Publié le 22 janvier 2018
Écrit par Dre Valérie Conway
En ce début d’année, période propice à la prise de résolutions, les changements alimentaires trônent habituellement au sommet de la liste des priorités pour plusieurs d’entre nous.
Par conséquent, de nombreux consommateurs seront prochainement à la recherche d’informations pratiques entourant la saine alimentation dans l’espoir de faire des choix plus sains pour la nouvelle année. Malheureusement, si la facilité d’accès à l’information dont nous jouissons à l’ère du numérique bénéficie aux plus critiques, je constate jour après jour comment les différents médias entretiennent des croyances et des mythes alimentaires et mènent souvent à la désinformation au détriment du consommateur. C’est pourquoi j’estime essentiel, même pour les plus informés d’entre nous, d’aiguiser continuellement notre sens critique en regard de la montagne de données, d’avis et de nouvelles auxquels nous sommes exposés au quotidien !
Il est déjà difficile d’entamer des changements vers une alimentation plus saine, et la tâche se complique davantage lorsque l’on est bombardé d’éléments contradictoires et changeants. Simple évolution des données scientifiques ou encore croyances issues d’une mode, d’une conviction personnelle ou de l’idéologie d’un petit groupe d’individus ? Pour couronner le tout, le marketing entourant l’alimentation participe à sa façon au casse-tête auquel font face les consommateurs en présentant continuellement de nouveaux produits à valeur ajoutée, possédant des certifications multiples ou encore une diversité de mentions telles que :« moins transformé », « plus naturel », « réduit en sodium», « sans nitrites », « issu d’un élevage sans cruauté », « animaux en liberté », « sans sucre ajouté », « sans gluten », « sans colorant », etc.
Comment savoir ce qui est bon pour nous dans un contexte de surinformation et de désinformation ?
Je souhaite, grâce à une suite de deux chroniques, exposer l’importance de développer un jugement critique en vous proposant un exercice d’analyse pour l’une des interrogations fréquemment soulevées par ma clientèle en suivi privé. Est-ce que le poisson est bon pour la santé ou est-il en fait dangereux en raison de sa contamination au mercure ? Pesons ensemble les pour (sujet de la présente chronique) et les contre (sujet de la prochaine chronique) d’une manière structurée en utilisant des données probantes.
Hautement nutritifs, les produits marins !
Le poisson, les crustacés et les mollusques sont reconnus pour leur haute teneur en nutriments1. Par exemple, ils représentent une excellente source de protéines hautement digestibles et complètes, riches en acides aminés essentiels. Lorsque l’on compare de façon globale les poissons aux viandes terrestres, on constate qu’ils ont la particularité d’être majoritairement constitués de protéines musculaires et d’être pauvres en protéines issues du tissu conjonctif (3 à 10 % seulement). Par opposition, la chair des mammifères est constituée à 17% de tissus conjonctifs composés de protéines beaucoup moins digestes et donc ayant une valeur biologique moindre2. Autre différence notoire, les lipides des animaux terrestres sont essentiellement constitués d’acides gras saturés, alors que les produits de la mer sont pour leur part caractérisés par une forte teneur en acides gras polyinsaturés. Il est d’ailleurs d’usage de classifier les différents poissons du commerce selon leur richesse en lipides, qui varie considérablement entre les espèces2 (Tableau 1). Outre les variations entre les espèces quant à la teneur en lipides, sachez que la qualité des acides gras retrouvés dans la chair des poissons varie elle aussi en fonction de la température de l’eau, de l’âge et du sexe des individus. Sans contredit, les nutriments les plus précieux des organismes marins sont leurs acides gras polyinsaturés à longues chaînes de type oméga-3 (l’EPA et le DHA), dont la concentration varie de 0,2 % à 3 % selon les espèces.
De plus, contrairement à celle des animaux terrestres, la chair des poissons (toutes variétés confondues) est faible en cholestérol, dont la teneur est de 35mg/ 100 g comparativement à une moyenne de 75mg/100gen moyenne pour les viandes. La teneur en cholestérol est toutefois particulièrement élevée dans la plupart des crevettes (100 à 150 mg / 100 g) ainsi que dans les oeufs de poisson (500 mg / 100 g), mais encore une fois, une teneur inférieure à celle retrouvée dans les oeufs de poule, qui est estimée à plus de 700 mg / 100 g, selon les bases de données du Fichier canadien sur les éléments nutritifs.
Finalement, le poisson est riche en vitamines du complexe B, spécialement en vitamineB12 (1 à 9 mg/100 g), mais aussi en vitamine D, B6 et B3. À noter que les vitamines liposolubles (A, D, E et K), c’est-à-dire solubles dans les graisses, sont plus concentrées dans les espèces de poissons à chair grasse2. Ils sont aussi une source importante de plusieurs minéraux et oligoéléments importants, tels que le calcium (10 à 100 mg / 100 g), le magnésium (10 à 170 mg / 100 g), le phosphore (200 à300mg/100g), le fluor (300 à 400mg/100g), l’iode (10 à300mg/100g), le sélénium (35 à 45mg/ 100 g), le fer (0,3 à 2,8 mg / 100 g), le zinc (0,3 à 1,3 mg / 100 g) et le cuivre (0,1 à 0,2 mg / 100 g). Les poissons sont pauvres en sodium (20 à 140 mg / 100 g) tout en étant riches en potassium2 (200 à400mg/ 100 g).
Les bienfaits de la consommation régulière de produits de la mer
Les bienfaits de la consommation régulière de poisson et fruits de mer ne font plus aucun doute, si l’on se fie à la panoplie d’études scientifiques sérieuses s’étant penchées sur le sujet dans les 30 dernières années. Une consommation hebdomadaire modérée à élevée en poissons est de toute évidence associée à une prévalence réduite de diverses pathologies chroniques, dont les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, l’obésité, ainsi que certaines formes de cancers, principalement en raison de leur contenu en acides gras polyinsaturés oméga-32. Ceux-ci contribueraient aussi à réduire certains marqueurs sanguins d’inflammation ainsi que les dommages vasculaires tout en améliorant la pression artérielle et le profil des lipides sanguins3. Ces évidences expliquent en grande partie les bienfaits cardiovasculaires et métaboliques associés à la consommation régulière de produits de la mer. Une revue de littérature publiée en 2010 conclut, devant l’ensemble de preuves disponibles, que la consommation régulière de poissons est un facteur de protection contre le risque de mortalité, toutes causes confondues4.
Si la grande majorité des études concernent spécifiquement les acides gras polyinsaturés oméga-3, il semble maintenant évident que plusieurs autres micronutriments (sélénium, vitamine B12 et vitamine D) participent aux bien faits généraux observés suivant la consommation régulière de poisson. Notamment, le sélénium, un minéral important pour plusieurs fonctions de l’organisme, représente un puissant antioxydant et un anti-inflammatoire. La consommation d’une diète composée de 300 à 450 g de morue (faible en oméga-3) ou de 300 à 450 g de saumon (riche en oméga-3) a permis d’accroître la capacité antioxydante du plasma sanguin chez les participants5. De façon intéressante, c’est la consommation de morue qui s’est avérée la plus efficace à moduler positivement le statut antioxydant, soit le poisson le plus riche en sélénium. Similairement, la consommation de deux portions par semaine de saumon chez de nouvelles mères et leur bébé a permis d’améliorer de façon significative le taux de sélénium des sujets ainsi que l’activité d’une enzyme clé de la défense du corps contre les radicaux libres6.
Le poisson : une source inévitable de mercure !
Le mercure est un métal lourd toxique émis naturellement par l’activité volcanique, mais aussi par l’action anthropique (action humaine) par la combustion de charbon, l’exploitation minière, l’incinération de déchets et diverses autres activités industrielles. Même si plusieurs mesures internationales, concertations et plans d’action en vue de réduire les émissions de mercure ont permis de réduire drastiquement les émissions de mercure dans l’environnement depuis les années 2007, les données du gouvernement canadien indiquent que 95% des 200 000 tonnes de mercure rejetées dans l’environnement depuis 1890 se trouvent encore dans les dépôts terrestres et océaniques. En effet, le problème avec le mercure réside dans le fait que cet élément ne se décompose pas dans le temps et peut dès lors voyager sur de longues distances dans l’atmosphère, sous sa forme élémentaire valeureuse, et cheminer jusqu’aux océans par les précipitations. Lorsque déposé dans les milieux aquatiques ou terrestres, le mercure non organique est transformé par les microorganismes sous sa forme organique, le méthylmercure. Sous cette forme très toxique, le mercure se concentre de plus en plus dans les organismes vivants le long de la chaîne alimentaire par le phénomène de bioaccumulation.
L’intoxication au mercure est parfois appelée « maladie de Minamata », à la suite de la contamination au mercure de plus de 2200 victimes dans les années 1960 dans le petit port japonais de la côte ouest de l’île de Kyūshūsuivant l’ingestion de poissons contaminés par des déversements chimiques industriels dans la baie de Minamata8. Les effets de la contamination aiguë au mercure, tels qu’observés chez les victimes de Minamata, incluent la paresthésie, l’ataxie, les troubles sensitifs et des troubles de développement cognitif et neuromusculaire chez le foetus. La haute toxicité du méthylmercure semble résulter de sa capacité à se fixer à certains groupements chimiques spécifiques, les thiols. Ces groupements sont importants quant au maintien de la structure de nos protéines et donc au maintien de leur fonction au sein de l’organisme. Sachez qu’une enzyme ou un récepteur ayant perdu sa structure ne peut plus remplir ses fonctions !
Quoi en penser ?
Il est vrai que certaines espèces de poisson sont plus à risque pour la santé que d’autres, car toutes les espèces ne contiennent pas les mêmes quantités de mercure et ne posent donc pas les mêmes risques potentiels sur la santé. Voici une nuance essentielle qui peut s’appliquer à toute remise en question de vos croyances alimentaires : rien n’est que blanc ou noir. C’est donc ces zones grises qui seront mises dans la balance pour évaluer les pour et les contre des mythes alimentaires avant d’entreprendre des modifications drastiques de son alimentation. C’est d’ailleurs pour cette raison que Santé Canada a émis des limites de consommation bien précises uniquement pour certaines espèces de poisson à plus haut risque.
Dans le prochain numéro de Vitalité Québec, nous poursuivrons cette analyse et tenterons de confronter les données probantes confirmant les bien faits de la consommation de poisson à celles révélant les effets délétères lui étant associés. Aux fins de cette analyse pas à pas, vous serez capable de vous faire une opinion éclairée sur le sujet et pourrez prendre des actions en conséquence.
Bon début de réflexion !
Références
Les références seront fournies avec la 2e partie