Le sommeil

Publié le 15 avril 2018
Écrit par Daniel-J. Crisafi, nd.a., m.h., ph. d.

Le sommeil
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Question :

J’ai de la difficulté à dormir. J’ai essayé différentes approches, mais je ne semble pas être capable de bien dormir, quoi que je fasse. Avez-vous quelques idées à m’offrir là-dessus ?

 

La célèbre comptine française Frère Jacques pose cette pertinente question : « Frère Jacques, dormez-vous ? » C’est là une question à laquelle plus de 50 % des Québécoises et des Québécois peuvent répondre soit par un non ferme, soit par un « peut-être ». En effet, selon de plus en plus de données sérieuses, plus de la moitié des Québécois ne dorment pas bien, car ils sont insomniaques. Une enquête pour la populaire émission J.E., effectuée par la firme de sondage Léger, a révélé que « 78 % des Québécois sondés souffrent de troubles de sommeil… ». Votre question est donc tout à fait pertinente.

Ce problème de sommeil n’est évidemment pas nouveau. Des chercheurs se penchent sur le phénomène de l’insomnie depuis des centaines, voire des milliers d’années. De mon côté, j’ai pu étudier ce phénomène chez mes patients depuis une trentaine d’années et en retirer quelques conclusions intéressantes. J’ai d’ailleurs écrit un chapitre intitulé « Waking Up Younger » (Se réveiller plus jeune) pour le livre Bio-Age. L’éditeur m’y décrit comme étant « un spécialiste canadien du sommeil et du corps humain ». C’est un peu poussé, mais je le mentionne pour y souligner mon intérêt de longue date.

Plusieurs plantes ont démontré d’excellents effets sur le sommeil. Parmi celles-ci, notons la passiflore, l’avoine fleurie, la scutellaire et la valériane. Certaines substances nutraceutiques, particulièrement des acides aminés, leurs précurseurs et leurs dérivés, peuvent aussi améliorer la qualité du sommeil. Pensons ici au tryptophane, au 5-HTP (5-hydroxy tryptophane) et au GABA (acide gabaaminobutyrique). Les vitamines du complexe B aident aussi à la réduction du stress et à la production de neurotransmetteurs qui améliorent le sommeil. Tous sont bien connus et bien documentés. Mais dans cet article, j’aimerais souligner trois choses qui peuvent avoir un rôle important à jouer par rapport à l’insomnie, et qui sont parfois négligées. J’y aborderai le rôle du magnésium, de l’exercice et de la lumière.

 

MAGNÉSIUM

Le magnésium est l’un des nutriments les plus importants lorsqu’il est question de stress, et ce, pour plusieurs raisons. Dans un premier temps, celui-ci aide à réduire les effets du stress sur le système nerveux. La psychiatre Emily Deans souligne les effets calmants de ce minéral dans un article publié dans la populaire revue Psychology Today. Une étude a même démontré que le magnésium était aussi efficace que certains antidépresseurs pour traiter la dépression.

Mais ce qui nous intéresse surtout ici, ce sont ses effets sur le sommeil. En effet, le magnésium est nécessaire à la fois pour la synthèse de la sérotonine aussi bien que pour celle de la mélatonine, les deux neurotransmetteurs les plus importants lorsqu’il est question d’induction et de maintien du sommeil. Le magnésium est requis, conjointement avec la pyridoxine, pour la synthèse de l’enzyme nécessaire à la production de la sérotonine, le tryptophane hydroxylase (TPH). Des études en laboratoire ont aussi démontré que la carence en magnésium peut réduire la production de mélatonine chez les animaux. Le magnésium s’est d’ailleurs démontré essentiel à l’équilibre du rythme circadien par la production de mélatonine, et possiblement indépendamment de celle-ci.

Une des causes de l’insomnie peut donc être une carence en magnésium. Malheureusement, les analyses sanguines ne sont pas fiables pour mesurer les taux de magnésium dans le corps. En effet, le taux de magnésium dans le sang peut être normal même en présence d’une carence dans les réserves du corps. Les seules façons fiables d’évaluer le besoin en magnésium sont donc les suivantes : éliminer ou réduire du régime les aliments ou substances qui nuisent à l’absorption du magnésium ou qui en augmentent la perte par le biais des émonctoires ; augmenter la consommation d’aliments qui contiennent du magnésium ; et prendre des suppléments de magnésium.

 

ÉLIMINATION

Plusieurs substances alimentaires peuvent réduire l’absorption de magnésium ou augmenter la perte par le corps. Le café, les boissons gazeuses et l’alcool peuvent tous accroître la perte de magnésium. Au pire, évitez de les consommer le soir, au mieux, réduisez votre consommation quotidienne de café et d’alcool. En ce qui concerne les boissons gazeuses, elles devraient être évitées autant que possible. Malheureusement, plusieurs médicaments peuvent aussi augmenter la perte de magnésium, dont les diurétiques et les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). J’aimerais simplement noter ici que les IPP (Dexilant, Nexium et compagnie) sont ceux qui, pris à long terme, causent potentiellement la plus grande carence en ce minéral. Donc, lorsque possible, réduisez votre consommation d’aliments et de substances qui peuvent accroître le besoin en magnésium. Discutez avec votre médecin de la possibilité de réduire ou d’arrêter les IPP. Finalement, les personnes ayant des désordres inflammatoires du côlon n’absorbent pas leur magnésium de façon adéquate. Jusqu’à 88 % des personnes ayant des conditions inflammatoires du côlon n’absorbent pas suffisamment de magnésium, ce qui est aussi vrai pour les personnes cœliaques.

 

AUGMENTATION

Il est important de non seulement réduire les aliments et substances qui « volent » du magnésium, mais aussi d’en assurer un apport suffisant. Malheureusement, l’alimentation à elle seule n’est probablement pas suffisante dans les cas d’insomnie. En effet, les aliments que nous consommons ont subi un important déclin de leur taux de magnésium. Des chercheurs dans le domaine agroalimentaire soulignent depuis quelques années une baisse importante des taux de magnésium dans différentes cultures agricoles. Déjà, en 1991, McCance et Widdowson avaient démontré une chute importante de magnésium dans les aliments de 1940 à 1991. À titre d’exemple, ils reportaient la baisse de 75 % des taux de magnésium dans les carottes. Durant la même période, Mayer a démontré des baisses dans le chou de près de 17 mg (par cent grammes) à 6 mg et le persil est passé de plus de 52 mg à 23 mg.

Cela dit, la forme et le dosage du magnésium sont aussi importants. Privilégiez des suppléments de magnésium sous forme de citrate, de bisglycinate ou de glycinate de magnésium, car ces formes s’absorbent le plus efficacement. Assurez-vous aussi de consommer suffisamment de ce minéral. L’idéal serait d’en prendre de 100 à 200 milligrammes le matin et de 150 à 300 milligrammes en soirée ou au coucher. Attention, l’excès de magnésium a un effet laxatif. Si la prise de magnésium est excessive, vous aurez des selles molles. Ajustez alors le dosage à la baisse. Deuxième mise en garde, si vous avez une condition causant des diarrhées chroniques, prenez de petites quantités de magnésium, 50 à 100 mg à la fois, de trois à six fois durant la journée, plutôt que de plus fortes doses deux fois par jour.

 

LUMIÈRE

Nous sommes tous conscients des effets de la lumière sur le bien-être psychique. Des études ont déjà souligné les effets de la baisse de lumière naturelle sur ce que l’on décrit comme étant le trouble affectif saisonnier. L’Institut universitaire en santé mentale de Montréal mentionne sur son site Web que « le manque de soleil et de lumière… occasionne une diminution de la production de la sérotonine… ». La lumière a un nombre important d’effets sur notre biochimie ainsi que sur notre physiologie, des effets qui peuvent être négatifs aussi bien que positifs. Dans le cadre de cet article, j’aimerais me concentrer sur le phénomène de la surexcitation causé par un excès de lumière.

Dans la majorité de nos maisons, il fait rarement « noir comme chez le loup ». En effet, notre société baigne dans la lumière. Même lorsque les lumières sont éteintes, la majorité de nos chambres à coucher peuvent laisser entrer de la lumière. Nous pouvons aussi avoir quelques appareils qui continuent d’émettre de la lumière même lorsque nous dormons. Or, la présence de lumière peut être un facteur qui nuit à la qualité du sommeil. Tout cela est relié à trois paramètres importants, notre rythme circadien, notre photosensibilité et le type de lumière à laquelle nous sommes exposés.

Le rythme circadien est le rythme éveil-sommeil qui assure le maintien de notre vie diurne, c’est-à-dire notre capacité d’êtres actifs le jour et de dormir la nuit. Lorsque ce rythme est perturbé, la qualité du sommeil en est affectée. Malheureusement, ce rythme doit-être réinitialisé toutes les 24 heures. Or, plusieurs facteurs jouent un rôle dans cette réinitialisation, dont les taux de magnésium dans le corps, mais l’un des plus importants étant l’alternance de périodes de lumière et de noirceur.

 

LA PEAU ET LE SOMMEIL

Commençons par un phénomène bien établi. Notre corps est « programmé » pour se réveiller avec la lumière et se coucher avec la noirceur.

Et ce n’est pas qu’une adaptation aux convenances sociales, car nous sommes physiologiquement programmés pour dormir lorsqu’il fait noir. Nous savons qu’en réaction à la vue de lumière bleue, le cerveau s’efforce de maintenir un état d’éveil. Nous y reviendrons d’ailleurs lorsqu’il sera question de la lumière émise par les divers appareils électroniques. Mais ce que peu de gens savent, c’est que nous avons sur la peau une protéine photosensible. En effet, la peau des êtres humains, comme celle des autres mammifères diurnes, contient une protéine (OPN5) qui réagit à la présence de la lumière. Cette protéine semble avoir plusieurs rôles, dont celui de nous protéger contre les effets des rayons UV sur la peau. Un autre rôle qui motive de plus en plus de recherches est celui du maintien de l’éveil. En effet, ces protéines cutanées réagissent à l’absence ou à la présence de lumière, en modifiant les taux de mélatonine et de sérotonine. Les effets sur la qualité du sommeil sont révélateurs. En effet, même lorsque nos yeux sont fermés ou recouverts, des protéines sur la peau indiquent au cerveau le niveau de lumière ou de noirceur. Le cerveau répond alors en modifiant les taux de mélatonine et de sérotonine.

 

VOTRE PLAN D’ACTION

MAGNÉSIUM

Assurez-vous de consommer quotidiennement des légumes verts, une excellente source de magnésium, et réduisez ou éliminez votre consommation de café et d’alcool.

Si vous prenez des diurétiques ou des IPP, faites part à votre médecin ou à votre pharmacien de vos réserves par rapport à leur effet.

Prenez un supplément de magnésium quotidiennement afin de vous assurer d’en avoir un apport suffisant.

 

LUMIÈRE

Assurez-vous que l’endroit où vous dormez soit aussi sombre que possible. Pensez à utiliser des rideaux très opaques et éteignez toutes les sources de lumière.

Brûlez votre ordi, votre tablette et votre téléphone intelligent… je plaisante ! Sérieusement, faites un effort pour ne pas utiliser d’appareils électroniques de ce genre au moins une à deux heures avant de vous coucher.

 

EXERCICE

Si vous ne le faites pas déjà, essayez d’adopter un programme d’exercices de résistance afin d’améliorer votre musculature. Un programme simple de 30 minutes, trois fois par semaine, suffit pour les débutants. Il va de soi qu’il faut adopter un programme adapté à vos compétences physiques actuelles, à votre âge, à votre santé et à votre budget.

 

LUMINOSITÉ ARTIFICIELLE

Imaginez vos arrière-grands-parents et leur relation avec la lumière. Dans un premier temps, ils étaient généralement peu actifs durant la soirée ou la nuit, faute de lumière suffisante. On se couchait avec le soleil et on se levait avec celui-ci. De plus, le changement de luminosité était progressif, donnant à l’organisme le temps de s’adapter. De nos jours, nous changeons de façon importante le niveau de luminosité, et ce, presque instantanément. En effet, il est possible de passer de la noirceur à une luminosité intense simplement en basculant un commutateur. Mais ce qui est le plus inusité, c’est l’utilisation de lumières intenses en soirée. Je m’explique : la lumière bleue est associée à l’éveil, à l’activation. Des spécialistes du sommeil de l’Université Harvard ont pu démontrer que l’utilisation d’appareils électroniques émettant une lumière bleue avait un impact négatif sur le sommeil. Selon ces chercheurs, l’utilisation de ce type d’appareils réduit la production de mélatonine et perturbe le rythme circadien, même s’ils ne sont utilisés qu’une heure avant le coucher. Ils ont aussi découvert que les individus étaient  beaucoup moins alertes le lendemain matin. Or, selon certaines statistiques, 90 % des Nord-Américains utilisent un appareil électronique au moins une heure avant de se coucher, quelques fois par semaine.

Peut-on être surpris par l’accroissement des problèmes de sommeil lorsqu’un nombre croissant de personnes utilisent des appareils électroniques émettant de la lumière bleue en soirée ? En effet, l’utilisation accrue d’ordinateurs portables, de lecteurs électroniques (e-readers), de tablettes et de téléphones intelligents pourrait être un facteur important dans l’augmentation des cas d’insomnie dont nous sommes témoins aujourd’hui.

 

LES MUSCLES

Le dernier point que j’aimerais souligner ici est l’effet insoupçonné des muscles sur le sommeil. En effet, des chercheurs du Southwestern Medical Center de l’université du Texas ont découvert qu’une protéine présente dans les muscles, la BMAL1, aide à réguler le sommeil. Quoique ces études soient à leur stade initial, il est permis de croire que les exercices de résistance qui améliorent la masse musculaire peuvent probablement avoir un effet positif sur le sommeil. Inversement, le manque de masse musculaire chez les personnes sédentaires pourrait être un facteur contribuant aux problèmes de sommeil.

 

CONCLUSION

Il existe plusieurs outils naturels, notamment un nombre impressionnant de plantes et de nutraceutiques pour aider à améliorer le sommeil. Mais malgré leur utilité à court ou à moyen terme, il serait préférable de travailler sur les causes de l’insomnie plutôt que de simplement traiter le problème de façon systématique. Dans cet article, je vous ai suggéré trois facteurs ayant un effet sur la qualité du sommeil, lesquels peuvent être modifiés facilement : l’apport en magnésium, l’excès de lumière le soir et la nuit et le manque d’exercices. Si vous souffrez d’insomnie, ce sont là des facteurs à considérer. Mon souhait est que dans quelques mois, lorsque l’on vous posera la question « dormez-vous ? », vous pourrez répondre… « certainement » !

 

RÉFÉRENCES

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