Publié le 20 avril 2017
Écrit par Nicolas Blanchette, B. Sc. kinésiologie, D.O.
Quiconque a déjà entendu parler de thérapie manuelle peut facilement s’imaginer dans sa tête une ou deux techniques connues que le praticien emploie et qui font « craquer » les articulations de son patient.
Souvent, ce dernier pousse un soupir de soulagement après la technique, pensant alors que le thérapeute vient de remettre un « morceau » à sa place. Malheureusement, le plus souvent à tort, nous associons aussi parfois ces manœuvres, appelées « manipulations », à une sensation de douleur et un frisson nous parcourt alors l’échine en anticipant ce qui va se produire. Mais que se passe-t-il réellement avec nos articulations lors de ces techniques ?
Quels sont les bienfaits des manipulations articulaires ? Représentent-elles une méthode de thérapie manuelle sécuritaire ?
REGAGNER DE LA MOBILITÉ ARTICULAIRE
Afin de bien comprendre les techniques manipulatoires, il faut savoir qu’il existe plusieurs types de mobilité pour une même articulation. Cela peut sembler complexe, mais c’est en réalité très simple. Prenons l’articulation du coude, par exemple. Si vous fléchissez vous-même votre coude pour rapprocher votre paume de votre épaule, vous effectuez un mouvement actif. Si je saisis votre avant-bras dans ma main et fléchis moi-même votre coude à votre place, sans que vous génériez d’effort, il s’agira d’un mouvement passif. L’amplitude de mouvement passif est toujours plus grande que l’amplitude de mouvement actif.
Or, il arrive qu’une articulation se retrouve avec un potentiel de mouvement diminué. La cause de cette diminution de liberté de mouvement peut être la sursollicitation d’un groupe musculaire attaché à une articulation, ou encore un spasme de protection qui aurait été causé par un évènement traumatique (chute, faux mouvement, etc.). Dans ces circonstances, les amplitudes de mouvement actif comme passif pourraient être réduites.
Lors de l’exécution d’une manipulation articulaire, le thérapeute porte l’articulation en question à la limite de son mouvement passif actuel, sans créer de douleur pour le patient (rappelez-vous que la limite a été temporairement diminuée). À l’aide d’un mouvement d’impulsion court et rapide produit par ses mains, le thérapeute permettra à l’articulation de retrouver son amplitude de mouvement normal.
Ce regain de mobilité temporairement perdue est possible grâce à la présence importante de terminaisons nerveuses dans les capsules reliant les os ensemble. On appelle ces terminaisons nerveuses des « mécanorécepteurs ». Ces minuscules messagers sont sensibles aux changements rapides de pression et envoient constamment des signaux à notre moelle épinière et notre cerveau. Ainsi, il permet à notre système nerveux d’équilibrer et d’ajuster les différentes tensions ligamentaires et musculaires nécessaires au fonctionnement harmonieux de nos articulations. Or, ces mécanorécepteurs sont fortement stimulés par les manipulations articulaires.
RÉDUIRE LES DOULEURS RÉFÉRÉES
En plus du regain de la mobilité temporairement perdue, la manipulation articulaire correctement appliquée sur la colonne vertébrale est également efficace pour réduire la douleur liée aux dérangements douloureux intervertébraux mineurs (DDIM). C’est l’une des spécialités des chiropraticiens.
Le dérangement douloureux intervertébral mineur (DDIM) est une dysfonction bénigne du segment vertébral de nature mécanique et nerveuse. Il est très commun et implique les articulations des facettes articulaires postérieures gauches ou droites de deux vertèbres adjacentes. Il n’est pas objectivable par la radiographie ou l’imagerie, mais sa présence se révèle heureusement à la palpation des apophyses épineuses ou des facettes articulaires vertébrales par un professionnel. Les éléments vertébraux seront alors hypersensibles en comparaison des autres segments.
Une des particularités des DDIM est de produire des symptômes douloureux référés, c’est-à-dire éloignés de l’articulation qui est douloureuse à la palpation. Ce sera une surface de la peau environnante qui sera douloureuse, ou encore un élément osseux sur lequel s’attachent plusieurs tendons : l’épaule, le coude, le poignet, etc. Par exemple, lors de la présence d’un dérangement douloureux intervertébral mineur de la cinquième vertèbre lombaire, la hanche du même côté du patient est hypersensible au toucher et s’accompagne de douleur près des zones d’attache des muscles fessiers.
Lorsque les malaises du patient sont causés par des DDIM, la manipulation articulaire permet de les soulager rapidement.
QUE SE PASSE-T-IL LORS DU FAMEUX « CRAQUEMENT » ARTICULAIRE ?
La manipulation articulaire a ceci de particulier qu’elle s’accompagne fréquemment d’un petit « pop» ou« crac» audible. Mais qu’est-ce qui est donc responsable de ce bruit ? La question a été longuement étudiée, de telle sorte qu’il est maintenant possible de démystifier ce qu’on appelle la « cavitation articulaire ».
En fait, il s’agit de l’éclatement de minuscules bulles de gaz qui se forment dans le liquide synovial, une substance lubrifiante présente dans la capsule qui englobe la jonction des deux os d’une articulation. Lorsque ces bulles libèrent leur énergie, il y a production de chaleur et d’un son. On peut grossièrement comparer ce dernier au bruit d’une ventouse lorsqu’on la décolle d’une surface. Le bruit articulaire n’est pas à craindre, ni non plus un gage de réussite. Contrairement à ce qui est souvent véhiculé dans la culture populaire, le craquement n’est pas un signe que « quelque chose a été remis à sa place », bien que, dans le cadre d’une manipulation, la manipulation permette des gains intéressants sur la mobilité articulaire et une diminution des manifestations douloureuses liées à un DDIM. Lorsque l’articulation revient à son état normal, des gaz sont réabsorbés dans le liquide synovial, mais cela prend de 15 à 20 minutes. Cela explique pourquoi il est impossible d’obtenir de l’articulation un nouveau craquement avant ce délai.
FAIRE CRAQUER SOI-MÊME SES ARTICULATIONS EST-IL DANGEREUX ?
Contrairement à ce que l’on peut entendre, faire craquer ses articulations de manière répétée n’est pas un comportement nocif. Des études récentes à ce sujet ont même été réalisées, aucune d’entre elles ne réussissant à démontrer un effet néfaste de l’auto-manipulation articulaire. Le bruit peut être un peu dérangeant pour ses voisins de bureau, mais c’est là que les effets négatifs s’arrêtent !
LE BRUIT DE CAVITATION EST-IL ABSOLUMENT NÉCESSAIRE À LA RÉUSSITE D’UNE MANIPULATION VERTÉBRALE ?
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le bruit de cavitation ne prouve pas qu’une manipulation est bien réussie. Selon le rhumatologue français Robert Maigne : « Toute technique manipulatoire, qu’elle soit bonne, mauvaise, ciblée ou approximative, peut éventuellement produire un bruit articulaire. Ce n’est que lorsque la manipulation est justifiée, faite sur les bons segments articulaires et dans la bonne direction qu’il revêt un intérêt particulier. »
LES MANIPULATIONS ARTICULAIRES SONT-ELLES SÉCURITAIRES ?
Des dizaines de milliers de manipulations articulaires sont pratiquées chaque jour dans le monde et relativement peu d’incidents importants ont été rapportés. Certaines études parlent d’environ 200 manipulations ayant eu des conséquences graves sur plus de 7 milliards d’actes au total. C’est infiniment peu, soit moins de 0,0001 % des cas, mais chaque accident grave est un accident de trop. C’est pourquoi, comme n’importe quelle technique de thérapie manuelle, des précautions devraient être prises avant la réalisation d’une manipulation. Ces précautions doivent être individualisées selon chaque patient.
Tout d’abord, afin que la technique manipulatoire demeure la plus sécuritaire possible, il convient de l’appliquer selon un principe appelé « règle de la non-douleur ». Pour respecter ce principe, le thérapeute devra d’abord tester les différents mouvements possibles de l’articulation sur laquelle il souhaite agir avant d’appliquer une technique manipulatoire. S’il s’agit, par exemple, de la colonne vertébrale, le praticien fera pencher le patient vers l’avant, vers l’arrière, sur la gauche, sur la droite et, finalement, il lui demandera de produire une rotation vers la gauche et la droite (comme si le patient regardait derrière son épaule). En agissant de la sorte, le thérapeute recueille de l’information sur la mobilité de l’articulation. Il prend connaissance des limites de chaque direction, et observe lesquelles sont douloureuses pour le patient. Pour un maximum de sécurité, il devra ensuite appliquer sa manipulation seulement dans le sens du mouvement qui est libre de douleur pour le patient. Ainsi, le patient ne court virtuellement aucun risque.
Également, le thérapeute manuel adéquatement formé sait qu’il ne faut jamais appliquer une manipulation sur une articulation qui est déjà hyper mobile. En effet, certaines personnes sont tellement souples, souvent de manière génétique ou à la suite d’une blessure, qu’on parle d’« hyperlaxité ligamentaire ». Chez un tel sujet, non seulement une manipulation articulaire pour regagner l’amplitude de mouvement perdue est-elle inutile, elle pourrait même être dangereuse, puisqu’il pourrait y avoir luxation. Heureusement, ce dernier incident est très rare.
EN CONCLUSION
La manipulation réalisée par un thérapeute manuel expérimenté permet un regain de la mobilité articulaire temporairement perdue. Si des dérangements douloureux intervertébraux mineurs sont à l’origine de la douleur référée, la manipulation permet de diminuer considérablement les malaises qu’ils entraînent. Il s’agit d’un mode de traitement sécuritaire à la condition qu’il soit employé dans la direction de la non-douleur. Elle n’est pas la seule modalité de traitement efficace et d’autres techniques ainsi que des exercices recommandés à la maison sont souvent nécessaires pour résoudre les problèmes de nature plus persistante.
RÉFÉRENCES
MAIGNE, Robert. Douleurs d’origine vertébrale, Elsevier, 2016.
GIBBONS, P. Manipulation of the Spine, Thorax and Pelvis, 2010.