces, exercices variés, acupuncture, etc. La recette peut différer selon chaque personne. Quoi qu’il en soit, aucune de ces approches ne devrait augmenter la sensibilité ressentie.

 

Cervicalgies persistantes

Une cervicalgie persistante est définie par « un mal de cou qui dure au-delà d’une période de trois mois ». Lorsque c’est le cas, la guérison physiologique des tissus lésés peut même être terminée, tandis que la douleur continue de se manifester. Certains facteurs ont été étudiés, afin de mieux comprendre comment un mal de cou aigu peut devenir persistant.

Malheureusement, la littérature dont on dispose en 2022 montre qu’il n’existe pas de traitement one size fits all pour les maux de cou persistants (et on pourrait certainement avancer que c’est la même chose pour la plupart des douleurs persistantes !).

Toutefois, plusieurs approches pharmacologiques et non pharmacologiques ont été étudiées en profondeur, afin d’aider les gens qui ont mal au cou. Les meilleurs résultats sont souvent atteints lorsque des approches multimodales, c’est-à-dire qui abordent le problème sur plusieurs facettes, sont entreprises.

 

Facteurs physiques

Différentes blessures musculosquelettiques d’apparitions ponctuelle ou graduelle et des pathologies génétiques peuvent influencer le fait de présenter ou pas des épisodes de cervicalgies de nature persistante. On pense, par exemple, aux névralgies cervico-brachiales, aux poussées inflammatoires d’arthrose cervicale ou encore aux maladies rhumatismales.

Contrairement à la croyance populaire, bien que l’on puisse ressentir que son cou est raide lorsque l’on a mal, il n’y a pas de lien entre le degré de raideur physiologique des muscles du cou et le fait de présenter de la douleur cervicale ou pas. De façon générale, l’exercice physique régulier, par ses effets sur le système nerveux et sur la réduction de l’inflammation, aide à diminuer la durée et la sévérité des épisodes douloureux de cervicalgies persistantes.

De façon assez intéressante, une revue de la littérature (Kim et coll, 2018) s’est penchée sur les différents facteurs de risques associés au développement des cervicalgies persistantes. Il a été démontré que les facteurs psychosociaux pesaient davantage dans la balance que les facteurs physiques quant à l’incidence de vivre des épisodes de cervicalgies persistantes !

 

Facteurs psychosociaux

Certaines expressions populaires communiquent si bien un message, comme « porter le poids du monde sur ses épaules ». En anglais, on dit qu’une situation peut être « a pain in the neck ». Le lien entre cervicalgies persistantes et anxiété est appuyé scientifiquement.

En effet, les recherches montrent que les gens qui souffrent de troubles anxieux ou de dépression présentent un risque deux fois plus élevé de développer des cervicalgies persistantes que les gens qui ne présentent pas ces pathologies. Les attitudes, les croyances et les perceptions peuvent influencer la douleur, tout comme la détresse émotionnelle, la qualité des relations sociales et les stratégies de l’individu pour faire face au stress et à la douleur.

Par exemple, vivre du stress de manière soutenue était associé, dans une étude à grande échelle chez les adolescents, à une prévalence plus élevée d’épisodes de maux de cou. Le stress, en trop grande quantité et lorsque l’on a l’impression qu’on ne peut le maîtriser, peut contribuer à altérer le traitement de l’information lié à la douleur à la moelle épinière, au tronc cérébral ou au cerveau lui-même. Le résultant peut être une hyperalgésie périphérique : c’est-à-dire que l’on ressent une sensibilité accrue à la douleur. Le seuil de tolérance est réglé à la baisse par notre système nerveux.

La dépression peut produire un phénomène semblable. Une revue de la littérature parue en 2018 (Liu et coll.) a permis de montrer un lien fort entre la dépression et la présence de maux de cou. On retrouve le même phénomène pour les lombalgies (maux de dos).

 

Facteurs liés aux habitudes de vie

Sommeil : dans les dernières années, des chercheurs ont pu mettre en lumière le lien important entre la qualité et la quantité de sommeil et la présence de cervicalgies persistantes. Une intervention visant à améliorer les habitudes de sommeil présente donc un potentiel intéressant pour aider les gens qui souffrent de ce type de douleur.

Qui plus est, une association entre une faible qualité de sommeil et le risque de développer des symptômes dépressifs a aussi été démontrée, renforçant par le fait même l’importance de cette facette dans la gestion des cervicalgies persistantes.

Soutien social : la solitude au début de l’âge adulte semble liée avec le fait de développer des maux de cou de nature persistante. On a aussi trouvé des liens entre les cervicalgies et le fait d’avoir peu de soutien social dans la vie et au travail. Peut-être que la douleur représente une façon pour l’organisme de chercher ce soutien social ?

En effet, une autre étude a permis de montrer que les épisodes de cervicalgies duraient moins longtemps lorsque ceux qui en souffraient partageaient leurs inquiétudes avec leurs proches tout en se sentant écoutés et compris.

Travail : les emplois dans lesquels on retrouve peu de variété de mouvements sont liés à une incidence plus élevée de développer des maux de cou ou de dos. On retrouve la présence de cervicalgies plus élevée chez ceux qui travaillent pendant de longues périodes sur un écran, par exemple.

Un lien a aussi été établi entre la fatigue visuelle et les épisodes de maux de cou. D’autres facteurs prédisposant aux cervicalgies qui sont liés au travail incluent un faible sentiment de contrôle sur ses activités, peu de gratification et de valorisation, peu de soutien de ses collègues ou de ses supérieurs et une charge de travail excessive.

 

Conclusion

Les cervicalgies représentent une cause de douleur et d’invalidité commune à travers le monde. Les cervicalgies aiguës répondent bien à une courte période de repos et de contrôle de la douleur, suivie d’une reprise des activités, tandis que les cervicalgies persistantes sont influencées par un ensemble de facteurs physiques, mais surtout psychosociaux.

C’est ainsi dire que chaque cas (tout comme chaque patient) sera fondamentalement différent. Pour aider la personne incommodée par des cervicalgies persistantes, il est nécessaire d’aborder le problème sur plusieurs fronts et de chercher à modifier graduellement, en équipe, les éléments sur lesquels il est possible d’agir