Les étirements : mode d’emploi

Publié le 20 juin 2016
Écrit par Nicolas Blanchette, B. Sc. kinésiologie, D.O.

Les étirements : mode d’emploi

Rarement trouve-t-on un sujet aussi polarisant que les fameux exercices d’assouplissement.

 

Couramment appelés « étirements », ils font partie de nombreux protocoles de réadaptation de blessures et de gestion des inconforts articulaires chroniques. Malheureusement, les exercices de flexibilité sont encore largement incompris. Quels sont les exercices les plus efficaces pour prévenir la diminution de la mobilité avec l’âge et éloigner les blessures ? Combien de temps doit-on maintenir une position donnée ? Combien de fois par semaine devrait-on réaliser les exercices ?

 

LE CONTINUUM MOBILITÉ-STABILITÉ

La réponse à toutes ces questions est bien sûr : ça dépend ! Dans la vie, rien n’est complètement bon ou mauvais, et c’est aussi le cas des exercices d’assouplissement. En effet, nos nombreuses articulations doivent composer chaque jour avec une réalité immuable : d’une part, elles doivent disposer de suffisamment de degrés de liberté et d’amplitude de mouvement pour nous permettre de réaliser une grande variété de tâches sans douleur. C’est la mobilité. D’autre part, elles doivent aussi être soutenues par des muscles forts pour éviter de se retrouver en élongation excessive (pensez à une entorse de la cheville, par exemple). C’est la stabilité.

Chacune de nos articulations doit disposer de suffisamment de mobilité et de stabilité, sans quoi notre organisme compensera un manque de l’une ou l’autre de ces caractéristiques par l’utilisation d’une articulation voisine. Par exemple, quelqu’un dont la cheville est devenue rigide avec le temps pourra avoir de la difficulté à relever le pied et les orteils vers le haut (un mouvement de la cheville appelé « flexion dorsale »). Dans un souci de maintenir notre capacité à marcher efficacement, l’organisme de cette personne compensera ce mouvement déficient de la cheville par un mouvement excessif de la hanche. Ainsi, une usure prématurée et une arthrose de la hanche pourront apparaître au fil du temps.

La relation mettant en jeu un manque de stabilité, quant à elle, est parfois plus difficile à voir. Quelqu’un dont le tonus abdominal est plutôt faible, par exemple, pourrait voir le corps compenser ce manque de stabilisation du tronc défaillant par une contraction chronique des muscles profonds des hanches et de la région lombaire. Ainsi, une apparente rigidité dans les muscles des hanches peut avoir comme source non pas un manque de mobilité articulaire, mais bien une compensation par manque de stabilité d’une articulation voisine. Certaines articulations, comme l’épaule et la hanche, doivent bénéficier d’un équilibre fin entre une bonne mobilité et une bonne stabilité. Ce sont, selon moi, deux des articulations clés sur lesquelles porter notre attention.

 

CERNER SES BESOINS

La présence ou non d’une douleur articulaire n’est pas automatiquement un gage qu’on doit passer du temps à étirer cette articulation. Bien sûr, les exercices d’assouplissement visent à améliorer la mobilité articulaire. Mais puisque chaque personne dispose d’un degré de mobilité et de stabilité différent pour chacune de ses articulations, il est un peu simpliste de recommander le même programme d’assouplissement pour tout le monde. C’est pourquoi il peut être intéressant de cerner ses besoins à l’aide de quelques tests tout simples. Par exemple, vous pouvez tester la mobilité de votre région lombaire de cette façon : assis sur une chaise de hauteur standard, penchez-vous vers l’avant pour déposer vos paumes au sol. Si vos fessiers ne se lèvent pas de la chaise, votre mobilité lombaire est plus qu’adéquate pour fonctionner au quotidien. Pourtant, plusieurs personnes éprouvent des douleurs à la région lombaire, bien que leur souplesse soit adéquate. Il faut ainsi examiner les articulations voisines. Il n’est pas rare que la région lombaire se retrouve hypermobile et à risque de se blesser lorsque les articulations des hanches présentent une rigidité excessive. Un kinésiologue, spécialiste de l’activité physique, pourra vous guider concernant les différents tests offerts pour chaque articulation.

 

LE MASSAGE, UN ATOUT AVANT L’ASSOUPLISSEMENT

Les muscles qui composent nos différentes articulations accumulent de la tension de plusieurs manières : par souci de protection lors d’une blessure, par manque de stimulation ou encore par souci d’efficacité lorsque nous exécutons plusieurs fois la même tâche au fil d’une journée. Par exemple, un travailleur de la construction qui traîne toujours son lourd coffre à outils dans sa main droite accumulera beaucoup de tension résiduelle dans les muscles spinaux et les muscles fessiers du côté gauche. C’est logique. Si ces muscles ne s’étaient pas endurcis au fil du temps, ce travailleur se retrouverait constamment en déséquilibre du côté de son coffre à outils !

Ainsi, ces adaptations faites par son corps peuvent lui être très utiles au travail. Cependant, elles sont désavantageuses dans toutes autres circonstances, car elles réduisent sa mobilité lors de certains mouvements. Ce travailleur bénéficierait d’exercices d’assouplissement pour les muscles du côté gauche (il devrait aussi traîner son coffre à outils dans la main gauche aussi souvent que dans la droite). Il s’agit d’un bel exemple du fait qu’un programme d’assouplissement doit être individualisé.

Afin de relâcher la tension musculaire, les meilleures méthodes misent sur la pression, comme le massage profond. Il est beaucoup plus efficace de pratiquer des exercices d’assouplissement sur un muscle ayant été préalablement massé. J’utilise souvent l’analogie de la veste pour expliquer cette réalité. À moins que votre veste soit en cuir, le tissu est normalement extensible. Cependant, si vous faites un nœud dans une manche et tirez ensuite de chaque côté, il sera difficile d’augmenter la longueur de la manche (de l’assouplir). Avant de s’étirer considérablement, il est même possible que la manche nouée se déchire ! Il en est de même pour le tissu musculaire : un muscle criblé de points-gâchettes, en tension excessive, devient résistant à l’étirement. L’étirement peut même lui être nocif, s’il est forcé au-delà des contraintes imposées par le surplus de tension.

 

ASSOUPLIR LES MUSCLES EN DOUCEUR

De toute façon, mieux vaut y aller doucement avec les étirements. En effet, notre système nerveux dispose d’un réflexe de protection, appelé « réflexe myotatique », que nous ne voulons PAS stimuler lors de nos séances d’assouplissement. Lorsqu’un muscle se retrouve étiré rapidement au-delà de sa capacité d’adaptation, le réflexe myotatique entre en jeu et stimule la contraction du muscle. Cette action se produit afin d’éviter au muscle de subir une déchirure de ses fibres par un étirement brusque. Ainsi, un exercice d’assouplissement mis en place trop vivement sera inefficace et pourra même produire l’effet contraire ! Je vous suggère d’amener l’étirement doucement, jusqu’à ce qu’une sensation distincte d’élongation légère commence à se manifester. Arrivé à cette position, vous êtes fin prêt à commencer votre exercice d’assouplissement. L’amplitude de mouvement pourra ensuite être augmentée très progressivement au fil de votre exercice.

 

CHOISIR LA BONNE DURÉE ET… RESPIRER

J’encourage mes patients à mettre l’accent sur leur respiration plutôt que de maintenir leur exercice d’étirement pour une durée fixe (par exemple, de 15 à 30 secondes). La réalisation d’un exercice d’assouplissement, comme vous le comprenez déjà, est un processus hautement individualisé. Ainsi, chaque personne peut mettre un temps différent pour tirer profit d’un mouvement d’assouplissement. Afin de profiter au maximum de vos exercices d’assouplissement, mettez un point d’honneur à ralentir votre respiration. Prenez surtout soin de bien expirer et de vous détendre. Cela permettra à votre système nerveux de se relaxer, car relaxation et gain de souplesse vont toujours de pair. C’est un principe qui est utilisé dans plusieurs disciplines, comme le yoga.

Pour déterminer si un étirement a été efficace, fiez-vous avant tout aux sensations que vous renvoie votre corps. Lors d’un exercice d’assouplissement bien exécuté, il devrait y avoir une sensation de raideur nettement moindre à la fin du mouvement par rapport au départ.

 

LA FRÉQUENCE

L’assouplissement s’intéresse certes aux muscles, mais aussi aux « contenants » de ces muscles. En effet, sans les fascias, ces enveloppes qui enrobent les muscles, ces derniers ne sont que des morceaux de viande informe. Or, les fascias ont ceci de particulier qu’ils réagissent assez lentement au stimulus qu’on leur impose. Bien qu’il soit possible d’obtenir des gains en souplesse au moyen de courtes sessions d’étirement en agissant sur les muscles et le système nerveux, il est recommandé de s’étirer fréquemment et assez longtemps pour que les gains se transmettent de manière durable aux fascias. Si vous avez un manque de mobilité flagrant dans une articulation, je vous suggère de l’assouplir tous les jours, deux ou trois fois par jour, si possible.

 

BON POUR LE CORPS, BON POUR L’ESPRIT

En prime, réaliser des exercices d’assouplissement aide à se reconnecter avec notre corps. Ils nous font prendre conscience de nos tensions physiques et de nos tracas psychologiques, et nous permettent ainsi de les reconnaître pour simplement mieux les abandonner. Les séances d’assouplissement peuvent devenir d’excellents moments de méditation.

 

RÉFÉRENCE

FREDERICK, Ann et Chris. Stretch to win, Human Kinetics, 2006, 251 p.