Publié le 13 mars 2020
Écrit par Gabriel Parent-Leblanc. B. Sc., M. Env.
L’internet et toutes ses applications sont aujourd’hui tellement bien ancrés dans nos habitudes qu’il serait difficile d’imaginer notre monde sans eux. Travail, divertissement, communication… Désormais, presque toutes les sphères de nos vies y touchent de près ou de loin.
Ce n’est pas quelque chose auquel on pense lorsqu’on est sur Internet, mais tout ce qu’on fait en ligne a un impact sur l’environnement. On a en effet souvent la perception que parce que c’est numérique, c’est dématérialisé et donc sans impact dans le monde réel. Malheureusement, l’impact est bien réel et beaucoup plus important que ce à quoi nous pourrions nous attendre :
En 2018, la consommation mondiale de vidéos en ligne a été évaluée à plus de 300 millions de tonnes de CO2, gaz à effet de serre (GES) participant au réchauffement climatique (The Shift Project, 2019).
À titre de comparaison, en 2016, les émissions totales de GES au Québec et au Canada se chiffraient respectivement à 78,6 et 704,2 millions de tonnes de CO2e (ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, 2018).
On parle donc d’un impact carbone de près de quatre fois supérieur à celui du Québec, pour le visionnement de simples vidéos… Mais comment est-ce possible ?
Tout d’abord, il faut savoir que la consommation de vidéos a augmenté de manière exponentielle au cours des dernières années. En 2018, ce type de média a utilisé pas moins de 80 % de toute la bande passante du Web ! En ordre des plus grands consommateurs de données, on retrouve :
Tout le reste de ce qui se passe sur Internet ne consomme donc que 20 % de la bande passante ; assez impressionnant, quand même ! On peut donc affirmer que l’Internet, de nos jours, ce n’est pratiquement que de la vidéo…
« La vidéo fait aujourd’hui l’objet d’un usage intensif. Stockée dans des centres de données, elle est acheminée jusqu’à nos terminaux (ordinateurs, téléphones intelligents, télés connectées, etc.) par les réseaux (câbles, fibre optique, modems, antennes de réseaux mobiles, etc.) : tous ces processus nécessitent de l’électricité, dont la production consomme des ressources, et émet le plus souvent du CO2 » (The Shift Project, 2019).
L’impact, même s’il nous semble négligeable en tant qu’utilisateur, est donc substantiel… En fait, « le numérique émet aujourd’hui 4 % des gaz à effet de serre du monde, soit davantage que le transport aérien civil. Cette part pourrait doubler d’ici 2025 pour atteindre 8 % du total, soit la part actuelle des émissions des voitures » (The Shift Project, 2019).
En tant que consommateurs de contenu Web, nous pouvons agir sur plusieurs fronts :
La première chose à faire, logiquement, est d’analyser votre consommation de vidéos. Est-ce qu’on en regarde trop ? Est-ce que ce qu’on regarde a du sens ? Est-ce que ça vous fait du bien ? Simplement faire cette introspection pourrait vous permettre de limiter votre consommation et de faire une activité qui vous fait du bien au lieu d’être passif et d’écouter du contenu qui ne vous plaît peut-être même pas tant que ça ? Écouter Netflix ou YouTube parce qu’on est fatigué et blasé est devenu une habitude pour beaucoup (j’en suis moi-même coupable) ;
La qualité plutôt que la quantité. Ces questionnements vous remettront peut-être en question. Pourquoi est-ce que j’écoute cette série débile, donc ? Peut-être deviendrez-vous plus sélectif dans vos choix de divertissement ;
Si la qualité de l’image ne vous dérange pas vraiment, sachez que la vidéo HD (1080p) consomme approximativement deux fois plus de données que la résolution standard (480p). Le facteur de consommation des données demeure le même pour les nouvelles résolutions (4K et 8K sont quatre et huit fois plus lourds, respectivement) ;
Ce point devient encore plus important si vous utilisez YouTube, par exemple, pour mettre de la musique de fond. Comme vous ne regardez pas la vidéo et que vous ne profitez que de l’audio, rien ne sert de mettre la qualité à HD (que YouTube sélectionne automatiquement). Penser donc à sélectionner la résolution la plus basse ;
Il semble que nos boîtes de courriels et toutes les données que nous stockons dans le « nuage » (Dropbox, OneDrive, etc.) ont également un fort impact. Le simple fait de faire le ménage dans notre boîte de courriels (si vous êtes comme moi, vous en avez des milliers et des milliers) diminuera la consommation énergétique des centres de données. Les courriels sont effectivement dans notre boîte, mais les serveurs doivent stocker cette information (bien souvent inutile) pour être capables de nous la présenter si on fait des recherches, par exemple ;
Si vous trouvez que vous recevez trop de courriels inutiles (p. ex., infolettres), sachez qu’il existe plusieurs sites Web et logiciels qui vous permettent de vous désabonner automatiquement, comme Cleanfox ou Unroll.Me ;
Je vous recommande d’installer l’extension de navigateur et l’application mobile Carbonalyser, développées par The Shift Project, l’organisme français responsable de l’étude citée dans cet article. Elles vous indiqueront la consommation de votre navigateur ou mobile en direct, ainsi que ce que ça représente comme impact dans la vraie vie. L’application mesure effectivement la quantité d’énergie requise par vos actions sur le Web (en kWh et en g CO2), puis indique combien de téléphones vous auriez pu recharger ou combien de kilomètres vous auriez pu parcourir en voiture avec cette énergie. Cette analyse vous permettra d’identifier les sites ou les actions qui engendrent le plus d’émissions, concept difficile à cerner sans les données de Carbonalyser. Pour les télécharger, recherchez Carbonalyser dans votre bibliothèque d’extensions et d’applications mobiles ou visitez le https://theshiftproject.org/carbonalyser- extension-navigateur/.
Dans le même ordre d’idée, vous pourriez utiliser un moteur de recherche écologique ! Oui, c’est bien quelque chose qui existe ! Dites adieu aux Google et Bing de ce monde et remplacez-les par le navigateur Écosia, un moteur de recherche mis au point par la société privée à but non lucratif du même nom qui a comme objectif de planter des arbres grâce aux revenus publicitaires. Au moment d’écrire ces lignes, plus de 73 000 000 d’arbres ont été plantés par cette plateforme, dont les serveurs fonctionnent exclusivement grâce aux énergies renouvelables. Pour obtenir plus de détails : https://www.ecosia.org/.
Lilo est un autre moteur de recherche intéressant. Comme Écosia, ce moteur de recherche utilise les revenus publicitaires pour venir en aide aux causes environnementales, mais aussi sociales. Effectivement, avec Lilo, les utilisateurs peuvent décider où ils veulent mettre leur contribution en accumulant leur « goutte d’eau » (1 recherche = 1 goutte d’eau) et en l’offrant à l’organisme à but non lucratif de leur choix. Un autre beau modèle qui vaut la peine d’être découvert et utilisé : https://www.lilo.org/fr/.
Il est important de noter que les compagnies qui offrent le contenu multimédia que nous consommons ont également un grand rôle à jouer. En fait, à lui seul, l’utilisateur n’arrivera jamais à limiter convenablement sa consommation, tant les règles du jeu imposées sont créées pour le faire consommer toujours plus.
Avez-vous remarqué que sur YouTube, Netflix ou Facebook, par exemple, d’autres vidéos se mettent à jouer automatiquement dès que vous avez terminé celui que vous êtes en train de visionner ?
« Si l’on prend l’exemple de Netflix, l’interface s’évertue plutôt à user de biais cognitifs pour capter au maximum l’attention de l’utilisateur. Par exemple, sur la page d’accueil, les bandes-annonces défilent automatiquement, et lorsqu’on regarde une série, l’épisode suivant s’enchaîne au bout de 5 secondes… C’est la technique de l’autoplay » (Protais, 2019). Cette technique, utilisée par pratiquement tous les géants de l’information, « permet de retirer les points de repères temporels de l’utilisateur en créant un flux de contenu ininterrompu. C’est l’un des mécanismes centraux des designs addictifs » (The Shift Project, 2019). Pas très sportif comme technique, avouons-le…
Bref, l’industrie du numérique, plus particulièrement celle de la consommation de vidéos sur le Web, engendre une pollution difficile à imaginer et beaucoup plus grande que ce qu’on pourrait penser. Effectivement, derrière tous les visionnements de vidéos HD à la demande, une énorme infrastructure gourmande en énergie se doit de performer pour offrir une expérience satisfaisante aux nombreux utilisateurs. Et comme ce sont encore les énergies fossiles qui dominent l’échiquier énergétique mondial, vous l’aurez vite compris, ces équipements émettent une quantité substantielle de GES. Plusieurs astuces peuvent vous permettre de diminuer votre empreinte sur le Web, mais comme pour la consommation de matériel physique, la vidéo la plus écologique sera toujours celle que l’on n’aura pas écoutée !
Références
Ministère de l’environnement et de la lutte contre les changements
Climatiques. Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2016 et leur évolution depuis 1990. [en ligne]. 2018. Http://www.environnement.gouv.qc.ca/change- ments/ges/2016/inventaire1990-2016.pdf (consulté le 5 novembre 2019).
Protais, m. Je regarde netflix donc je pollue. Comment changer ça ? L’adn. [en ligne]. 2019. Https://www.ladn.eu/tech-a-suivre/data-big-et-smart/video-en-ligne-pollue-comment-diminuer-impact/ (consulté le 6 novembre 2019).
The shift project. Climat : l’insoutenable usage de la vidéo en ligne — un cas pratique pour la sobriété numérique. [en ligne]. 2019. Https://theshiftproject.org/wp- content/uploads/2019/07/2019-01.pdf (consulté le 5 novembre 2019).