Les implants mammaires: une source de toxicité insoupçonnée ?

Publié le 29 mai 2024
Écrit par Valérie Conway, Ph. D., NDA, ostéopathe

Les implants mammaires: une source de toxicité insoupçonnée ?
Now pour juillet

Pour ceux et celles qui étaient des habitués de mes chroniques portant sur la science alimentaire, vous aviez probablement constaté que je n’ai pas écrit dans le magazine Vitalité Québec depuis un bon moment. Pourtant, malgré un horaire surchargé, je prends le temps aujourd’hui d’écrire cet article très personnel dans un objectif d’enseignement, mais avant tout afin de dénoncer une réalité choquante pouvant interpeller (je l’espère bien !) des centaines de femmes du lectorat.

Comme près de 400 000 Canadiennes chaque année, j’ai candidement opté pour une augmentation mammaire en mars 2003. Qualifiés d’entièrement sécuritaires, les implants salins qui me sont alors proposés m’ont semblé totalement inoffensifs : une solution physiologique contenue dans une enveloppe composée d’un matériau inerte ! Lors de ma consultation initiale, on prend le temps de m’informer de la durée de vie limitée des implants, et on me parle bien évidemment des risques inhérents à l’intervention chirurgicale, du risque de formation d’une capsule fibreuse et du risque de rupture de l’implant. Cette dernière éventualité est rapidement banalisée, car les implants choisis sont composés d’eau saline, en plus d’être garantis pour une période minimale de 10 ans. Pour ce qui est de la formation d’une capsule fibreuse, on m’explique qu’il est possible de l’éviter dans la large majorité des cas par un massage régulier dans les mois suivant l’intervention. Avec des informations aussi rassurantes, pourquoi m’en passer ?

Pourtant, en avril 2023, 20 ans après mon implantation, je passe sous le bistouri afin de retirer mes implants pourtant encore totalement intacts. La raison ? L’apparition d’une myriade de symptômes aussi obscurs qu’inexplicables, dont une condition auto-immune. Ces symptômes provoqués par le port d’implants mammaires sont pourtant bien documentés depuis des décennies, mais m’étaient totalement inconnus avant 2023. Découvrons ensemble la maladie des implants mammaires, ou la Breast Implant Illness (BII).

 

La petite histoire des implants mammaires

Depuis leur introduction en 1962, la sécurité des implants mammaires en silicone a été sujet de controverses. Aujourd’hui, l’augmentation mammaire représente l’une des procédures chirurgicales esthétiques les plus populaires, à laquelle 2 à 4 % de la population féminine mondiale a recours. En réponse aux inquiétudes soulevées par la communauté scientifique et face au nombre croissant de patientes porteuses d’implants mammaires rapportant des troubles de santé, la Food and Drug Administration (FDA) ainsi que Santé Canada ont mis en place, en 1992, un moratoire interdisant la mise en marché d’implants en silicone. Cette restriction a propulsé en flèche la mise en marché des implants salins, pourtant composés de la même coque externe de silicone. Malgré des données cliniques largement incomplètes, la FDA a permis la remise en marché des implants en gel de silicone en 2006. Ce type d’implant domine aujourd’hui l’industrie des implants mammaires pour une question de supériorité esthétique (82 % du marché des implants). Heureusement, depuis octobre 2021, la FDA a publié de nouvelles directives obligeant le chirurgien ou la chirurgienne à informer toutes les patientes des risques éventuels reliés aux implants avant l’intervention, au moyen d’un consentement écrit et signé. De plus, un avertissement encadré nommé black box warning doit être présent sur toutes les boîtes d’implants mammaires. Il est intéressant de mentionner que le black box warning est strictement réservé aux produits ou aux dispositifs médicaux présentant un risque élevé pour la santé. Ici, au Canada, en mai 2023, se tenait à la Chambre des communes une audience sur la sécurité des implants mammaires. Lors de cette réunion, les intervenants experts ont d’ailleurs demandé à Ottawa de se dépêcher de reconnaître l’existence médicale de la BII, en plus de recommander la mise en place d’un registre des implants mammaires permettant, entre autres, de retrouver les patientes en cas de problématiques.

 

Qu’est-ce que la maladie des implants mammaires (BII) ?

La BII est une entité clinique regroupant une liste de plus de 50 symptômes locaux et systémiques se manifestant dans tous les systèmes du corps humain. Ses manifestations sont observables, peu importe le type d’implants (gel de silicone ou solution saline), qu’il y ait rupture ou non de celui-ci. La gravité et l’ampleur des symptômes semblent toutes deux corrélées avec le nombre d’années depuis l’implantation, soit l’âge de l’implant. Cette condition semble toucher plus fréquemment les patientes présentant un terrain familial allergique, chez qui la pose d’implants mammaires devrait être découragée, selon plusieurs experts. De plus, certaines patientes atteintes de la BII développent des affections auto-immunes telles que la polyarthrite, le syndrome de Sjögren, la sarcoïdose, la sclérose systémique, le lupus, le phénomène de Raynaud ou encore la thyroïdite d’Hashimoto, pour n’en nommer que quelques-unes. Le risque d’être atteinte d’au moins une condition auto-immune ou rhumatologique serait d’ailleurs 45 % plus important chez les porteuses d’implants mammaires, comparativement aux non-porteuses. Finalement, un taux plus élevé de mortinaissances, de naissances prématurées et de naissances nécessitant des soins néonatals intensifs est rapporté chez les bébés de porteuses d’implants mammaires.

Quoique la cause exacte de la BII reste inconnue et que son existence même suscite encore des débats au sein de la communauté médicale, plusieurs hypothèses ont été proposées dans la littérature. Parmi celles-ci, mentionnons la réaction immunitaire contre l’implant, la réponse immunitaire reliée à la migration de particules de silicone provenant de l’implant, l’intoxication aux métaux lourds et la formation d’un biofilm bactérien à la surface de l’implant. Je tiens ici à préciser que toutes les femmes portant des implants mammaires, même les salins, sont exposées au silicone en raison de la nature même de l’élastomère formant la coque externe de tous les types d’implants sur le marché.

 

Le silicone : un composé biologiquement inerte ?

Lors de l’introduction des implants mammaires par Cronin et Gerow dans les années 1960, le polymère de silicone était effectivement qualifié d’inerte. Cependant, il est devenu évident que loin d’être inertes, les implants mammaires de silicone sont capables d’induire une réponse inflammatoire chronique dans le corps. Dans l’environnement physiologique complexe du corps humain, la coque d’élastomère de silicone des implants peut stimuler les cellules immunitaires (les monocytes) à sécréter des cytokines pro-inflammatoires, le facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-α), des radicaux libres, en plus d’agir comme adjuvant stimulant la réponse immunitaire adaptative concernant les lymphocytes T (Th1 et Th17), la libération d’autoanticorps et d’interleukines. Cette réaction immunitaire face à la coque de l’implant, qu’elle soit remplie de gel de silicone ou de solution saline, expliquerait la formation d’une capsule fibreuse entourant l’implant CHEZ TOUTES LES FEMMES. L’environnement inflammatoire autour de l’implant le rendrait alors particulièrement propice à la formation d’un biofilm bactérien. Phénomène relativement fréquent, un biofilm a été confirmé chez 68,5 % des patientes ayant subi une explantation chirurgicale dans le cadre d’une étude récente chez 200 femmes.

Rien d’étonnant si l’on considère que le silicone est un polymère fabriqué biochimiquement par l’ajout de molécules d’oxygène à des molécules de silicium (Si) suivant une réaction chimique complexe impliquant une multitude d’agents catalysant toxiques [2]. D’ailleurs, des niveaux considérablement plus élevés d’arsenic, de zinc, d’aluminium, de baryum, de chrome, de cuivre, de fer, de plomb, de mercure et de nickel ont été mesurés chez les porteuses d’implants mammaires (avec ou sans symptôme de la BII), comparativement aux non-porteuses d’implants. De plus, la coque d’élastomère de silicone des implants mammaires représenterait une source importante d’exposition au platine (Pt).

Particulièrement chez les porteuses d’implants remplis de gel de silicone, il est important de mentionner qu’une migration de particules issues du gel de silicone est mesurable pour tous les types d’implants, qu’ils soient en gel cohésif ou non, et ce, malgré l’absence de rupture. Ce phénomène nommé gel bleeding, en anglais, a été mesuré chez 98,8 % des femmes dans le cadre d’une étude clinique portant sur 389 patientes portant des implants de gel de silicone intacts. Fait encore plus inquiétant, chez 86,6 % de celles-ci, les particules de silicone avaient migré bien au-delà de la capsule entourant l’implant. La présence de granulome de silicone dans divers organes/tissus, dont la moelle épinière et le cerveau, a été rapportée dans des revues de littérature récentes.

 

Régulation douteuse de la mise en marché des implants mammaires

Montrant le manque de régulation entourant les implants mammaires, il est impossible de passer sous le silence le scandale de 2010 entourant la mise en marché d’implants défectueux par la société française Poly Implant Prothèse (PIP). Source de plusieurs cancers, les implants mammaires économiques vendus par la compagnie se sont avérés être remplis d’un gel de silicone artisanal non homologué composé, entre autres, d’huiles industrielles. Principalement voué à l’exportation (70 pays touchés), on estime que plus de 400 000 femmes dans le monde ont porté ces prothèses mammaires défectueuses ! Autre démonstration du manque de rigueur dans le processus d’évaluation des risques pour la santé, mentionnons le cas du fabricant Allergan, qui a mis en marché une nouvelle génération d’implants présentant une surface macrotexturée (Biocell™). Sans avoir été testés chez l’humain, ces implants ont ensuite été retirés du marché en 2019 en raison du lien avéré avec le lymphome anaplasique à grandes cellules associé aux implants mammaires (breast implant ALCL). Forme rare de lymphome non hodgkinien grave identifiée pour la première fois en 1997, cette pathologie représente le tout premier type de cancer reconnu comme entièrement créé par l’homme ! Quoique ce cancer soit qualifié de rare, la Breast Implant Safety Alliance (BISA) rapporte une incidence aussi élevée que 1 patiente sur 100 chez celles ayant reçu des implants Biocell™ dans le cadre d’une reconstruction mammaire des suites d’un cancer.

 

Pour conclure, peut-on résoudre la maladie des implants mammaires (BII) ?

L’explantation, soit le retrait chirurgical des implants avec l’entièreté des tissus cicatriciels formant la capsule entourant l’implant, reste le seul traitement efficace contre la BII. Selon les données actuelles, une atténuation des symptômes systémiques est observable dans les mois suivant l’explantation (implant et capsule) chez la majorité des patientes, soit chez 75 % à 96 % des sujets, selon des études récentes. Selon l’étendue des dommages provoqués par le port d’implants, sachez que certains des symptômes ou lésions ne seront pas renversés malgré l’explantation.

Malheureusement, très peu de chirurgiens et de chirurgiennes réalisent cette opération complexe sur le plan mondial, encore moins au Canada. Heureusement, un centre voué à l’explantation et à la recherche sur la BII a vu le jour à Montréal (Centre d’explantation Montréal).

De plus en plus populaire, on estime que plus de 30 000 patientes chaque année optent pour l’explantation en raison de complications, notamment le BII. Afin de poursuivre cette belle tendance, prenons tous le temps de parler avec notre entourage de cette maladie malheureusement trop méconnue encore aujourd’hui.

 

RÉFÉRENCES: 

  1. Shawn Trumpfeller. Cosmetic Plastic Surgery Trends Of 2023 In Canada. 2024 29-01-2024]; Available from: https://www.torontosurgery.com/blog/cosmetic-plastic-surgery-trends-of-2023.
  2. Perry, D. and J.D. Frame, The history and development of breast implants. Ann R Coll Surg Engl, 2020. 102(7): p. 478-482.
  3. Swanson, E., Prospective Study of Saline versus Silicone Gel Implants for Subpectoral Breast Augmentation. Plast Reconstr Surg Glob Open, 2020. 8(6): p. e2882.
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  5. Yang, S., et al., Understanding Breast Implant Illness: Etiology is the Key. Aesthetic Surgery Journal, 2021. 42(4): p. 370-377.
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  7. Tervaert, J.W.C., et al., Breast implant illness: Is it causally related to breast implants? Autoimmunity Reviews, 2023: p. 103448.
  8. Metzinger, S.E., et al., Breast Implant Illness: Treatment Using Total Capsulectomy and Implant Removal. Eplasty, 2022. 22: p. e5.
  9. Wixtrom, R., et al., Heavy Metals in Breast Implant Capsules and Breast Tissue: Findings from the Systemic Symptoms in Women–Biospecimen Analysis Study: Part 2. Aesthetic Surgery Journal, 2022. 42(9): p. 1067-1076.
  10. Maharaj, S.V.M., Platinum concentration in silicone breast implant material and capsular tissue by ICP-MS. Analytical and Bioanalytical Chemistry, 2004. 380(1): p. 84-89.
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  12. Dijkman, H.B.P.M., I. Slaats, and P. Bult, Assessment of Silicone Particle Migration Among Women Undergoing Removal or Revision of Silicone Breast Implants in the Netherlands. JAMA Network Open, 2021. 4(9): p. e2125381-e2125381.
  13. Cohen Tervaert, J.W., M.J. Colaris, and R.R. van der Hulst, Silicone breast implants and autoimmune rheumatic diseases: myth or reality. Curr Opin Rheumatol, 2017. 29(4): p. 348-354.
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  15. Suh, L.J., et al., Breast Implant-Associated Immunological Disorders. Journal of Immunology Research, 2022. 2022: p. 8536149.