Les habitudes alimentaires en Nouvelle-France

Publié le 21 novembre 2015
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott

Les habitudes alimentaires en Nouvelle-France

Si on observe les habitudes alimentaires des premiers colons en Nouvelle-France, il est facile de constater que non seulement ils ont su s’adapter aux réalités d’un climat rigoureux, mais ils nous ont aussi transmis un héritage qui subsiste encore de nos jours.

 

LE MODE DE VIE nord-américain vient souvent défier notre équilibre alimentaire et, de fait, certains régimes préconisent actuellement des tendances qui remontent à plusieurs siècles, que ce soit la substitution du sel par l’utilisation d’herbes aromatiques, l’apport de fibres et de légumineuses pour remplacer la viande, ou encore l’utilisation de la sève de bouleau ou de conifère pour favoriser un apport tonique à l’organisme.

 

De la France vers l’Amérique

Les raisons qui ont poussé les premiers colons à tenter l’aventure de la Nouvelle-France étaient, semble-t-il, partiellement reliées à une alimentation déficiente, basée sur un régime céréalier. Ceux qui fuyaient la misère en tentant l’aventure vers le Nouveau Monde devaient survivre à une traversée périlleuse et se contenter à bord de biscuits secs et de potages de semoule auxquels on ajoutait parfois de la graisse animale. On souffrait de la soif, car l’eau douce était souvent corrompue et on favorisait la consommation du cidre, qui résistait mieux à la traversée.

Si les conditions de vie des premiers colons n’étaient pas faciles, elles offraient tout de même une alimentation plus abondante et diversifiée. Ainsi, il est certain que l’aide apportée aux Européens par les membres des Premières Nations s’avérait primordiale. Par exemple, ils ont très vite appris à éviter les ravages du scorbut et à bénéficier des vertus de tisanes et de cataplasmes tirés d’un conifère et préparés par les femmes autochtones. Cet apport de vitamine C compensait les carences dues au manque de légumes et de fruits frais durant l’hiver.

On sait que les Premières Nations avaient une connaissance remarquable des plantes et de leurs propriétés, et qu’elles utilisaient la nature comme un supermarché aux multiples ressources. Leur équilibre alimentaire était basé sur la chasse, la pêche, la récolte potagère et la cueillette. Grâce à eux, les Européens ont introduit plus d’une cinquantaine de variétés de légumes comestibles en Europe et ailleurs dans le monde, dont la moitié fait partie de la production alimentaire mondiale actuelle. Voici quelques exemples d’aliments encore présents sur les tables québécoises.

Si le maïs est d’origine mexicaine, sa propagation s’est étendue vers le nord jusqu’au Québec. Avec la farine de maïs, on fabriquait un pain cuit sur des braises que l’on mangeait accompagné de poisson ou de viande séchée, fumée ou grillée. Les premiers habitants y ajoutaient parfois des fruits secs, des noix ou du gras de cerf. On faisait également un mets appelé « sagamité » à partir d’une base de maïs enrichie de gibier, de courges ou de fèves rouges. Il semble pourtant que les Canadiens-Français aient rejeté le maïs, malgré le fait qu’ils appréciaient le blé fleuri, c’est-à-dire du maïs éclaté sous la cendre chaude.

L’équilibre alimentaire de la culture intercalaire des « trois soeurs », soit le maïs, les haricots et les courges, fournissait, dans la vallée du Saint-Laurent, près de 80%des calories quotidiennes.

Elle se pratique d’ailleurs encore aujourd’hui et elle possède deux avantages : elle n’épuise pas le sol et permet à ces trois plantes de pousser en complémentarité. Cette association est gagnante d’un point de vue nutritionnel, car le maïs, une céréale pauvre en acides aminés essentiels à l’équilibre humain, est compensé par ceux du haricot.

 

Tomates et patates au menu

Considérant le fait que les autochtones auraient depuis longtemps intégré la tomate et la pomme de terre à leur régime alimentaire, on sait par contre que la consommation de cette dernière fut développée au Québec par les Britanniques.

La tomate est originaire d’Amérique du Sud, et celle qu’on nommait la « pomme du Pérou » ou « pomme d’or » (pomi d’oro) était désignée comme « tomatl » par les Mexicains, qui en ont fait la culture à des fins alimentaires.

Les derniers mois d’hiver annonçaient le retour d’aliments nécessaires pour renforcir l’organisme. Ce sont les Amérindiens qui ont enseigné aux Européens les techniques de récolte et de distillation de la sève recueillie dans des contenants d’écorce, afin de le transformer en sirop d’érable. Cette boisson sucrée possédait des valeurs énergétiques et nutritives, offrant entre autres un apport en zinc, en magnésium, en calcium et en potassium. Récoltées au printemps, les « têtes de violon » étaient un des rares légumes verts disponibles en grande quantité à cette période de l’année qui assuraient un apport  riche en fer et en vitamines A et C.

Ramassés à l’orée des bois, les petits fruits fournissaient aussi un apport non négligeable de vitamines. On les consommait frais, séchés ou avec du sirop d’érable. D’ailleurs, le mot « atocas » ou « atacas », d’origine iroquoise, est toujours utilisé au Québec pour désigner cette plante aux propriétés diurétiques.

 

Une cuisine par fumée

Loin d’être fade, la cuisine autochtone utilisait la menthe des bois, la gelée de sapin, les baies sauvages, l’épinette noire et l’ail des bois, ajoutant une note savoureuse aux plats traditionnels. Le genévrier jouait aussi un rôle particulier, qu’il soit bouilli ou servi en tisane. Quant au sel, il pouvait être obtenu en brûlant certaines plantes. Les plantes médicinales ou aromatiques, comme le thé du Labrador, étaient infusées afin de libérer leurs vertus calmantes et digestives ; le thé des bois était apprécié notamment pour ses propriétés anti-inflammatoires.

Les membres des Premières Nations pratiquaient la pêche durant toutes les saisons, même sous la glace. Les prises comestibles, tout comme les viandes, étaient cuites dans les cendres chaudes ou à la façon d’un barbecue. On les faisait parfois bouillir, enveloppées dans l’écorce de bouleau pour en conserver la saveur durant la cuisson. On mettait de la farine de maïs pour enrober la viande ou le poisson, une pratique encore utilisée chez beaucoup d’entre nous.

La cuisine des Premières Nations a influencé celle des Européens et cela se répercute jusqu’à nos jours. Par exemple, les Abénaquis faisaient cuire des haricots dans l’eau d’érable. Certains cuisiniers auraient tenté de reproduire cette recette en ajoutant de la mélasse à des fèves, obtenant ainsi des fèves au lard.

 

La table de la nouvelle-France

À la fin du régime français, le blé était la céréale dominante, et le pain, l’aliment de base sur les tables des premiers colons. Le potager fournissait les légumes nécessaires à la consommation durant la belle saison et on y faisait pousser toute la gamme qui se retrouve dans la recette d’un bouilli. Bien que le cheptel rural du 18esiècle était composé de vaches laitières, de porcs et de volailles, la faible production de beurre favorisait la consommation du lard salé, un apport de gras animal fort apprécié devenu une composante essentielle au régime alimentaire de l’époque. D’ailleurs, les militaires recevaient du pain et du lard salé comme ration. On achetait ou troquait aussi le gibier et les poissons; dans les postes de traite et les magasins du roi, certaines denrées exotiques telles que le poivre, la cannelle, la cassonade, le riz, le vin et l’eau-de-vie étaient également disponibles. Par contre, on les retrouvait plus souvent sur les tables des gens de la haute société locale, tout comme  le café, qui était consommé sans lait, et le vin rouge, apprécié pour ses vertus thérapeutiques. Ceux qui ne pouvaient se payer des denrées aussi onéreuses se contentaient d’une boisson brassée à partir d’une espèce de sapin nommée« épinette », dont la riche teneur en vitamine C aidait à contrer le scorbut.

Les changements alimentaires ont évolué lentement au fil des générations qui se sont succédé, guidées par un désir d’être plus réceptifs aux changements plutôt que d’être captifs des traditions. Mais, lorsqu’on compare nos habitudes alimentaires avec celles du 18e siècle, on peut se demander pourquoi, jusqu’à une date assez récente, elles semblaient essentiellement calquées sur celles des Anglo-Saxons. Pour y répondre, il faut regarder les changements apportés par la conquête des Britanniques et des loyalistes, qui nous ont légué des mets tels que les oeufs brouillés, le gruau, le bacon et le fromage cheddar. C’est un héritage qui s’est enrichi, bien sûr, des recettes déjà connues, comme la tourtière et le cipaille, ainsi que les autres apports imputables aux vagues d’immigrations qui ont transformé les grandes villes au 19esiècle, mais tout cela demeure une histoire à suivre.